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Vidéosurveillance algorithmique : l’expérimentation pendant les JO, une simple étape vers la généralisation ?

L’exécutif a indiqué vouloir généraliser un dispositif controversé de vidéosurveillance algorithmique mis en place lors des Jeux Olympiques et dont l’expérimentation arrive à son terme le 31 mars 2025. Problème, cette annonce a été faite avant la remise du rapport d’un comité d’évaluation, inscrit dans la loi. Matignon a dû rétropédaler et précise qu’il attendra le rapport avant de se prononcer. Au Sénat, personne n’est dupe sur sa généralisation prochaine.
Simon Barbarit

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Michel Barnier est resté vague lors de son discours de politique générale. Au moment d’aborder les enjeux de sécurité, le Premier ministre à indiquer vouloir la « généralisation de la méthode expérimentée pendant les Jeux olympiques ». Nos confrères de franceinfo se sont par la suite fait confirmer par Matignon, que la vidéosurveillance algorithmique dont l’expérimentation est prévue jusqu’au 31 mars 2025, était comprise dans la généralisation. Rien d’étonnant a priori, puisque Laurent Nunez, le préfet de police de Paris déclarait la semaine dernière devant la commission des lois de l’Assemblée, être « à titre personnel très favorable » à la généralisation.

Pourtant, au moment de l’adoption de la loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques, en avril 2023, le législateur avait pris moult précautions pour encadrer ce dispositif « d’aide à la décision » ayant recours à l’intelligence artificielle, à des d’algorithmes, avec pour objectif de détecter en temps réel les comportements jugés « anormaux », comme des mouvements de foule, une personne qui court, un attroupement dans les transports, mais aussi les gares. La gauche du Sénat avait dénoncé une dérive « vers une société de surveillance » et une menace pour les libertés fondamentales (lire notre article).

Parmi les garanties, le Sénat avait renforcé le contrôle de la Cnil dans la phase d’apprentissage par l’intelligence artificielle, ou encore imposé une déclaration d’intérêt pour les entreprises en charge de gérer les algorithmes et de conserver des données. En commission mixte paritaire, députés et sénateurs étaient tombés d’accord sur la date du 31 mars 2025 pour la fin de l’expérimentation. Sur la base d’un rapport d’expérimentation, remis par un comité d’évaluation le 31 décembre 2024, « le Parlement aura 3 mois pour décider de pérenniser ce dispositif », avait précisé à publicsénat.fr Agnès Canayer, la rapporteure LR du texte et désormais ministre déléguée en charge de la Famille et de la Petite Enfance.

« Le comité d’évaluation, c’est du flan ? »

Or, nous ne sommes pas le 31 décembre et Matignon s’est vu obliger de préciser qu’il attendrait les conclusions du rapport pour s’engager dans une généralisation. Cette annonce quelque peu précipitée conduit à de sérieux doutes sur l’utilité de ce comité d’évaluation auquel participent deux sénateurs. « Il y a deux questions. La question de fond : est-ce que le système marche ? Et la question de principe : Le comité d’évaluation, c’est du flan ? », s’agace le sénateur socialiste, Jérôme Durain, membre du comité. Après avoir fait plusieurs déplacements et quelques réunions plénières, Jérôme Durain ne déflore pas un secret d’Etat en déclarant que le système n’est pas au point.

En avril dernier, la mission de suivi de l’organisation des Jeux Olympiques, pilotée par la sénatrice Agnès Canayer, et la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie avait constaté que « l’utilisation de la vidéoprotection augmentée ne sera pas optimum au moment des JO. Les JO n’étaient plus qu’un « grand terrain de jeux pour l’expérimenter ». « La ficelle est un peu grosse. Que Laurent Nunez s’autorise à évoquer une généralisation avant même la fin de l’expérimentation, ce n’est pas acceptable. Nous avions pu le constater lors de notre mission qu’il y avait un nombre d’erreurs incroyables », rapporte Marie-Pierre de la Gontrie.

« Il y a un manque de transparence »

« Il y a huit cas d’usage pour ce système, par exemple le repérage de mouvements de foule, d’une personne allongée sur les rails d’un train, une voiture qui roule à contresens… En ce qui concerne le repérage de colis abandonnés ou la détection des armes, on a pu constater que ce n’était pas efficace. Alors quand on parle de généralisation, à quel cas d’usage fait-on référence, est-il prévu d’en ajouter d’autres ou d’en ôter ? », souligne Jérôme Durain. « Il y a un manque de transparence dans cette histoire. Quand on parle de vidéo protection, le point Godwin, c’est la lutte contre le terrorisme. Mais on sait qu’il existe des intérêts des industriels français dans la généralisation du système. Il y a aussi une forte demande des opérateurs de transports comme la SNCF et la RATP qui en ont besoin non seulement pour la sécurité, mais aussi pour l’exploitation de leurs réseaux. Il faut que ces éléments soient mis sur la table, car je rappelle que la loi ne prévoit que des usages sécuritaires », ajoute-t-il.

La sénatrice LR, Nadine Bellurot, également membre du comité a constaté également « que certains cas d’usage nécessitent d’être affinés ». « Pour les colis abandonnés, selon l’angle de la caméra, le système ne voit pas les propriétaires. Fort heureusement les expérimentations n’ont pas uniquement porté sur les Jeux Olympiques, un évènement qui, compte tenu de la présence policière n’est pas forcément le plus probant. D’autres expérimentations seront menées d’ici la fin de l’année. Nous ne sommes pas dans un pays répressif et nous nous devons d’accompagner ces nouvelles technologies avec des règles éthiques. Le législateur sera amené à se prononcer après la remise de notre rapport ».

« Il ne faut pas être complément archaïque et interdire les évolutions techniques, mais restons vigilants et légiférerons avec deux principes en tête : la proportionnalité et la nécessité de cet outil », appuie le sénateur centriste, Loïc Hervé, ancien membre de la CNIL. Il ajoute néanmoins « On nous avait vendu un dispositif encadré et temporaire et on se retrouve à annoncer sa généralisation avant même la fin de l’expérimentation ».

Une étape vers le déploiement de la reconnaissance faciale ?

Le sénateur écologiste Thomas Dossus était l’un des fervents opposants au déploiement du système de vidéosurveillance algorithmique, et les déclarations du préfet de police ne font que confirmer ses craintes. « Je suis sceptique sur l’efficacité de ces technologies. On va attendre le rapport mais je n’ai pas entendu le préfet citer une seule situation problématique que la vidéoprotection a pu dénouer lors des JO. Nous n’avons pas trouvé d’usage à ce système qui va surtout permettre aux fabricants de logiciels de codifier l’espace public en décrétant quelle attitude est normale ou ne l’est pas. Prenons garde à ne pas perdre le contrôle démocratique sur ces usages des services publics. Nous savions que cette loi n’était qu’un pied dans la porte, une première étape vers la reconnaissance faciale ».

En effet, Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR à l’origine d’une proposition de loi, adoptée par le Sénat contre l’avis du gouvernement, visant à expérimenter la reconnaissance faciale, compte bien remettre ce débat au goût du jour lorsque la généralisation prendra la forme d’un texte examiné par le Parlement. « Ça fait partie des outils indispensables dans une société devenue aussi violente. Et je renvoie à toutes les garanties figurant dans mon texte », insiste-t-il. Sa proposition de loi prévoyait l’ « interdiction de la notation sociale, l’interdiction de la catégorisation d’individus en fonction de l’origine ethnique, du sexe ou de l’orientation sexuelle sauf s’il s’agit de recherches scientifiques, interdiction de l’analyse d’émotions sauf à des fins de santé ou de recherche, interdiction de la surveillance biométrique à distance en temps réel sauf exceptions très limitées ». Le texte prévoyait également une expérimentation de cette nouvelle technologie pour une durée de 3 ans, ce qui pour la gauche déjà, « valait généralisation ».

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