Violences dans les manifestations : vers un dispositif calqué sur les interdits de stade ?
Le gouvernement veut s’inspirer des mesures contre le hooliganisme adoptées depuis une douzaine d'années pour faire face au phénomène des casseurs dans les manifestations de gilets jaunes. Des mesures qui permettent d'interdire l'accès des stades à des supporters violents. Matignon confirme à Public Sénat que le gouvernement reprendra, en la modifiant, la proposition loi anti-casseurs adoptée le 23 octobre au Sénat

Violences dans les manifestations : vers un dispositif calqué sur les interdits de stade ?

Le gouvernement veut s’inspirer des mesures contre le hooliganisme adoptées depuis une douzaine d'années pour faire face au phénomène des casseurs dans les manifestations de gilets jaunes. Des mesures qui permettent d'interdire l'accès des stades à des supporters violents. Matignon confirme à Public Sénat que le gouvernement reprendra, en la modifiant, la proposition loi anti-casseurs adoptée le 23 octobre au Sénat
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Par Yann Quercia

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La porte du ministère de Benjamin Griveaux forcée, un gendarme frappé à coups de pied par un ancien boxeur professionnel alors qu’il se trouvait au sol, la manifestation des gilets jaunes du 5 janvier a une nouvelle fois été marquée par des violences.

Hier soir, Edouard Philippe a dévoilé les mesures que le gouvernement veut prendre pour lutter contre les casseurs dans les manifestations. Ce nouvel arsenal répressif pourrait notamment être calqué sur les mesures prises pour lutter contre le hooliganisme dans les stades de football. Ces mesures, qui ont à l'époque « surpris et parfois interrogé », ont finalement « bien fonctionné », a estimé le Premier ministre. Selon Matignon, le gouvernement compte, sur ce modèle, créer un fichier spécial répertoriant les casseurs identifiés.

Vers la création d’un fichier pour les manifestants violents

Les interdictions de stades peuvent être administratives ou judiciaires. Une loi de janvier 2006 permet aux préfets de prononcer des interdictions de stades allant jusqu’à une durée de deux ans et peut être assortie d’une obligation de pointage au commissariat au moment des manifestations sportives. Elle permet également d’inscrire un supporter au fichier national des interdits de stade (FNIS). Une personne peut être interdite administrativement de stade même si elle n'a jamais été condamnée par la justice.

Le FNIS a été créé en septembre 2007. Il comporte notamment l'identité, l'adresse, le club de supporters et la photographie des personnes concernées et les données relatives à l'interdiction (nature administrative ou judiciaire de la décision, champ géographique, type de manifestations concernées, autorité judiciaire ou administrative ayant pris la décision). Les hooligans figurant dans ce fichier peuvent être interdits de stade pour une durée maximale de cinq ans par la justice après des infractions durant les matches ou en dehors. Le magistrat peut les obliger à répondre à des convocations de police durant la durée des matches.

On ne sait pas encore quelle forme pourrait prendre le fichier évoqué hier par Édouard Philippe. Contacté par Public Sénat, Matignon confirme que Le gouvernement reprendra en la modifiant la  proposition loi du Sénat anti-casseurs adoptée le 23 octobre. Elle propose la création d’un fichier national rassemblant l’ensemble des mesures d’interdiction de manifester, qu’elles soient prononcées dans un cadre judiciaire ou administratif. Actuellement, seul le pouvoir judiciaire, après une condamnation, peut prononcer des interdictions individuelles de manifester.

Le recours aux interdictions administratives contesté

Le gouvernement pourra-t-il vraiment copier le modèle des interdits de stades ? Pour rappel, la Ligue 1 de football a compté 277 interdits de stade sur la saison 2017-2018. « Cela me paraît très compliqué de mettre en œuvre cette mesure sans un bilan des interdictions de stade » estime Pierre Barthélemy, avocat d’associations de supporters. Il précise que « le texte initial était mal calibré et a entraîné beaucoup d’abus. » Si le gouvernement reprenait la possibilité d’une interdiction administrative, sur le modèle des interdictions administratives de stades (IAS), « ce serait acter que l’on peut contourner le pouvoir judiciaire, les droits de la défense » pour interdire à une personne la possibilité de manifester, précise Pierre Barthélemy. Un rapport du Sénat de 2016 soulignait d’ailleurs que deux tiers des IAS étaient invalidées par un juge administratif.

Pour Nicolas Hourcade, sociologue à l’École centrale de Lyon et spécialiste des ultras « il n’y a aucun problème avec les interdictions judiciaires dans les stades qui ont prouvé leur efficacité ». Le recours aux IAS « a l’avantage d’être dissuasif et rapide. Mais il y a des inconvénients car ces interdictions peuvent donner lieu à des abus : elles peuvent en effet être prononcées en cas de comportement d'ensemble meançant l'ordre public, ce qui est flou. »

Des problèmes logistiques et une évaluation du dispositif imprécise

Si l'interdiction administrative est notifiée aux personnes concernées, la transmission du fichier des personnes interdites de stade ne l'est pas. Pierre Barthélemy donne l’exemple de personnes refusées à des concours de l’administration publique, des pompiers volontaires suspendus, car ils étaient enregistrés dans le FNIS. Pour les personnes qui consultent ce fichier « il y a trop souvent une confusion entre interdiction administrative (mesure préventive) et judiciaire (condamnation pénale) .». L’avocat ajoute « qu’une IAS peut obliger une personne à se rendre jusqu’à 60 fois par an dans un commissariat. »

Nicolas Hourcade évoque également des problèmes logistiques « pour un individu qui est obligé de pointer parfois 2 fois dans le match. Si on extrapole aux manifestations : à quel moment devront-ils ils aller pointer ? De plus, au regard de grand nombre d’interpellations durant les manifestations, le problème du nombre de personnes fichées et devant pointer pourrait se poser. »

Le sociologue regrette que le Premier ministre ait évoqué les interdictions de stade comme un remède miracle pour lutter contre les actes violents dans les manifestations : « C’est un dispositif sur lequel nous n’avons pas d’évaluation précise. Il a un effet dissuasif, c'est un élément qui a permis la décrue des incidents. Mais ce n’est pas un élément unique, il a toujours été accompagné d'autres mesures : les prix ont fortement augmenté en Angleterre mais aussi au Paris-Saint-Germain, le dialogue a été accru avec les associations de supporters en Allemagne, des groupes ont été dissous en France. »

Si l’atteinte au droit de manifester pose question, Nicolas Hourcade regrette que les mesures appliquées aux supporters de football n’aient pas été soulevées avant : « Les mesures appliquées aux supporters n’ont pas posé de problème au grand public en raison de leur mauvaise image dans l’opinion. »

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