BIDONVILLE A MAYOTTE

Crise de l’eau à Mayotte : « On n’a plus le droit à l’erreur, à l’attentisme » 

Face à la dramatique crise de l’eau à Mayotte, Elisabeth Borne a annoncé de nouvelles mesures : prise en charge des factures, distribution de bouteilles d’eau gratuites d’ici la mi-novembre. Des mesures de court terme, alors que des travaux d’infrastructures sont attendus de longue date dans l’île.
Tâm Tran Huy

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Tenir encore quelques semaines, on n’ose pas dire colmater les brèches, tant la situation est encore dramatique à Mayotte. C’est l’objectif des annonces faites jeudi 5 octobre par la Première ministre Elisabeth Borne par voie de communiqué à la suite d’une réunion interministérielle à Matignon. Alors que la saison des pluies n’a toujours pas démarré, le gouvernement est contraint à de nouvelles mesures : prise en charge des factures d’eau de septembre à décembre, nouvel acheminement d’eau par bateau et par tanker, et distribution de bouteilles d’eau gratuites à l’ensemble de la population (et plus seulement aux 51 000 personnes les plus vulnérables) d’ici mi-novembre. Des mesures attendues par les Mahorais, qui ne doivent pas masquer l’urgence à construire de nouvelles infrastructures. 

Factures prises en charge : une annonce bienvenue

Bouteilles d’eau gratuites, factures prises en charge, nouvel acheminement d’eau… Ces mesures sont dans l’ensemble bien accueillies par la journaliste Anne Perzo-Lafond, du Journal de Mayotte. « Elisabeth Borne est à l’écoute de la population. Pour les factures, c’est une bonne chose : c’était très injuste pour la population de payer alors que le service public n’est pas à la hauteur » avant d’apporter un petit bémol : « Il ne faut pas que ça incite les gens à gaspiller non plus. » 

« Ce sont des annonces que nous avons appuyées hier », explique aussi le sénateur de Mayotte Thani Mohammed Soilihi. « Quelques jours plus tôt, nous étions au cabinet de la Première ministre où ces mesures nous étaient pré-annoncées. Que ça soit la facturation, c’est bienvenu, puisque l’eau n’est pas de bonne qualité quand elle est là. Tout le monde n’est pas ravitaillé en raison de la pression basse. Parfois, l’eau est boueuse. C’est tout à fait légitime, la prise en charge était attendue de longue date. » Idem pour les distributions gratuites bientôt étendues à tous : « au départ, c’était les personnes vulnérables, mais en temps de crise, tout le monde est vulnérable », résume le sénateur Renaissance. 

Payer les packs d’eau au même prix que la métropole

Pour Anne Perzo-Lafond, une autre solution aurait pu être toutefois retenue. « On veut bien payer les packs d’eau, mais au même prix que la métropole, il faudrait que l’Etat paye la différence. » Cette solution n’a pas été retenue : alors qu’il était interrogé à ce sujet, le ministre des Outre-mer Philippe Vigier « a botté en touche » relate la journaliste. Pour elle, les Mahorais pourraient avoir « l’eau à prix coûtant », puisque la Première ministre demande bien « l’essence à prix coûtant » en métropole. A Mayotte, le pack d’eau peut atteindre un prix de 7,50 euros, soit trois fois le prix que l’on peut payer en métropole. 

« On a manqué d’anticipation »

Reste que ces solutions de court terme ne peuvent pas suffire. « Il y a une constante : tout le monde est d’accord pour dire que dans cette affaire, on a manqué d’anticipation, même si mieux vaut tard que jamais », déclare Thani Mohammed Soilihi qui explique aussi le manque de réaction des pouvoirs publics par la façon dont s’étaient résolues les pénuries antérieures. « Lors des précédentes crises, lorsque des mesures avaient été annoncées, le temps qu’elles soient appliquées, il s’était mis à pleuvoir. Cette fois-ci, c’est ce qu’espéraient les pouvoirs publics. » Et force est de constater que ce n’est pas ce qui s’est produit cette année. Nouvelle conséquence du réchauffement climatique ? La saison des pluies tarde, les réserves d’eau sont au plus bas : alors que l’eau ne coule plus qu’un jour sur trois dans l’archipel (et que l’on évoque un jour par semaine si la situation venait à s’aggraver), les deux retenus collinaires de Mayotte ne sont remplies qu’à 7,5% et devraient être vides d’ici la fin du mois d’octobre s’il ne pleut pas. 

L’urgence d’une troisième retenue collinaire

« C’est pour ça qu’il faut tout faire, pour que, dès que cette crise sera derrière nous, nous fassions en sorte que les infrastructures attendues soient enfin livrées. » Si la construction de méga-bassines est très polémique en France métropolitaine, c’est au contraire les retards de construction qui font débat à Mayotte. L’archipel attend toujours que soit construite une troisième retenue collinaire, celle d’Ourovéni, en projet depuis les années 2000. Comment expliquer un tel retard ? « De la négligence, de la mauvaise gestion, cette habitude de dire l’on pouvait avoir le temps encore » juge l’élu qui raconte entendre parler de ce projet « depuis 15-20 ans et aujourd’hui, seulement 80% de la surface nécessaire est acquise. Pour les 20% qui restent, des propriétaires doivent être dédommagés pour donner ou échanger leur terre ou bien il faut engager une procédure d’expropriation. Ce dossier foncier n’a pas été correctement mené à son terme. »  

Vers une nouvelle usine de désalinisation

Autre infrastructure nécessaire : une nouvelle usine de désalinisation. « C’est le mérite de cette crise » estime Anne Perzo-Lafond, mettre le doigt sur ces mesures de moyen terme, nécessaires. « Une usine de désalinisation existe déjà à Petite-Terre » explique la journaliste « mais elle n’a jamais donné ce qui était ambitionné, elle produit, mais pas à la hauteur de ce que l’on attendait et son extension n’a jamais été opérationnelle. » Moins sévère, Thani Mohammed Soilihi rappelle que le ministre Philippe Vigier s’est rendu sur le site de la deuxième usine à construire. « Il y a eu moins de négligence, puisque l’usine de Petite Terre était vouée à monter en puissance et cette 2e usine n’est devenue d’actualité qu’avec cette dernière crise. » Avant d’ajouter une nouvelle mise en garde : « Mais là encore, la lourdeur des procédures risque de tout retarder. Avec les collectivités et les services de l’Etat, on peut gagner du temps ou arrêter d’en perdre. On n’a plus droit à l’erreur, plus droit à l’attentisme. » 

Quand une crise chasse l’autre

Surtout Anne Perzo-Lafond comme Thani Mohammed Soilihi ajoutent que cette urgence de l’eau ne doit pas faire oublier les autres : la crise de l’hôpital, les questions de sécurité et notamment l’Opération Wuambushu, toujours en cours… « L’actualité de l’eau prend le dessus, mais les scènes de violence et notamment la violence des jeunes organisés en bandes n’a pas cessé », rappelle le sénateur Renaissance tout juste réélu, qui finit l’entretien en saluant l’arrivée prochaine de nouvelles brigades de gendarmerie. Une annonce faite en début de semaine par le président de la République. 

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