Un rapport du Sénat propose d’expérimenter la carte « famille monoparentale »

Dans un rapport consacré à la monoparentalité, la délégation sénatoriale aux droits des femmes alerte sur le manque de reconnaissance de ce modèle familial, qui concerne pourtant un quart des familles françaises. Les élus formulent différentes propositions, notamment pour améliorer les prestations sociales dont peuvent bénéficier les parents qui élèvent seuls leurs enfants.
Romain David

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Après la carte famille nombreuse, faut-il une carte famille monoparentale ? Un rapport du Sénat propose la création, à titre expérimental, d’un titre « famille monoparentale », qui ouvrirait certains droits et permettrait à ses détenteurs d’accéder plus facilement à des tarifs préférentiels.

« Alors que les familles monoparentales s’inscrivent indiscutablement dans les normes de la parentalité contemporaine, ce modèle parental fait parfois l’objet d’une forme de stigmatisation et d’un manque de reconnaissance, qui expliquent sans doute pourquoi les politiques publiques à destination des familles monoparentales, si elles existent, peinent aujourd’hui à atteindre leurs objectifs et à soutenir efficacement ce public », lit-on dans ce rapport d’information baptisé « familles monoparentales : pour un changement des représentations sociétales », et réalisé sous l’égide de la délégation sénatoriale aux Droits des femmes.

Centraliser les initiatives existantes

Cette carte serait facultative et renouvelable chaque année, elle permettrait notamment à différentes entités, comme les entreprises, les collectivités territoriales ou les services publics, qui mettent en place des politiques de soutien à destination des parents qui élèvent seuls leurs enfants, d’identifier plus facilement les personnes concernées. « Cette carte viendrait répondre à un certain nombre de difficultés. On a rencontré des entreprises qui voudraient proposer des politiques RSE aux familles monoparentales, comme le doublement des jours de congé enfant malade, ou une plus grande flexibilité sur les horaires de travail, mais qui estiment ne pas avoir de cadre juridique pour le faire », explique la co-rapporteure PS Colombe Brossel.

La mise en place d’un statut « famille monoparentale », inhérent à la création d’une carte, serait aussi une manière de lutter contre le phénomène du non-recours. Selon les chiffres de la Caf, entre 14 et 17 % des allocataires susceptibles de bénéficier de l’Allocation de soutien familial (ASF), une aide à destination des parents séparés, ne font pas valoir leurs droits.

Un modèle familial exposé à la paupérisation

En France, une famille sur quatre est une famille monoparentale, soit 2 millions de familles. 82 % des familles monoparentales ont à leur tête des femmes, selon les chiffres présentés par le Sénat. « Les familles monoparentales, et tout particulièrement les mères isolées, sont exposées à un cumul sous-estimé d’inégalités et de difficultés : inégalités de genre, niveau de vie inférieur, privations matérielles et sociales, difficultés d’emploi, de logement, de mode de garde, etc. », alerte la Chambre haute.

Ainsi, 41 % des enfants issus de familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté. Ce chiffre grimpe à 46 % chez les enfants qui vivent seuls avec leur mère. Après une séparation, la baisse du niveau de vie durant l’année qui suit la rupture est également plus marquée pour ceux qui restent avec leur mère, 25 %, contre seulement 11 % pour les enfants qui s’installent chez leur père.

Supprimer les incohérences fiscales

Le rapport du Sénat formule dix propositions afin d’apporter un soutien mieux adapté aux problématiques liées à ce type de modèle familial, mais aussi pour lutter contre certaines formes de stigmatisation et un manque de reconnaissance.

Parmi elles, une remise à plat des aides sociales afin de corriger plusieurs incohérences, notamment le risque de baisse des ressources lorsque le parent se remet en couple, du fait de la suppression de certaines prestations sociales. Actuellement, deux dispositifs ciblent les familles monoparentales : l’Allocation de soutien familial (ASF) et la demi-part fiscale supplémentaire. Le rapport propose ainsi d’expérimenter un « maintien provisoire » de l’ASF en cas de remise en couple du parent. « L’idée générale est de rendre plus juste et plus lisible le dispositif socio-fiscal », explique la corapporteure LR Béatrice Gosselin.

Une pension alimentaire mieux adaptée aux besoins de l’enfant

Les élus ont également engagé un travail de réflexion autour de la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant (CEEE), la fameuse « pension alimentaire », versée de plein gré ou sur décision de justice par l’un des deux parents. Son montant moyen est de 190 euros par mois et par enfant. « Or, le coût réel des dépenses pour l’éducation d’un enfant se situe entre 200 et 900 euros, avec une moyenne qui tourne autour de 750 euros par mois. Les variations sont très importantes selon le lieu d’habitation », pointe Béatrice Gosselin.

Plus d’un ex-conjoint sur quatre ne verse pas cette pension. Dans deux tiers des cas, le montant versé est inférieur au barème défini par le ministère de la Justice. Le rapport pointe également la mise en place d’un barème spécifique aux Caf, ce qui vient brouiller la lisibilité du dispositif. Les rapporteures souhaitent une révision des critères de fixation du montant de la CEEE, afin qu’ils intègrent les revenus du parent-gardien, ce qui n’est pas le cas actuellement, mais aussi différentes dépenses liées à la vie de l’enfant (activités extrascolaires, cantine, soins médicaux…). Elles veulent également instaurer un abattement fiscal sur le montant de la CEEE, de manière à prévenir une éventuelle perte de prestations sociales.

Les élues évoquent enfin la possibilité d’un prélèvement à la source pour lutter contre les impayés. Depuis 2023, l’agence de recouvrement et d’intermédiation des pensions alimentaires (aripa) est supposée garantir le versement des pensions alimentaires. « Le prélèvement à la source pourrait intervenir au cas par cas, pour régler les situations de blocage », explique Béatrice Gosselin.

« On a eu l’impression de soulever un angle mort des politiques publiques »

« La mission que nous avons menée sur la monoparentalité nous amène à deux conclusions », résume Dominique Vérien, la présidente centriste de la délégation aux droits des femmes. « Non seulement le cumul des difficultés auxquelles font face les parents seuls est sous-estimé, mais par ailleurs, les politiques publiques qui leur sont destinées peinent à les soutenir », explique-t-elle. « Quand on a commencé nos travaux en décembre, on a eu l’impression de soulever un angle mort des politiques publiques », abonde Colombe Brossel.

Pour autant, depuis plusieurs semaines gouvernement et députés se sont saisis de ce dossier. Début mars, Sarah El Haïry, la ministre déléguée chargée de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles, a demandé à deux membres de la majorité présidentielle, la députée Fanta Berete et le sénateur Xavier Iacovelli, de plancher sur les aides aux familles monoparentales, sans que l’on sache si ces travaux viendront nourrir un éventuel projet de loi. « Evidemment nous souhaitons que nos propositions soient reprises. Nous allons rencontrer la ministre, je sais qu’elle attendait notre rapport », glisse Dominique Vérien.

En parallèle, l’Assemblée nationale a mis en place en octobre un groupe de travail transpartisan sur cette question, piloté par le député socialiste Philippe Brun, et qui devrait prochainement accoucher d’une proposition de loi.

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