Violences urbaines de juin 2023 : « Ce n’est pas l’institution policière qui est remise en cause, ce sont ses pratiques »

Le 16 janvier, la commission d’enquête du Sénat sur les violences urbaines de juin dernier entendait trois chercheurs spécialistes du lien police-population. Une audition au cours de laquelle a été mentionné le sujet des pratiques policières et des relations entre les policiers et la population des quartiers défavorisés, sujet qui est pourtant le grand absent des mesures post-émeutes du gouvernement.
Mathilde Nutarelli

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Le 16 janvier, la commission d’enquête du Sénat sur les « émeutes survenues à compter du 27 juin 2023 » entendait trois chercheurs spécialistes des relations police population. Sebastian Roché et Fabien Jobard, tous les deux docteurs en science politique et directeurs de recherche au CNRS, ainsi que Marwan Mohammed, sociologue et chargé de recherche au CNRS, sont venus apporter leur analyse sur les événements qui ont eu lieu à l’été dernier, sous un angle qui n’avait pas encore été exploré par les élus : les pratiques policières.

Il est trop tôt pour tirer des conclusions des émeutes de juin 2023

Les trois chercheurs sont unanimes : il est encore un peu tôt pour avoir des résultats solides et fiables sur les violences qui ont suivi la mort de Nahel. Que ce soit sur le déroulé précis des événements, le profil des participants, leurs motivations profondes : les chiffres et les études n’existent pas ou peu encore. Le rapport rendu par les inspections générales de l’administration et de la justice en août 2023, qui est l’une des premières sources de chiffres et d’analyse sur le sujet, présente le défaut de ne porter que sur les personnes qui ont été interpellées. Or, « ce sont les amateurs qui se font attraper en premier », explique Marwan Mohammed. Un biais important, donc, pour étudier de manière scientifique le profil des émeutiers. Par ailleurs, les phénomènes étudiés sont difficilement saisissables par la statistique, ce qui rend l’étude scientifique plus sensible et impose de prendre des hypothèses.

Emeutes : des dynamiques hybrides

Il est néanmoins possible de dresser plusieurs constats, à partir des éléments disponibles et des recherches antérieures. D’abord, que les personnes participant aux émeutes étaient, sous toute vraisemblance, moins diplômées que la population générale, et que c’est ce facteur, et non celui d’être issu de l’immigration, par exemple, qui est déterminant dans la participation.

Ensuite, dans le déroulé des violences urbaines, il apparaît que plusieurs dynamiques ont été à l’œuvre. Le sentiment de révolte après la mort de Nahel, la diffusion de la vidéo et la communication d’un syndicat de police, ont constitué la déflagration, la « locomotive » de ces émeutes, selon l’expression de Marwan Mohammed. Pour Fabien Jobard, « c’est un syndicat de police qui a communiqué en premier sur la mort de Nahel en divulguant une fausse information. Ce qui a motivé la dame qui a filmé à diffuser la vidéo, c’est cette fausse information ». Se sont ensuite entremêlées des motivations plus diverses, notamment économiques, constatées au cours des pillages de commerces qui ont eu lieu les jours qui ont suivi.

Pour autant, ce ne sont pas tous les commerces et tous les bâtiments publics qui ont été touchés au cours des événements. « Il y a eu deux modus operandi » explique Fabien Jobard, « des pillages ensuite, mais d’abord un affrontement avec les symboles de l’état. Les écoles et les bibliothèques ont été plus épargnées qu’en 2005. Ce sont essentiellement des bâtiments de la police nationale, municipale et de la gendarmerie qui ont été pris pour cible ». Des cibles qui, selon le sociologue, renseignent sur les motivations profondes des participants.

Des pratiques policières à remettre en question

C’est le point névralgique, le cœur de l’interrogation des membres de la commission d’enquête sénatoriale : quelles ont été les motivations de ces émeutiers ? Sebastian Roché rappelle que la France constitue une exception en Europe, c’est l’un des seuls pays qui connaît autant d’émeutes d’ampleur nationale, toujours déclenchées après une brutalité venant de la police. Les trois chercheurs sont formels : au cours de ces événements, ce n’est pas la police qui est remise en cause, mais ses pratiques. « En 2005 et en 2023, le territoire qui s’est enflammé, ce sont les quartiers les plus défavorisés. C’est le même terreau et même étincelle » analyse Sebastian Roché. « C’est pareil dans les autres pays : cela part de quartiers pauvres dans lesquels ont lieu des brutalités policières et où rien n’a été fait ». Mais en 2023, l’embrasement qui est parti des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) s’est étendu à des villes moyennes, qui n’avaient que peu connu ces problématiques.

Le constat est le même pour les deux autres spécialistes : la caractéristique de la France est qu’après les différentes émeutes qui ont touché son territoire, son gouvernement n’a jamais remis en question les pratiques policières. « Dans la réaction du gouvernement en septembre octobre [après la mort de Nahel], la police n’était plus à l’agenda », souligne Fabien Jobard, « la politique de la ville oui, les parents, l’école, l’autorité, … Mais la police n’est plus là. Ce qui est normal, car l’émeute a restauré la police dans son rôle et en a rendu difficile la critique ».

L’absence de cette remise en question, ou du moins de ce débat au niveau national renforce un sentiment d’injustice que peuvent ressentir les habitants des QPV, ceux d’où sont parties les émeutes en juin dernier. Un sentiment de ne pas compter, alors que celui d’être victime de pratiques policières discriminatoires, lui, enfle. Fabien Jobard a documenté, au cours de ses recherches, le contrôle au faciès, en suivant sans qu’ils ne le sachent, des groupes de policiers. Ce qu’il a constaté, c’est que le contrôle d’identité dépend de la couleur de peau, ainsi que de l’âge, du sexe et des vêtements. Ainsi, un homme non blanc, jeune, en jogging aura beaucoup plus de chance d’être contrôlé. « Au fil du temps, cette jeunesse commence à former un groupe social sans que ce soit perceptible par la statistique », explique le chercheur. Ce même groupe qui se mobilise dès que la brutalisation d’un jeune par un policier dans un quartier est médiatisée.

Quartiers défavorisés : « Il y a une demande de présence de police, mais d’une autre qualité de service »

Ce qui peut sembler paradoxal au vu des analyses exposées au cours de l’audition, c’est que les recherches des trois experts ne mettent pas en évidence un sentiment anti-police au sein des quartiers défavorisés, mais plutôt un rejet des pratiques discriminantes et arbitraires. Cet aspect a suscité quelques réactions surprises dans l’assistance, dont celle de la sénatrice LR du Val d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio. « Je ne pense pas qu’on avance beaucoup si on part du principe qu’on vit dans un pays où il y a des violences policières et que ce n’est que ça. Des violences, il y en a partout et il y a un manque d’autorité dans le pays », a-t-elle opposé aux chercheurs.

« Les territoires où il y a des populations émeutières ont deux caractéristiques : une forte délinquance et une forte demande de police, qui s’accompagne d’un taux très fort d’insatisfaction envers la police », lui répond Fabien Jobard, « il y a une demande de présence de police mais d’une autre qualité de service ». « Dans ces quartiers, il n’y a pas un rejet de l’autorité, mais une prise au sérieux de celle-ci. La parole de l’Etat, de la police est prise au sérieux. Ce n’est pas la parole en tant que telle qui est remise en question, mais ses pratiques », confirme Marwan Mohammed. Une des clés de compréhension des événements de juin dernier résiderait donc dans le lien entre la police et la population et entre les pratiques policières dans des lieux bien précis. Un chantier hautement inflammable pour le ministre de l’Intérieur récemment reconduit à ses fonctions.

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