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Coopération régionale dans le bassin Atlantique : « Quand on a construit l’Europe, on a oublié nos territoires »

Après un premier volet consacré à l’océan Indien, la délégation sénatoriale aux Outre-mer s’est penchée sur l’intégration régionale des ultra-marins du bassin Atlantique. Face à un espace géopolitique sensible, encore très marqué par ses liens historiques avec Paris, les sénateurs insistent sur « l’absolue nécessité » de resserrer les liens territoriaux, et de faire sauter certains verrous européens.
Aglaée Marchand

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Ce sont des territoires « étrangers à leur géographie », que décrit la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio face à la presse ce jeudi 6 novembre. Pendant six mois, la délégation sénatoriale aux Outre-mer s’est attachée à établir un état des lieux de la coopération régionale dans le bassin de l’océan Atlantique, après une première étude consacrée à l’océan Indien dévoilée en septembre 2024. Six collectivités françaises d’Amérique (CFA) sont concernées : la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Zone très hétérogène qui dispose néanmoins de « défis communs », précise la corapporteure Jacqueline Eustache-Brinio, ses relations historiques avec la métropole ont façonné « l’affaiblissement des relations de ces territoires avec leur environnement ». La compétition mondiale accrue entre Washington et Pékin, et les trajectoires du narcotrafic et d’autres commerces illicites, pèsent d’autant plus sur ce bassin océanique fragmenté, surtout dans la Caraïbe et sur le plateau des Guyanes. Des « progrès » en matière de coopération sont « indéniables », estime la sénatrice Évelyne Corbière-Naminzo (CRCE-K), mais se heurtent à plusieurs « freins » institutionnels, économiques, logistiques et financiers. A ces fins, les rapporteurs recommandent de miser sur certains secteurs d’avenir, à l’instar du transport maritime régional, de l’agroalimentaire, du traitement des déchets et de l’environnement, mais aussi de renforcer la sécurité régionale, en tenant compte du développement des bassins de vie. Derrière ces sujets, se cache aussi la « question de la vie chère », rappelle la sénatrice de La Réunion.

« Une vraie diplomatie des Outre-mer »

Association des États de la Caraïbe, la CARICOM (« Caribbean Community & Comon Market »), l’Organisation des États de la Caraïbe orientale… Les organisations internationales régionales sont nombreuses, voire un peu trop. Leur superposition « nuit à leur efficacité globale » et conduit à la « dilution des responsabilités », signale Evelyne Corbière-Naminzo. « Nos territoires peinent à y faire valoir leurs intérêts », déplore-t-elle, et « les échanges commerciaux sont toujours insuffisants ». Résultat : « Nos régions ultrapériphériques (RUP) ratent des opportunités économiques ».

En réponse à ce constat, la délégation sénatoriale préconise d’investir dans une « diplomatie territoriale ambitieuse, différenciée et réactive », avec la création d’un « pôle stratégique de coopération régionale outre-mer », en lien avec les collectivités territoriales concernées et chapeautant l’ensemble des acteurs, pour « une vraie diplomatie des Outre-mer », soutient Jacqueline Eustache-Brinio. L’objectif principal : « Accompagner la mise en œuvre des programmes-cadres de coopération régionale », créés par la loi Letchimy de 2016. Et en toile de fond : la volonté de faire avancer « beaucoup plus rapidement certains dossiers », comme l’adhésion de la Martinique à la CARICOM et le retour de la France au capital de la Banque de développement des Caraïbes, précise la sénatrice du Val-d’Oise.

« Nous devons continuer à faire entendre la voix des Outre-Mer au niveau de l’Union européenne »

Autre enjeu : « transformer les verrous de l’Union européenne en accélérateur de la coopération régionale ». Alors que la France et l’UE sont des acteurs « présents, stables et crédibles », avance Jacqueline Eustache-Brinio, capables d’apporter des « financements importants » et « une légitimité diplomatique », les CFA subissent des « normes européennes souvent inadaptées », qui les « étouffent », avec des flux prépondérants vers Bruxelles, complète Evelyne Corbière-Naminzo. A l’occasion du futur cadre financier pluriannuel 2028-2034, les sénateurs défendent « la définition d’une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu) en direction de l’environnement régional » des RUP et des pays et territoires d’Outre-mer (PTOM), et d’une « stratégie commune UE/États membres/RUP dans la zone Caraïbes/Amérique latine ».

« Nous devons continuer à faire entendre la voix des Outre-mer au niveau de l’UE », martèle l’élue LR Micheline Jacques, présidente de la délégation, qu’on « a oublié[s] », « quand on a construit l’Europe ». Cela implique aussi d’autoriser ces régions à « signer des accords de libre-échange avec leurs voisins », poursuit Evelyne Corbière-Naminzo, et d’investir dans des outils éducatifs, via un « programme Erasmus/RUP » par bassin par exemple. Les sénateurs font part de leurs ambitions : « Nous allons présenter notre rapport à Bruxelles ».

Mais si la COP30 qui s’ouvre au Brésil le 10 novembre pourrait se faire l’écho de ces revendications, les acteurs ultra-marins ne feront cependant pas partie de la délégation européenne, rapporte Micheline Jacques. Une absence qui s’inscrit dans une non- « prise en compte, même au niveau des ministères », de la culture des Outre-mer. « Il est grand temps que les temps changent », conclut l’élue de Saint-Barthélemy. Elle salue néanmoins l’ouverture, en septembre, d’une ambassade de France à Guyana, Paris devenant ainsi le premier pays de l’UE à s’y établir.

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