Avignon: Gisele Pelicot arrives the Avignon courthouse

Viols de Mazan : après le procès historique, faut-il changer la loi ?

Sans même attendre le verdict, le procès des viols de Mazan a d’ores et déjà remué les consciences. Pendant quatre mois d’audience, la force apparente de la victime, Gisèle Pelicot, a suscité l’admiration dans le monde entier. Cette affaire, à la fois banale et hors normes, a révélé au grand public, un mode opératoire plus répandu qu’il n’y paraît, la soumission chimique et interroge sur l’opportunité de changer la définition du viol dans le code pénal.
Simon Barbarit

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Viol conjugal, soumission chimique, multiplicité des auteurs sur une période de 10 ans, et des crimes filmés, minutieusement classés par l’auteur principal, Dominique Pelicot. L’affaire des viols de Mazan comportait suffisamment d’éléments pour être une affaire hors du commun. Mais la force de la victime, Gisèle Pelicot qui a refusé le huis clos et a fait face courageusement à ses 50 bourreaux « pour que la honte change de camp » a donné un relief historique à ce procès qui a duré 4 mois.

En attendant le verdict ce jeudi, la question de l’influence de cette affaire sur notre code pénal, se pose déjà. En 2016, en Espagne, l’affaire dite de « la Manada » (La Meute), un viol collectif d’une jeune femme par cinq hommes qui avaient filmé leurs actes et s’en étaient vantés sur un groupe de messagerie, avait conduit à un changement de législation. En 2022, l’Espagne adoptait la « loi de garantie intégrale de la liberté sexuelle ». Un texte qui introduit l’obligation d’un accord explicite, Tout acte sexuel sans consentement explicite est, désormais, reconnu comme un viol.

Le consentement de Gisèle Pelicot a été questionné lors des débats par les avocats de la défense. Devant les caméras, Me De Palma avait suscité la polémique en affirmant qu’il y avait « viol et viol » de façon à minimiser l’intention réelle de certains des accusés dont beaucoup affirmaient avoir pensé participer à un jeu sexuel d’un couple libertin « Pas une seconde je n’ai donné mon consentement à Monsieur Pelicot ni à ces hommes qui sont derrière », avait rappelé, avec indignation, cette femme de 72 ans victime de quelques 200 viols, dont 92 commis par 50 coaccusés.

Quelle définition du viol dans le code pénal ?

Ce débat autour de l’introduction de la notion de consentement dans la définition du viol dans le Code pénal français divise praticiens du droit. Pour rappel, l’article 222-23 du code pénal définit le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». La notion de consentement n’y est donc pas mentionnée. En début d’année, un article d’une directive européenne sur les violences faites aux femmes proposait une définition commune du « crime de viol » caractérisé dès lors que la victime n’a « pas consenti à l’acte sexuel ». La disposition a finalement été retirée suite aux désaccords entre Etats membres.

En mars dernier, Emmanuel Macron avait exprimé son intention d’inscrire dans le droit français la notion d’absence de consentement en matière de viol, dans un échange filmé avec l’association, « Choisir la cause des femmes », fondée par Gisèle Halimi. Il y a deux mois, le garde des Sceaux démissionnaire, Didier Migaud s’est aussi montré ouvert à une évolution de la définition du viol dans le code pénal afin d’y inscrire la notion de consentement.

« Notre droit n’est plus adapté »

Plusieurs propositions de loi ont été déposées pour introduire la notion de consentement dans le droit français. Au Sénat, c’est la sénatrice écologiste, Mélanie Vogel qui a déposé, l’année dernière, une proposition de loi visant à reconnaître l’absence de consentement comme élément constitutif de l’agression sexuelle et du viol.

« Notre droit n’est plus adapté » […] « S’agissant du viol et de l’agression sexuelle, je n’arrive pas à expliquer l’état actuel de notre droit français, si ce n’est en me référant à l’histoire et aux préjugés sexistes et patriarcaux qui continuent à prévaloir », avait déclaré, il y a quelques semaines, devant la délégation aux droits des femmes du Sénat, François Lavallière, premier vice-président au Tribunal Judiciaire de Rennes, maître de conférences associé en droit pénal à Sciences Po Rennes, coordinateur du pôle VIF (Violences intrafamiliales). Le magistrat avait, par la suite, affirmé « que prouver l’élément intentionnel » de l’infraction « est le plus difficile ». « S’il n’est pas possible de démontrer l’élément intentionnel, il n’y a pas de condamnation », insiste-t-il, évoquant le fameux : « J’ai cru qu’elle était consentante », entendu pendant les semaines d’audience du procès Pelicot.

« En ajoutant la notion de consentement, On ne sera pas plus avancés »

A ses côtés, Laure Heinich, avocate au Barreau de Paris, lui avait porté la contradiction. « C’est très large, la violence, la menace, la contrainte ou surprise […] La loi ne regarde pas la victime. C’est le rôle du magistrat de ne pas la poser (la question du consentement) et le rôle des avocats de la victime de s’y opposer si elle est posée » […] En rajoutant la notion de consentement (dans la loi), ils (les accusés) vont dire : ‘’Bien sûr qu’elle était complètement d’accord. Elle me l’a dit’’. On ne sera pas plus avancés », avait-elle soutenu.

Une mission gouvernementale sur la soumission chimique

Le procès Mazan a aussi mis un coup de projecteur sur le mode opératoire de la soumission chimique. Un phénomène plus répandu qu’il n’y paraît et loin d’être limité à l’image d’un inconnu dans une boîte de nuit.

En 2023, publicsenat.fr avait interviewé Leïla Chouachi, pharmacienne, membre du centre d’addictovigilance de Paris et rapporteure d’une enquête annuelle sur la soumission chimique auprès de l’ANSM (l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé). En 2021, 727 signalements suspects avaient été recensés dont 86,4 % suite à un dépôt de plainte. « Cela concerne tous les milieux, hommes ou femmes, quelle que soit l’orientation sexuelle. On a tendance à penser que ce sont des personnes qui ont laissé leur verre sans surveillance, mais dans la majorité des cas la prise du produit a eu lieu dans un contexte privé et les auteurs étaient connus des victimes », avait expliqué la pharmacienne.

Après avoir déposé plainte contre le sénateur de sa circonscription, Joël Guerriau, qu’elle accuse de l’avoir droguée pour abuser d’elle, la députée Modem, Sandrine Josso avait appelé « le gouvernement à faire quelque chose par rapport à ce fléau » de la soumission chimique. Une mission gouvernementale a été lancée sur le sujet avec à sa tête, Sandrine Josso et la sénatrice RDSE, Véronique Guillotin.

À l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre, l’ancien Premier ministre, Michel Barnier a annoncé l’expérimentation du remboursement par l’assurance maladie, dans plusieurs départements, de kits individuels permettant de détecter une soumission chimique et possibilité de porter plainte dans chaque hôpital de France doté d’un service d’urgence ou gynécologique d’ici à fin 2025 ».

 

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