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Collectivités : une proposition de loi déposée au Sénat pour « ancrer les libertés locales dans la Constitution »

Les rapporteurs d’un groupe de travail sur les collectivités locales déposent une proposition de loi constitutionnelle pour « rendre aux élus locaux leur pouvoir d’agir ». Le dépôt intervient alors que les promesses d’Emmanuel Macron en faveur d’un « nouveau chapitre » de la décentralisation sont restées lettre morte.
Guillaume Jacquot

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L’heure est décidemment aux chantiers constitutionnels. Une autre proposition de modification de la loi fondamentale se lance au Sénat. Dédiée aux collectivités locales, elle fait directement suite à un rapport d’un groupe de travail transpartisan, publié le 6 juillet dernier, qui recommandait notamment d’assurer « plus de libertés et de souplesse » aux initiatives locales. Estimant la décentralisation malmenée et ne souhaitant pas en rester à des textes d’une « portée limitée », les sénateurs avaient fait de l’ancrage des libertés locales dans la Constitution l’une des recommandations essentielles du rapport. C’est l’objectif de leur proposition de loi constitutionnelle « visant à rendre aux élus locaux leur pouvoir d’agir », dont le texte a été publié ce vendredi.

Le principal axe est de « poser les principes d’une plus grande autonomie de l’action locale », détaillent les quatre signataires, François-Noël Buffet (président LR de la commission des lois), Mathieu Darnaud (premier vice-président LR du Sénat), François Gatel (présidente centriste de la délégation aux collectivités locales) et Jean-François Husson (rapporteur général LR du budget).

Pouvoir réglementaire, principe de différenciation ou encore pérennisation d’expérimentations locales

Le texte prévoit en particulier d’octroyer aux collectivités territoriales, au sein de l’article 72 de la Constitution (qui définit les principes généraux de leur organisation), un pouvoir réglementaire pour l’application des lois, par principe. Dans les domaines qui relèvent de leur compétence, le Premier ministre ne pourra être chargé de l’application des lois que s’il y a été expressément habilité par la loi, précise également la proposition sénatoriale. La même disposition figurait déjà dans une précédente proposition de loi constitutionnelle adoptée par le Sénat en 2020. L’Assemblée nationale n’avait donné aucune suite à ce texte, malgré une seconde transmission après les législatives de 2022.

Autre règle que les sénateurs veulent voir inscrite dans le marbre de la Constitution : le principe de subsidiarité. Une règle selon laquelle les collectivités ont vocation à prendre des décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent être le mieux mises en œuvre à leur niveau.

Les auteurs de la proposition proposent également d’inscrire un principe de différenciation. Les collectivités locales pourraient alors exercer des compétences, en nombre limité, dont ne disposent pas les autres membres de sa famille. Ce droit à la différenciation serait borné par le respect des libertés publiques et des droits reconnus par la Constitution.

Dans le même esprit, le texte sénatorial donne la possibilité de pérenniser sur une partie du territoire national, sans limitation de durée dans le temp, certaines dérogations expérimentales conduites dans certaines collectivités territoriales.

Pour les auteurs du texte, cette série de dispositions constitutionnelles visent à répondre à un constat de « libertés locales atrophiées » et d’initiatives « entravées ». Les quatre sénateurs à l’origine de la proposition soulèvent aussi l’inquiétante tendance à la démission chez les maires depuis les dernières municipales de 2020. À la « crise de la démocratie locale », les parlementaires craignent une « crise de l’engagement ». « C’est donc avant toute chose un renforcement de l’efficacité de l’action publique locale qui doit être recherché », motivent-ils.

En plein débat publique sur un nouveau statut pour la Corse, lequel soulève de sérieuses réserves à droite, la proposition de loi constitutionnelle offre en parallèle l’avantage de mettre sur la table une panoplie d’outils, unifiée pour l’ensemble du pays. C’est d’ailleurs cette logique qui prédominait chez les rapporteurs du groupe de travail l’an dernier. « Pour prendre en considération les spécificités territoriales locales, éviter la création de régimes d’exception, et privilégier un cadre juridique global et souple, favorisant l’agilité territoriale dans l’hexagone comme outre-mer, plutôt que des évolutions institutionnelles ad hoc. Il convient, en conséquence, d’instituer un cadre juridique unifié des possibles pour permettre aux élus de s’en saisir librement », détaillaient-ils.

Des garanties financières aux collectivités locales

Afin de donner les moyens aux collectivités d’agir, la proposition de loi constitutionnelle entend, sur un autre tableau, leur donner « les ressources nécessaires à l’exercice de leurs compétences dans la durée ». Le texte vise à garantir qu’une « part significative des ressources » des communes provienne d’impositions sur lesquelles elles disposent d’un pouvoir d’assiette ou de taux.

Les sénateurs veulent également fixer dans la Constitution le principe de compensation des compétences transférées aux collectivités territoriales. Les modalités du versant financier de la proposition de révision constitutionnelle sont précisées dans une seconde proposition de loi, organique.

Il y a huit mois, Gérard Larcher avait invité le gouvernement à se saisir des propositions du Sénat, tout en prévenant qu’il suivrait « personnellement » le devenir des conclusions du groupe de travail. Avec sa proposition de loi constitutionnelle, le Sénat a décidé de prendre l’initiative, ne voyant toujours pas les promesses présidentielles se concrétiser. En octobre 2022, Emmanuel Macron promettait l’ouverture d’un « nouveau chapitre de la décentralisation ». Plus récemment, en octobre dernier, le jour du 65e anniversaire la Constitution de la Ve République, le chef de l’État se laissait aller à quelques suggestions en faveur des collectivités locales : « Il nous faut les aider à agir mieux, parfois à adapter les normes, leur donner plus de liberté, laquelle doit aller avec plus de responsabilité et de clarté démocratique. »

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A date, les chiffres officiels font état de 39 morts, 124 blessés graves, 4 232 blessés légers. « J’ai posé des questions régulièrement aux services de l’Etat et je n’ai jamais eu de réponses », s’indigne-t-il, « je ne peux pas, au nom des victimes et de ceux qui souffrent, laisser tomber ce sujet-là, parce qu’il y a des gens qui sont peut-être ensevelis sous les décombres et que l’on n’a jamais retrouvés ». Saïd Omar Oili s’inquiète pour les Mahorais et déplore un manque de communication, d’anticipation et de transparence dans l’aide apportée aux sinistrés. « On n’a pas cherché [les personnes disparues]. Je suis élu local depuis vingt-cinq ans. Il y a des gens, quand on va dans les quartiers, je ne les vois pas. Ils sont où ? », demande-t-il sur le plateau de Public Sénat. « Je n’accuse personne, mais pour l’heure […] il n’y a pas de transparence, on dit tout et son contraire ». 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