Tensions aux urgences : « Le quoi qu’il en coûte doit s’appliquer à la santé », demande le docteur Jérôme Marty

Tensions aux urgences : « Le quoi qu’il en coûte doit s’appliquer à la santé », demande le docteur Jérôme Marty

Pas encore nommé, le prochain ministre de la santé héritera d’un dossier brûlant. Faute de soignants, des services d’urgences de nuit ferment les uns après les autres. L’urgentiste, Patrick Pelloux prédit un « été atroce ». En mars, un rapport du Sénat alertait déjà sur cette situation.
Simon Barbarit

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« La situation est catastrophique. Je n’ai jamais connu ça depuis 25 ans que j’exerce ce métier. Le système de santé est comme un verre d’eau plein. Au moindre incident, une petite canicule, un petit covid, ça va déborder ». A l’instar de son collègue Patrick Pelloux, Dr Jérôme Marty, médecin généraliste et président de l’UFML (Union française pour une médecine libre) tire la sonnette d’alarme.

Une « hémorragie » de soignants entraîne la fermeture des urgences de nuit un peu partout sur le territoire. C’est le cas de l’hôpital Pellegrin à Bordeaux. Sous tension par manque de personnels, les urgences n’accueilleront plus la nuit que les patients qui ont appelé le 15 pour être orientés à distance par un médecin.

D’autres hôpitaux de la région, à Jonzac, Sarlat, Orthez, Oloron-Sainte-Marie, Montmorillon, Marmande, Sainte-Foy-la-Grande… ont déjà adopté un système similaire ou limité le nombre de jours d’ouverture des urgences.

« La situation qui est décrite corrobore ce que nous avions relevé pendant nos travaux »

Sur Twitter, la sénatrice EELV de Gironde, Monique de Marco interpelle la nouvelle Première ministre, Élisabeth Borne pour réclamer « des moyens humains et financiers pour l’hôpital public ».


« Cette situation s’étend sur l’ensemble du territoire », confirme Catherine Deroche (LR), rapporteure de la récente commission d’enquête sur la situation de l’hôpital. « La situation qui est décrite corrobore ce que nous avions relevé pendant nos travaux ».

Dans un entretien accordé à Ouest France, Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France, prédit un été « atroce », « du jamais vu ». « Nous allons avoir des décès inopinés et involontaires dans les structures » assure-t-il.

Un constat que partage son collègue Jérôme Marty. « Aucun responsable politique n’a pris conscience de la crise que nous sommes en train de vivre. Une quantité de soignants ont déposé la blouse. Nous travaillons donc en mode dégradé dans tous les services y compris la médecine de ville ».

La première alerte avait été lancée par le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, en octobre dernier. Une enquête flash menée sous sa responsabilité avait fait état de 20 % de fermetures de lits dans les hôpitaux publics. En plein examen du projet de loi « vigilance sanitaire », les sénateurs avaient demandé au gouvernement un rapport sur le sujet. Faute d’avoir été entendus, une commission d’enquête avait été mise en place sous l’impulsion du groupe LR.

Lors de leurs auditions les élus de la chambre haute avaient vu leurs craintes confirmées. « Plus il y a de départs, plus les conditions de travail se dégradent pour ceux qui restent. Et plus les conditions de travail se dégradent, plus vous avez de nouveaux départs », avait résumé en décembre dernier, Thierry Amouroux, du syndicat national des professionnels infirmiers.

> > Lire notre article. « L’hôpital doit désormais sortir d’un pilotage erratique », appelle Catherine Deroche

C’est bien ce cercle infernal qui est décrit aujourd’hui. L’une des pistes proposées par Patrick Pelloux est de réintégrer sans attendre les soignants non-vaccinés. « Je n’ai rien contre mais c’est epsilonesque. On a beaucoup parlé de ce chiffre de 15 000 soignants non-vaccinés. Mais en réalité peu d’entre eux pratiquaient des soins », lui répond Jérôme Marty. Devant le Sénat, en octobre dernier, Olivier Véran indiquait que deux tiers des soignants suspendus étaient revenus au travail.

« Nous auditionnerons très vite le nouveau ministre de la santé »

Un autre enjeu de la crise que traverse le système de santé concerne la rémunération des personnels. A l’été 2021, le « Ségur de la santé » avait conduit à des revalorisations salariales. « Mais c’était surtout un rattrapage par rapport aux années précédentes. Et on a beaucoup focalisé sur les personnels qui avaient été oubliés. En est sorti un climat de frustration totale », rappelle Catherine Deroche.

« Le quoi qu’il en coûte doit s’appliquer à la santé et pendant des années », appuie Jérôme Marty qui plaide également pour une nouvelle gouvernance de l’hôpital. C’est l’administration qui doit se mettre au service des soignants et pas l’inverse. Le nouveau ministre de la Santé devra, dès son arrivée, convoquer une conférence permanente avec les professions de soins », insiste-t-il.

« Élisabeth Borne a placé la santé parmi ses priorités. C’est déjà encourageant. Nous auditionnerons très vite le nouveau ministre de la santé pour lui faire part de nos propositions pour remédier à cette situation », indique Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales du Sénat.

Garde : objet de discorde entre généralistes et médecins hospitaliers

Dans son rapport, la commission d’enquête avait en effet formulé bon nombre de préconisations comme la mise en place d’un « mécanisme d’alerte » lorsque le ratio de patients par soignants dépasse un seuil critique, faire une meilleure place de la communauté médicale dans les organes de décision, ou encore mieux coordonner les différents professionnels dans la permanence des soins. À ce sujet, ils jugeaient « prioritaire » de « revaloriser les tarifs de la permanence des soins ambulatoires de manière ciblée, ainsi que les tarifs de la visite à domicile ».

» Lire notre article. Les pistes de la commission d’enquête du Sénat pour sortir l’hôpital d’une « spirale négative »

Mardi, le président de la fédération hospitalière de France (FHF), Frédéric Valletoux a réclamé « une obligation de participation de tous les praticiens » aux gardes médicales. La demande a passablement agacé les syndicats de médecins libéraux. Franck Devulder, le président du premier syndicat de la profession (CSMF) s’est dit défavorable à une obligation « à titre individuel », mais pas collectivement « à l’échelle des territoires ». Il pose comme condition : un « coup de pouce » pour « rémunérer correctement » les gardes. Le président du CSMF s’est d’ailleurs étonné de « l’attentisme du gouvernement sur un sujet aussi chaud, à seulement quelques semaines des vacances d’été ».

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