Twitter : « Son rachat par Elon Musk pose la question d’un retour en arrière dans la pacification des conversations en ligne »

Twitter : « Son rachat par Elon Musk pose la question d’un retour en arrière dans la pacification des conversations en ligne »

Patron de SpaceX et de Tesla, l’homme le plus riche du monde, Elon Musk vient de racheter le réseau social Twitter pour 44 milliards de dollars au nom de la liberté d’expression dans sa conception la plus extrême. Quel va être son impact sur la démocratie ? Entretien avec Olivier Tesquet, journaliste spécialiste des questions numériques à Télérama.
Simon Barbarit

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Elon Musk est un milliardaire qui vient de racheter un réseau social au nom de la liberté d’expression dans sa conception la plus extrême. Il se revendique du courant libertarien. C’est un courant de pensée qui nous est étranger en France ?

C’est un courant de pensée assez marginal aux Etats Unis, mais très répandu chez les patrons de la tech. Ces dirigeants de la Silicon Valley pensent que l’Etat doit être réduit à sa plus simple expression. En conséquence, il y a une surreprésentation de ce courant de pensée dans les nouvelles technologies, et Musk en est l’exemple, avec sa vision assez absolutiste de la liberté d’expression.

Justement, Musk à la tête de Twitter, cela veut-il dire qu’on doit dire adieu à toute modération et donc voir nos sociétés démocratiques menacées ?

L’impact des réseaux sociaux sur la démocratie, on le voyait déjà. Le modèle économique de ces plateformes découle d’une pensée, l’idéologie californienne, c’est-à-dire la version numérique du libertarianisme. Twitter a laissé proliférer des discours de haine et a montré des vraies limites dans la modération jusqu’à encore récemment. La vraie question avec le rachat de Twitter par Elon Musk c’est : va-t-on revenir en arrière dans la pacification de la conversation en ligne ?

A l’inverse, on a vu que la modération est perfectible. On peut également s’inquiéter de cette tendance qu’ont les Etats à déléguer à des plateformes privées, l’automatisation des retraits de contenus.

Le rachat de Twitter par Elon Musk intervient quelques jours après l’adoption par l’Union européenne du Digital Services Act (DSA), une réglementation qui encadre notamment la désinformation, pourra-t-il donc avoir les coudées franches sur le continent européen ?

Cette réglementation concerne notamment les plateformes de plus 45 millions d’utilisateurs. Elles seront contraintes à un principe de responsabilité, et auront l’obligation de retirer rapidement sur les contenus illégaux, comme les appels au meurtre. Mais jusqu’à quel point Elon Musk va se plier à cette réglementation notamment en ce qui concerne les contenus situés la « zone grise », ce qu’on appelle les discours de haine. Thierry Breton (le commissaire européen au Marché intérieur) a rappelé que Twitter devra se soumettre au DSA. Et Elon Musk a dit que sa vision de la liberté d’expression est respectueuse de la loi. Les amendes peuvent aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires, ça va être un bon test pour voir comment il envisage la modération.

Il prendra la tête du réseau social à la fin de l’année, ça correspond aux élections de mi-mandat aux Etats-Unis, un autre bon test.

Nous, journalistes, nous sommes des utilisateurs réguliers de Twitter. Mais n’avons-nous pas une vision déformante de l’impact de ce réseau social sur la démocratie ?

Quand on compare le nombre d’utilisateur de Facebook et Twitter c’est sans commune mesure. Néanmoins, Twitter est le réseau où se trouvent les médias et les responsables politiques. Certes, il donne une vision déformée et polarisée du débat public, mais c’est aussi l’endroit où se joue une sorte de guerre culturelle. C’est là ou des thématiques ultra-contemporaines sont abordées. Est-ce qu’on parlerait du wokisme sans Twitter ?

Elon Musk est justement un farouchement opposant au wokisme

Il est dans ce courant de conservatisme qui se plaint que les plateformes l’ont invisibilisé. Qu’on ne peut plus rien dire…

Quand on parle du rachat de Twitter par Elon Musk, on parle aussi du retour de Donald Trump sur le réseau.

C’est la grande question. Le bannissement de Donald Trump, c’est l’exemple totémique de la modération de Twitter. Elon Musk n’a pas fermé la porte au retour de Trump. Par le passé, il a toujours accepté de dialoguer avec lui. Il est indépendant, ni Démocrate ni Républicain. Il s’est toujours laissé les coudées franches pour défendre ses intérêts.

Depuis l’annonce du rachat de Twitter par Elon Musk, on a observé un retour en force des comptes conservateurs, que doit-on en présager ?

Pour l’instant, un certain nombre de personnalités politiques et de citoyens lambda qui étaient à la marge du débat politique sont en train de prendre la température de l’eau, de voir jusqu’à quel point ils peuvent aller. Il va être intéressant de voir, dans les semaines qui viennent, quel sort leur sera réservé.

Ce rachat était-il prévisible ?

C’est assez imprévisible dans la mesure où il n’a manifesté son intérêt de racheter Twitter que récemment. On a également appris il n’y a que quelques semaines, qu’il avait des parts dans cette entreprise. Et entre l’annonce de son intérêt et l’effectivité du rachat il ne s’est passé que huit jours.

Elon Musk est quelqu’un qui de toute façon est assez imprévisible. Mais c’est un utilisateur forcené de Twitter il s’en sert pour mettre en avant les intérêts de ces entreprises, en particulier Tesla.

>> Lire aussi : Samuel Laurent : « Twitter, c’est le réseau des gens en colère »

 

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