C’est peut-être la tactique du gendarme pour gagner quelques millions. Mais à écouter le numéro 1 de la gendarmerie, il y a bien urgence. C’est la seconde fois que le général d’armée Hubert Bonneau, directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), était auditionné au Sénat. Le patron de la gendarmerie était entendu mercredi par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de la Haute assemblée sur le projet de loi de finances 2026.
Malgré une légère hausse de 1,8 % du budget de la gendarmerie en 2026, soit 200 millions d’euros supplémentaires, avec des crédits de paiements qui passent de 10,9 milliards d’euros à 11,1 milliards d’euros, le chiffre cache une réalité plus contrastée. Le numéro 1 de la gendarmerie doit en effet faire face à un manque criant de moyens dans de nombreux domaines.
Des effectifs en hausse de 400 équivalents temps plein
Après un cru 2025 marqué par une absence de recrutement, le budget 2026 s’annonce, sur ce plan, sous de meilleurs auspices. « Les effectifs de la gendarmerie devraient retrouver à peu près leur niveau de 2007 en 2026, avec l’arrivée de 400 ETP (équivalents temps plein, soit des emplois, ndlr) », explique Hubert Bonneau, « ça correspond aux 58 brigades qui n’ont pas pu être faites cette année ». Elles auraient théoriquement dû voir le jour en 2025. « La loi de programmation, la Lopmi, prévoit la création de 239 brigades », rappelle le général, et « il manque encore 1145 ETP pour faire la totalité des 239 brigades ». Il « espère » aller au bout du plan.
Des créations de brigades à mettre en parallèle avec une hausse de « 25 % de la délinquance générale sur notre zone de compétence », « + 53 % d’intervention » et « + 40 % de gardes à vue », sur fond d’« augmentation du niveau de la violence subie par la population et les forces de l’ordre ». « Six gendarmes sont décédés en service ou mission depuis le début de l’année », souligne Hubert Bonneau et « 8000 gendarmes ont été blessés ».
Au regard de leur vétusté, la gendarmerie devrait théoriquement remplacer « tous ses véhicules »
Globalement, la gendarmerie doit se serrer la ceinture. « Sur le plan budgétaire, le contexte marqué par les contraintes se traduit par un effort à tous les niveaux » et à « certains renoncements », prévient le numéro 1 de la gendarmerie.
Sur la liste des difficultés, la question des véhicules de la gendarmerie devient urgente. « J’ai une durée de vie des véhicules estimée à 8 ans. C’est un élément essentiel dans le travail du quotidien. Je devrais normalement renouveler un huitième du parc chaque année, soit 3.700 véhicules », explique le chef de la gendarmerie. Or léger problème : « L’âge moyen des véhicules est de 7,8 ans. Donc je devrais réformer tous les véhicules ». Ainsi, sur les années 2024, 2025 et 2026, 15.000 véhicules devraient être remplacés. Or le total des nouveaux engins ne sera sur la période que de « 5.000 véhicules. Je n’ai pas les moyens de faire plus », avoue Hubert Bonneau. Alors qu’il faudrait renouveler 3.700 véhicules l’année prochaine, les gendarmes auront les clefs de seulement « 600 véhicules » flambant neufs. A ce rythme, il faudra peut-être développer des compétences de mécaniciens. Le général alerte :
« Nous sommes déjà obligés de fermer partiellement certaines sections aériennes de gendarmerie »
Autre lacune : les hélicoptères. « Dix hélicoptères sont en cours de renouvellement », explique le général. Les pales qui cachent la forêt. « Nous avons toute une tranche d’hélicoptères qui aujourd’hui ont plus de 40 ans. Ce sont des écureuils, qu’il faut renouveler », demande le directeur général de la gendarmerie nationale. « C’est 355 millions d’euros » qu’il faut « avant 2027 », pour commander « 22 hélicoptères supplémentaires ». Là encore, Hubert Bonneau tire la sonnette d’alarme devant les sénateurs : « Sans décision d’ici début 2027, la gendarmerie connaîtra une rupture capacitaire majeure sur sa flotte d’aéronefs, avec un impact particulier sur les Outre-Mer ». « Sinon, il y aura des fermetures de sections aériennes dans la gendarmerie, soit en métropole, soit en Outre-Mer », insiste-t-il. En réalité, il doit jongler avec la pénurie dès maintenant. « Nous sommes déjà obligés de fermer partiellement certaines sections aériennes de gendarmerie, en rotation. C’est déjà une réalité dans les territoires », souligne Hubert Bonneau.
Autre piste de développement nécessaire : le numérique. Le général rêve « d’avoir des gendarmes augmentés », notamment avec « l’intelligence artificielle ». Mais avant de voir Robocop, ou plutôt Robogendarme débarquer sur les routes de France, il faudra attendre. « Tout ça a un coût », et « avec 120 millions d’euros, là aussi il faut faire des choix ».
« Nous sommes la seule armée à être équipée de Famas, des équipements de plus de 40 ans »
Des lacunes sont aussi observées sur la réserve. Alors que l’objectif est d’atteindre le nombre de 50.000 réservistes, la gendarmerie en compte aujourd’hui 39.000. Et difficile de progresser rapidement, car « aujourd’hui, toutes nos préparations sont pleines. Il y a pratiquement un an d’attente pour rentrer dans la réserve de la gendarmerie », explique son responsable.
A la liste des « besoins de renouvellement des équipements », s’ajoutent les « 22.000 fusils d’assaut, qui doivent être changés », pour un coût de 110 millions d’euros. « Nous sommes la seule armée à être équipée de Famas, des équipements de plus de 40 ans, qui bientôt ne seront plus soutenus, car personne ne pourra les soutenir », alerte encore le général.
« Dans l’hypothèse d’un engagement majeur, je pense que la gendarmerie appuiera les armées, sur la couverture territoriale »
Quant à « l’ensemble du budget estimé pour renouveler les équipements dits militaires de la gendarmerie, c’est 800 millions d’euros ». « Si on veut être prêts, dans l’hypothèse d’un engagement majeur, c’est 800 millions d’euros. Ce sont des équipements qui servent au quotidien », insiste le DGGN. Ce sont par exemple des « monoculaires de vision nocturne », qui « évidemment, servent à débusquer dans le cadre d’action de sabotage, mais qui sont aussi employés au quotidien ».
Point intéressant, cette dimension militaire de la gendarmerie est appelée à se développer. « Dans l’hypothèse d’un engagement majeur, je pense que la gendarmerie appuiera les armées, sur la couverture territoriale, sur la protection de la base industrielle de défense, sur la protection des bases de défense en elle-même », soutient Hubert Bonneau. « Si nous avons un engagement majeur à l’est par exemple, je pense que ça ne se passera pas sans agitation sur le territoire national. Je pense que nous pourrons avoir des actions « proxi », des actions de sabotage, mais aussi des manifestations. Je ne suis pas sûr que tous nos concitoyens soient favorables à ce type d’engagement. Je pense qu’on pourra avoir de l’agitation », imagine le numéro 1 de la gendarmerie, qui ajoute que « si on fait transiter par la France du matériel sensible dans le cadre d’un engagement, il faut couvrir les territoires avec des moyens. Ça, c’est le rôle de la gendarmerie nationale ». « C’est l’hypothèse à laquelle nous devons nous préparer », prévient le général d’armée.
« Est-ce que notre modèle est supportable sur le locatif ? Moi, je n’ai pas l’argent »
Last but not least, la gendarmerie est confrontée à un gros problème : ses loyers. Ils s’envolent. Le sujet n’est pas nouveau. « Quand je regarde le prix des loyers en gendarmerie en 2009, c’est 300 millions d’euros. L’année dernière, c’est 620 millions d’euros. Dans moins de 10 ans, c’est 1 milliard d’euros. Est-ce que notre modèle est supportable sur le locatif ? Moi, je n’ai pas l’argent », prévient franchement Hubert Bonneau, pour qui la solution réside clairement dans des locaux en propriété. « Une brigade domaniale (dont l’Etat est propriétaire des locaux, ndlr) coûte deux fois moins cher qu’une brigade en locatif », illustre-t-il. Il insiste :
Il souligne au passage que lorsque l’Etat est propriétaire des murs, « ça revient à 77 euros le m2 » contre plus de « 160 euros le m2 », quand la brigade loue des locaux à la collectivité. Et « vue l’augmentation du coût des loyers, l’année dernière, je rappelle qu’on a eu des difficultés à payer nos loyers, car on a fait un choix de porter notre effort sur l’opérationnel », notamment « l’engagement en Nouvelle-Calédonie ».
Face à ce problème des loyers impayés par les gendarmeries, qui a touché les communes et qui avait émaillé l’actualité, un rapport du Sénat avait alerté en 2024 « sur la situation dégradée » de l’immobilier de la gendarmerie. Un autre, celui du rapporteur pour avis de la commission des finances, le sénateur LR Bruno Belin, qui portera notamment sur les crédits de la gendarmerie, est lui attendu pour mercredi 5 novembre. Nul doute que les difficultés pointées par Hubert Bonneau y seront relevées.