« Un fiasco évitable » : le rapport au vitriol du Sénat sur les violences au Stade de France

« Un fiasco évitable » : le rapport au vitriol du Sénat sur les violences au Stade de France

Le Sénat publie ce mercredi son rapport sur les incidents qui ont entaché la finale de la Ligue des champions au Stade de France. Les élus pointent les nombreux dysfonctionnements du dispositif sécurité, pris de court par une série d’événements qui, selon eux, auraient pu être anticipés. Ils reprochent à Gérald Darmanin d’avoir cherché à décharger les autorités publiques de leur responsabilité en ciblant l’attitude des supporters britanniques.
Romain David

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Les organisateurs et les services de sécurité n’étaient pas suffisamment préparés. Voici, en résumé, les conclusions du Sénat sur les incidents survenus au Stade de France le 28 mai dernier, en marge de la rencontre Liverpool-Real Madrid. Dans un rapport très attendu publié ce mercredi 13 juillet, et au titre particulièrement évocateur – « Finale de la Ligue des Champions : un fiasco évitable » – les élus de la Chambre Haute accablent plus particulièrement deux acteurs : l’UEFA et la préfecture de police de Paris. Ils leur reprochent de ne pas avoir suffisamment pris en compte, voire pas du tout, des phénomènes pourtant récurrents à certaines rencontres sportives, et donc bien identifiés. Ils reconnaissent toutefois que le délai imparti de trois mois pour organiser cette finale, qui devait initialement se tenir en Russie, n’a pas facilité l’anticipation et la réflexion autour des différents scénarios de crise.

Surtout, la Chambre haute reproche au gouvernement, et notamment au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, d’avoir cherché à minimiser l’insuffisance des autorités et des organisateurs, déplaçant pour une large part la responsabilité sur les supporters de Liverpool, sans remettre en cause l’efficacité et la souplesse du dispositif déployé « face à la multiplication d’événements non anticipés ». « La volonté politique de faire apparaître la présence des supporters britanniques comme la seule cause de la situation de chaos qu’a connu le Stade de France, avec peut-être la volonté de masquer les mauvais choix d’organisation retenus, n’est en tout état de cause pas acceptable », écrivent-ils. Les élus notent par ailleurs que les premiers « regrets » et éléments d’excuses sur la gestion de cette finale n’ont été formulés qu’au cours des auditions organisées par les commissions du Sénat, soit plus de trois jours après les débordements.

La gestion « inadaptée « de la billetterie par l’UEFA

Si l’impression de tickets en papiers, à la demande du club de Liverpool, n’est pas contraire à la réglementation, elle a largement favorisé les falsifications, un phénomène pourtant bien connu avec ce type de billets. Or, les sénateurs reprochent à l’UEFA, qui a souscrit à cette exigence, de ne pas avoir mis en place de dispositifs particuliers pour anticiper la fraude. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait notamemnt évoqué à plusieurs reprise la présence de 30 000 supporters sans billets ou munis de faux billets.

Par ailleurs, en exigeant que les points de préfiltrage de sécurité mis en place aux abords du stade, dans le cadre du dispositif antiterroriste, soient aussi l’occasion d’un premier contrôle de validité des billets, l’inter-fédération a indirectement contribué à l’engorgement de certaines voies d’accès. Mais les sénateurs insistent aussi sur la responsabilité de la préfecture de police, qui a validé ce système. « L’accord donné à la mise en place d’un contrôle de validité des billets au niveau du préfiltrage, selon un dispositif mis en œuvre sur la base d’un précédent unique et apparemment peu conclusif au Stade de France, était d’emblée inopportun. »

Des supporters livrés à eux-mêmes

« L’accueil dans un cadre festif des supporters a été négligé », estime le Sénat. « Les auditions des associations de supporters ont mis en avant une organisation de la sécurité du match fondée sur une vision datée des supporters britanniques, renvoyant aux hooligans des années 1980. Les responsables publics ont ainsi été presque exclusivement attachés à gérer sous l’angle du maintien de l’ordre les supporters anglais sans billet, qui ont une habitude connue de venir soutenir leur équipe pour profiter de l’ambiance du match à l’extérieur du stade. » Les sénateurs déplorent le manque d’agents d’accueil ou encore l’absence d’une signalisation adaptée qui aurait permis de fluidifier l’accueil du public tout en valorisant « l’expérience spectateur ».

Également en cause : les lacunes du plan de mobilités mis en place par la Fédération française de football, à qui incombait la charge d’accompagner les supporters depuis leur arrivée en France jusqu’aux abords du stade. Ce plan n’a pas suffisamment pris en compte les aléas liés à l’utilisation des transports en commun. Au cœur du problème : la grève du RER D, principal moyen d’accès au Stade de France, le soir du match. Le mouvement social a conduit à un report massif des supporters sur le RER D, dont les infrastructures sont moins bien dimensionnées, et ce alors que le trafic restait assuré à 80 % sur la ligne D. Durant son audition, le directeur des relations institutionnelles de la FFF a reproché à la RATP d’avoir diffusé dans certaines gares, notamment le hub de Châtelet-les Halles, des messages d’informations invitant les supporters à se reporter sur le RER D, ce qui a pris de court les organisateurs. Dans leurs préconisations, les élus insistent sur la nécessité de mettre en place une communication en temps réel entre les différents acteurs.

Un dispositif de sécurité perçu comme agressif, et pourtant inefficient

Autre phénomène passé au crible par la Chambre Haute : la multiplication des pickpockets et voleurs à la tire, qui ont profité de la confusion pour s’introduire sur le mail du stade. Selon le rapport, le dispositif de sécurité, essentiellement focalisé sur la menace terroriste, n’était pas en mesure de répondre à cette problématique qui, là encore, aurait pu être anticipée.  « La présence de ces délinquants, bien que d’une ampleur apparemment inédite, était prévisible. Dans les jours précédant l’événement, les personnels du Stade de France et le maire de Saint-Denis ont fait part d’une effervescence inhabituelle autour du match et de l’enceinte. Ces observations n’ont cependant pas conduit, semble-t-il, à une alerte de la part du renseignement territorial. Les effectifs destinés à lutter contre la délinquance étaient donc sous-dimensionnés et n’ont pas été abondés de manière suffisante, malgré de multiples intrusions et vols à compter de la mi-journée le 28 mai. », lit-on sous la plume des sénateurs.

Les sénateurs reconnaissent que l’utilisation du gaz lacrymogène pour faire reculer la foule a permis d’éviter l’envahissement du stade. Son emploi, largement assumé en cours d’audition par le préfet Didier Lallement, a toutefois été largement critiqué et perçu comme une méthode « particulièrement agressive » par des supporters venus de pays où elle n’a pas court. Surtout, les élus s’interrogent sur la cohérence de la doctrine de gestion des foules, pointant une différence de discours entre Gérald Darmanin et le préfet. « La question de l’usage du gaz lacrymogène montre les contradictions parmi les responsables des forces de sécurité intérieure. En effet, à l’inverse des affirmations répétées du préfet de police, le ministre de l’Intérieur a admis que le recours au gaz lacrymogène devrait sans doute évoluer. »

Disparition de la vidéosurveillance : la négligence des organisateurs, de la préfecture et du parquet pointée du doigt

Le rapport revient également sur la disparition polémique des images de vidéosurveillance du consortium du Stade de France, automatiquement supprimées pour des questions de droits au bout de sept jours, à moins d’une réquisition judiciaire. Ces images auraient notamment permis de documenter les affirmations du ministre de l’Intérieur sur la présence de plusieurs dizaines de milliers de fans sans billets aux abords du stade. « Ni le consortium, qui aurait dû avoir la présence d’esprit d’interroger les autorités judiciaires dans le délai réduit de sept jours qu’elle s’est elle-même fixée, ni la préfecture de police, ni le parquet de Bobigny, n’ont agi avec diligence pour sauvegarder une preuve indispensable à la manifestation de la vérité. » Par ailleurs, les élus indiquent ne pas avoir pu consulter les images conservées par la ville de Seine-Saint-Denis, ni celles de la SNCF et de la RATP, « malgré l’invitation du ministre de l’intérieur ».

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