Tik Tok Rules

Tik Tok : « Un concentré de la guerre froide technologique entre la Chine et les Etats-Unis » 

Dans le cadre de la commission d’enquête sénatoriale sur le réseau social chinois TikTok, les sénateurs ont auditionné Tariq Krim, entrepreneur et spécialiste du numérique et des nouvelles technologies. L’occasion pour la commission d’affiner son approche sur la singularité et les risques liés à l’application chinoise.
Henri Clavier

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Devant les sénateurs de la Commission d’enquête, Tariq Krim s’applique à replacer son propos dans le temps long en rappelant le contexte de l’émergence des réseaux sociaux, et pourquoi l’émergence de Tik Tok en est, finalement, une conséquence logique. Un propos qui pointe davantage une forme de négligence à l’égard des réseaux sociaux, de manière générale plutôt qu’un problème individuel lié à Tik Tok. « Pour comprendre ce qu’il se passe actuellement dans le monde et sur internet, il faut revenir en 2010 au moment où les gens commencent à avoir des smartphones », souligne Tariq Krim avant d’expliquer qu’ « avec l’arrivée des smartphones et des réseaux sociaux, on est dans une période de techno-utopie ». 

« Soyons honnêtes, la grande partie des choses qu’on reproche à Tik Tok, on peut les reprocher à toutes les applications » 

Dans ce contexte, Tariq Krim explique que Tik Tok ne présente pas une différence fondamentale avec les réseaux sociaux qui l’ont précédé. « Soyons honnêtes, la grande partie des choses qu’on reproche à Tik Tok on peut les reprocher à toutes les applications », affirme Tariq Krim. En effet, dès lors qu’une application cherche à retenir un consommateur sur sa plateforme, l’application cherche logiquement à proposer au consommateur un contenu à même de le satisfaire. « A partir du moment où il y a énormément de contenus sur une plateforme, personne ne peut suivre », rappelle Tariq Krim, ce qui implique donc de développer un algorithme basé sur les préférences personnelles afin de classer la pertinence des contenus proposés à l’utilisateur. 

Tik Tok présente donc les caractéristiques classiques d’un réseau social mais, pour Tariq Krim, ce qui a permis à Tik Tok d’émerger et de s’affirmer à l’international c’est une approche différente de ses concurrents. « Ce qui a changé avec Tik Tok, c’est qu’ils ont compris que la logique toxique que peuvent avoir des réseaux sociaux comme Twitter ou Instagram n’était pas optimale, ils ont choisi le modèle de micro entertainement », explique Tariq Krim. En bref, alors que Twitter a basé son modèle sur la conflictualité et Instagram sur l’image renvoyée à autrui, Tik Tok se concentre sur la capacité de son algorithme à proposer un contenu satisfaisant pour l’utilisateur. « On dit souvent que l’algorithme de Tik Tok est le meilleur mais c’est surtout parce que c’est du contenu de 50 secondes », informe Tariq Krim en rappelant que « ce qui pose problème c’est qu’évidemment les vidéos doivent être de plus en plus engageantes pour vous attirer ». En proposant du contenu de 50 secondes, l’algorithme peut aisément déterminer si le contenu est apprécié ou non, et donc la phase d’apprentissage est très courte. Tik Tok ne se démarque donc pas vraiment, par sa nature, de ses concurrents mais propose surtout une stratégie commerciale différente. 

« Aujourd’hui, l’objectif est d’empêcher la Chine d’exporter des produits à forte valeur ajoutée » 

Pour Tariq Krim, il n’est « pas possible de comprendre ce qu’il se passe avec Tik Tok sans comprendre les enjeux et la guerre froide technologique entre la Chine et les Etats-Unis ». Ce dernier rappelle que la politique étrangère américaine s’est progressivement tournée vers une forme de « containment » de l’essor économique de la Chine, en particulier sur l’innovation technologique. Une guerre technologique qui prend sa source dès le branchement de la Chine à internet en 1994. Depuis, la Chine contrôle les contenus diffusés et a interdit l’ensemble des réseaux sociaux étranger sur son territoire. Il s’agit donc d’un des principaux ressorts de cette guerre technologique entre Chine et Etats-Unis puisque « Tik Tok peut générer 12 milliards de dollars sur les marchés occidentaux mais l’inverse n’est pas vrai », rappelle Tariq Krim. 

« Aujourd’hui, l’objectif est d’empêcher la Chine d’exporter des produits à forte valeur ajoutée, comme Huawei, ZTE, la 5G ou Tik Tok », rappelle Tariq Krim. Tik Tok est donc avant tout un élément de la guerre technologique entre la Chine et les Etats-Unis, puisque « l’idée c’est d’empêcher la Chine d’avoir accès aux technologies Américaines et Européennes ».

« J’ai l’impression que la collecte des données privées a baissé »

Malgré ces éléments, Tik Tok suscite des inquiétudes pour son affiliation au régime chinois et donc la possibilité d’utiliser l’application comme un outil de renseignement. Fantasme ou réalité ? Oui Tik Tok est totalement soumis au droit chinois, mais « j’ai l’impression que la collecte des données privées a baissé car je pense que ce n’est pas la priorité pour Tik Tok, aujourd’hui Tik Tok est dans une logique de micro entertainement », estime Tariq Krim. Au-delà de la collecte de données, la valeur d’usage, c’est-à-dire la fréquence de l’utilisation qui permet d’améliorer la connaissance des usages d’un individu. Par conséquent, l’application n’a que peu d’intérêts pour les données personnelles et intimes explique Tariq Krim qui insiste sur le fait que « l’obsession de ces entreprises c’est de créer des systèmes qui sont le plus fluides possible pour y intégrer de la publicité ». Un cycle consommateur qui « a été pensé pour créer de l’addiction instantanée ».

C’est sous cet angle que Tariq Krim juge que Tik Tok peut être un outil d’influence. « C’est un outil d’influence a minima, un réseau social qui rend passif les générations occidentales, les jeunes générations ont des capacités d’attention très faibles », détaille Tariq Krim. Par ailleurs, le contenu proposé sur Tik Tok (limité à 50 secondes) formate le rapport à l’information pour des générations dont le rapport aux médias classiques est de plus en plus difficile puisque « c’est aussi un outil qui a une vocation informationnelle », rappelle Tariq Krim.

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