Vaccin AstraZeneca : « il n’y a pas un grand engouement », affirme Corinne Imbert

Vaccin AstraZeneca : « il n’y a pas un grand engouement », affirme Corinne Imbert

Face au retard pris dans la campagne de vaccination AstraZeneca, le gouvernement et les médecins généralistes se renvoient la balle. Les problèmes de logistique permettent-ils d’expliquer ce retard ou les réticences supposées des médecins généralistes mettent-elles l’obligation vaccinale à l’ordre du jour ?
Louis Mollier-Sabet

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La progression de la couverture vaccinale a d’abord soulevé des problèmes d’approvisionnement, mais aujourd’hui l’administration des doses réceptionnées semble elle aussi patiner : d’après Covidtracker environ 4 600 000 doses de vaccins ont été administrées pour environ 8 millions de doses réceptionnées. Ce décalage semble particulièrement fort concernant les doses du vaccin AstraZeneca, dont seulement 25 % des doses auraient été administrées. Celui-ci serait légèrement moins efficace et provoquerait des effets secondaires bénins. De là à y voir une réticence des professionnels de santé à l’égard de ce vaccin ? Hier, le syndicat de médecins généralistes MG France a très fermement réfuté cette hypothèse dans un communiqué « accus [ant] les autorités sanitaires de tenter de chercher un bouc émissaire qui serait responsable de ces retards » :

« Les médecins généralistes ont effectué sans bruit 200 000 vaccinations anti-Covid AstraZeneca®. C’est donc avec une colère non contenue que ces mêmes médecins généralistes entendent que seul un quart des vaccins disponibles aurait été utilisé. »

Vaccin AstraZeneca : « Je suis désolé de voir que les professionnels de santé ne sont pas plus motivés »

Nous avons interrogé René-Paul Savary sur l’éventuelle défiance des professionnels de santé à l’égard du vaccin AstraZeneca, qui nous a confié être « désolé de voir que les professionnels de santé ne sont pas plus motivés. L’AstraZeneca repose sur un mode de fonctionnement que l’on connaît bien : on sait que ça marche, on aura des pourcentages de réussite plus importants. » Le sénateur LR, par ailleurs médecin généraliste, ajoute : « Il y a une réaction à l’injection, mais elle traduit l’efficacité du vaccin et simplement prendre du paracétamol en préventif permet d’éviter ces effets secondaires. » Pour lui, le retard pris dans la vaccination des professionnels de santé « posera le problème de rendre la vaccination obligatoire auprès des soignants. »

« Ce n’est pas possible » poursuit-il : « il y a un problème éthique et altruiste qui se pose. Se vacciner c’est se protéger soi-même mais aussi protéger les autres. Il faut que nos soignants montrent l’exemple. »

Olivier Véran posait ainsi il y a une semaine devant le CESE la question de l’obligation vaccinale pour les soignants qui exercent en Ehpad, évoquant notamment le décalage entre le taux de vaccination des résidants (80 %) et celui des soignants (50 %). Les réticences des soignants par rapport au vaccin AstraZeneca pourraient-elles expliquer ce retard ? Bernard Jomier, sénateur PS et médecin, comprend l’attractivité que peuvent avoir les vaccins Pfizer et Moderna : « Quand vous avez la possibilité d’avoir une Rolls Royce vous ne voulez pas d’une 4L. Les vaccins à ARN sont excellents, ils ont des taux d’efficacité à 95 % avec pas d’effets secondaires, c’est l’idéal. Astra Zeneca est un bon vaccin mais les professionnels de santé qui sont bien au courant, se tournent plus vers le Pfizer ou le Moderna. »

« Ce n’est pas le moment de poser la question de l’obligation vaccinale »

Mais contrairement à René-Paul Savary, Bernard Jomier ne voit pour autant pas dans l’éventuel retard pris par le vaccin AstraZeneca une raison de poser la question de l’obligation vaccinale : « Cette communication est comme une fuite en avant qui a pour but de masquer la situation dans laquelle le chef de l’Etat s’est mis tout seul. La réalité, c’est qu’il y a beaucoup de gens volontaires qui n’arrivent pas à se faire vacciner. » En effet, d’après le rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion de la crise sanitaire « il y a aujourd’hui une pénurie de vaccin qui est mondiale, ce n’est donc pas nécessairement la faute du gouvernement, mais il faut le dire. Le passeport sanitaire n’est donc pas le sujet pour le moment, même si ça peut le devenir. »

Le sénateur de Paris rappelle tout de même que « l’enjeu est de vacciner très vite le plus de personnes possibles et donc les vacciner avec ce qui est disponible. » Il ajoute, rejoignant ainsi René-Paul Savary, qu’« aujourd’hui on a beaucoup de questions sur l’Astra Zeneca mais progressivement on va comprendre et ce vaccin protège très largement des formes sévères. Les effets secondaires peuvent être embêtants certes, mais sont bénins. » Avant de conclure : « Rappelons-nous qu’il y a un mois personne ne voulait du Pfizer. »

Vaccin AstraZeneca : « Des difficultés logistiques pour les médecins généralistes »

Ce désamour du vaccin AstraZeneca serait donc passager et ne serait pas responsable de ce retard pris dans l’administration des doses en population générale ? Interrogée sur les difficultés logistiques qu’a pu poser cette campagne vaccinale avec la sénatrice LR, Corinne Imbert, pharmacienne de profession, estime qu’ « il y a peut-être des difficultés logistiques pour les médecins généralistes. On avait la moitié des médecins généralistes qui étaient prêts à utiliser le vaccin AstraZeneca la semaine dernière » précise-t-elle. En effet, la sénatrice détaille le processus : « Il y a 15 jours, il fallait contacter une officine pour que ce flacon soit livré à la pharmacie et remit au médecin. » Or, un flacon du vaccin AstraZeneca contient 10 doses et une fois ouvert, « il faut que la totalité du flacon soit utilisée dans un délai de 6 heures contre 48h dans un frigo à température contrôlée, que les médecins n’ont pas en général. »

Pour Corinne Imbert, ces contraintes « réduisent le temps durant lequel le médecin peut vacciner : il faut trouver 10 patients disponibles sur la même demi-journée, de 50 à 64 ans, qui présentaient des comorbidités et qui acceptent la vaccination. L’addition de tout ça fait qu’il n’y avait pas un grand engouement autour de cette campagne de vaccination. » Une solution pour pallier ces difficultés serait de recourir aux officines de pharmacie pour administrer les vaccins, comme le suggère la Haute Autorité de Santé dans son avis d’hier : « On attend le décret du ministre sur l’ouverture de la vaccination aux infirmiers et pharmaciens : Les pharmacies ont des frigos à température contrôlée, ce qui permet une meilleure conservation du vaccin. Cela donne un peu plus de souplesse car un flacon peut être conservé jusqu’à 48h dans ces conditions, mais il faut tout de même le faire le plus rapidement possible » explique ainsi la sénatrice de Charente-Maritime.

Le sénateur René-Paul Savary rejoint sa collègue sur ce point en misant sur le lien de confiance qui unit les pharmaciens et leur patientèle : « La vaccination doit se faire par le pharmacien ou le médecin traitant : il faut convaincre les gens. Il faut multiplier les points d’injection pour que les gens rencontrent des professionnels de santé qui les motivent et qui les convainquent. Les gens ont confiance dans leurs pharmaciens ou leurs médecins ou leurs infirmiers, ce lien est important. »

Vaccination : « On devrait commencer à voir des effets début avril, […] il fallait anticiper »

A plus long terme, Bernard Jomier regrette que la politique vaccinale n’ait pas fait l’objet d’une planification plus poussée et n’ait pas été articulée avec les mesures de confinement ou de couvre-feu. Le sénateur PS dessine le calendrier qui devrait guider la politique vaccinale : « En janvier le « zéro covid » n’était pas envisageable mais la stratégie d’éliminer le virus se pose à partir du moment où l’on pourra vacciner 30 ou 40 millions de Français : et là on pourra prendre des mesures d’obligation ou de passeport vaccinal. La stratégie vaccinale répond à des objectifs : jusqu’à fin avril c’est mettre à l’abri les personnes vulnérables pour éviter la saturation des hôpitaux, d’accord. Ensuite on fait quoi des vaccins pour éliminer le virus et anticiper ? »

Le rapport de la commission d’enquête du Sénat qui avait mené ses travaux de juillet à décembre 2020 identifiait un manque d’adaptation et un manque d’anticipation dans la gestion de la crise sanitaire, Bernard Jomier explique aujourd’hui que « le gouvernement est en train de rentrer dans une politique d’adaptation aux territoires et aux situations, mais l’anticipation n’est toujours pas mise en œuvre. » Le sénateur de Paris met ainsi en cause la décision du gouvernement de ne pas avoir pris des mesures plus restrictives dès février et de ne pas avoir planifié les mesures de confinement en fonction de la stratégie vaccinale : « Il aurait été plus raisonnable de prendre des mesures restrictives territorialisées en février ce qui aurait permis de faire baisser le niveau actuel de circulation du virus, qui est bien trop élevé, et de laisser la couverture vaccinale prendre le relais fin mars. »

Pour Bernard Jomier, la politique de vaccination devrait en effet commencer à porter ses fruits dans quelques semaines, au début du mois d’avril : « Toujours est-il qu’on sera fin mars à 6 ou 8 millions de personnes qui seront entrées en vaccination : on va donc commencer à voir l’effet début avril, puisqu’il y a en gros 15 millions de personnes vulnérables à protéger pour éviter la saturation du système de santé. »

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