Trois semaines après le passage ravageur du cyclone Chido sur Mayotte, le sénateur RDPI (Renaissance) de l’archipel Saïd Omar Oili était l’invité de la matinale de Public Sénat. Victimes de Chido : « J’ai posé des questions régulièrement aux services de l’Etat et je n’ai jamais eu de réponses » Interrogé par la journaliste du Journal de Mayotte Mathilde Hangard, le sénateur exprime son fort agacement concernant la gestion de crise de l’Etat. Auteur d’une demande de commission d’enquête sur la gestion de crise, l’élu a écrit le 7 janvier un courrier au ministre des Outre-mer afin de connaître le bilan des victimes de la catastrophe naturelle. A date, les chiffres officiels font état de 39 morts, 124 blessés graves, 4 232 blessés légers. « J’ai posé des questions régulièrement aux services de l’Etat et je n’ai jamais eu de réponses », s’indigne-t-il, « je ne peux pas, au nom des victimes et de ceux qui souffrent, laisser tomber ce sujet-là, parce qu’il y a des gens qui sont peut-être ensevelis sous les décombres et que l’on n’a jamais retrouvés ». Saïd Omar Oili s’inquiète pour les Mahorais et déplore un manque de communication, d’anticipation et de transparence dans l’aide apportée aux sinistrés. « On n’a pas cherché [les personnes disparues]. Je suis élu local depuis vingt-cinq ans. Il y a des gens, quand on va dans les quartiers, je ne les vois pas. Ils sont où ? », demande-t-il sur le plateau de Public Sénat. « Je n’accuse personne, mais pour l’heure […] il n’y a pas de transparence, on dit tout et son contraire ». Mathilde Hangard, présente sur place, souligne que malgré les annonces de la préfecture, certains habitants n’ont toujours pas accès à l’eau, que des queues se forment dans les supermarchés, qu’on s’éclaire encore à la bougie par endroits et que des Mahorais doivent faire parfois plusieurs kilomètres pour trouver du réseau. Le ministère de l’Intérieur annonce pourtant sur son site que « presque 100 % de la population est raccordée à l’eau courante », que « 72, 5 % des clients sont alimentés » en électricité et qu’entre 85 et 93 % des abonnés des opérateurs sont couverts par le réseau. « J’espère qu’au nom de ces victimes, on ira jusqu’au bout de cette commission parlementaire » Ces écarts, Saïd Omar Oili ne se les explique pas. C’est la raison pour laquelle il a demandé au président de son groupe la constitution d’une commission d’enquête sur la gestion de crise. « J’espère qu’au nom de ces victimes, on ira jusqu’au bout de cette commission parlementaire, pour qu’enfin ce genre de choses ne se passe plus dans nos territoires vulnérables », affirme-t-il. D’autres territoires ultramarins sont sujets aux cyclones, comme La Réunion ou les Antilles. Au travers de cette commission d’enquête, l’élu souhaite également mettre en lumière le manque d’anticipation. « Pourquoi, alors que depuis le 8 décembre nous savions tous que le cyclone allait taper Mayotte et qu’il serait très violent, n’a-t-on pas prépositionné des gens sur place pour aller chercher les victimes ? », s’interroge-t-il, « on le voit dans le monde entier, lorsqu’un événement pareil arrive, on prend les mesures de précaution, ça n’a pas été fait cette fois-ci ». Projet de loi d’urgence pour Mayotte : un texte « plein de mesures mélangées » Pour faire face à l’urgence et la reconstruction, qui s’annonce colossale, le nouveau gouvernement planche sur un texte d’ « urgence », présenté ce matin en conseil des ministres, et sur un texte « de refondation » présenté en mars. Des projets de loi qui laissent sceptique le sénateur de Mayotte. Il juge le texte d’urgence fourre-tout, avec « plein de mesures mélangées ». Pourtant, les enjeux sont majeurs, en particulier en ce qui concerne la rentrée scolaire des élèves de l’archipel. Sur le plateau de Public Sénat, Saïd Omar Oili s’inquiète : « Dans l’étude d’impact de la loi d’urgence, on parle de 47 % des établissements publics détruits. Comment peut-on imaginer faire une rentrée de 117 000 élèves ? Ce n’est pas possible ». D’autant que les salles de classe manquaient bien avant le passage du cyclone, d’après le sénateur. Ce que l’élu attend surtout, ce sont des moyens, alors que l’examen du projet de loi de finances sera repris la semaine prochaine au Sénat. Il dénonce l’interventionnisme déconnecté de l’Etat. « Les gens qui viennent chez nous s’occuper de la reconstruction ne connaissent pas la culture mahoraise. La gestion même de la crise est désastreuse, parce qu’on a fait venir des gens de l’hexagone et il n’y a pas d’élus locaux et d’habitants parmi eux », déplore-t-il. Lutte contre l’immigration à Mayotte : « C’est un problème de moyens » Le second projet de loi à venir concernant l’archipel s’attaquera à l’immigration. C’est le souhait des ministres des Outre-mer Manuel Valls et de l’Intérieur Bruno Retailleau. « Nous avons un problème avec l’immigration », affirme Saïd Omar Oili. « Il n’y a jamais eu autant de barques arrivées chez nous que depuis qu’il y a eu le cyclone, car tous les bateaux militaires qui devaient contrôler les frontières se sont échoués », explique-t-il. Mais pour lui, la solution ne réside pas nécessairement dans un nouveau durcissement du droit du sol. « Il y a de l’hypocrisie dans tout ce que nous faisons : nous avons demandé depuis longtemps la fin des cartes de séjour territorialisées », s’indigne-t-il. Ces cartes de séjour, qui n’existent qu’à Mayotte, interdisent leur détenteur de se déplacer dans tout autre département français. Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, avait prévu de les supprimer en février 2024, lors de son passage sur l’archipel. Saïd Omar Oili plaide également pour une augmentation des moyens dans le contrôle des côtes de l’île pour empêcher toute arrivée illégale. « Aux Antilles, ils ont des patrouilleurs partout, c’est un problème de moyens », affirme-t-il. Interrogé sur la présence de Marine Le Pen à Mayotte en début de semaine, Saïd Omar Oili est catégorique : « Je ne veux pas que Mayotte serve de politique au niveau national. J’ai l’impression que notre île est devenue un jeu humain. Les gens viennent, ils nous regardent et essaient de trouver des solutions, qui ne sont pas des solutions pour nous, qui sont des solutions électoralistes ».
Cyclone Chido à Mayotte : un sénateur encore « traumatisé » par les cris de ses petits-enfants
Par Simon Barbarit
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Le cyclone le plus intense que Mayotte ait connu en un siècle n’a pas fini de faire des dégâts. Samedi, Chido a ravagé le département français sans que l’on sache exactement son bilan humain. « Il y aura certainement plusieurs centaines » de morts, « peut-être approcherons-nous le millier, quelques milliers », a évalué dimanche, François-Xavier Bieuville, le préfet de Mayotte.
« Ce qui est le plus marquant, c’est le silence dans des quartiers »
Les toits en tôle des « bangas », les bidonvilles qui jouxtent de nombreuses communes de l’île, n’ont pas fait le poids face aux rafales de plus de 220 km/h. « La population clandestine de Mayotte dépasse 100 000 personnes (320 000 habitants officiellement dénombrés). La tradition musulmane est par ailleurs d’enterrer les morts dans les 24 heures », rappelle une source du ministère de l’Intérieur.
L’unique hôpital, qui héberge la plus grande maternité de France a été « très endommagé » et les centres médicaux sont « inopérants », a par ailleurs, précisé la ministre de la Santé démissionnaire, Geneviève Darrieussecq.
« Ce qui est le plus marquant, c’est le silence dans des quartiers qui étaient pleins de vie jusque-là. 77 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté. Ils ne pouvaient se mettre à l’abri. Combien d’enfants ont perdu leurs parents ? Les écoles sont détruites. Les enseignants qui ont perdu leur maison ne reviendront peut-être pas », s’inquiète le sénateur (RDPI) de Mayotte, Saïd Omar Oili qui dit craindre de voir sur son île « une génération perdue », déjà privée d’école pendant la crise du Covid.
« Il va falloir des jours et des jours » pour dresser le bilan des victimes a confirmé le ministre de l’intérieur démissionnaire, Bruno Retailleau à son arrivée à Mayotte, lundi matin, avec son collègue des Outre-mer, François-Noël Buffet, et le mahorais Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’Etat chargé de la francophonie et des partenariats internationaux.
Saïd Omar Oili est lui « traumatisé » après avoir entendu, au téléphone, depuis la métropole, les cris de ses petits enfants lorsque la toiture de la maison familiale s’est envolée. « L’île est détruite à 90 %. L’eau et la nourriture vont manquer. Il n’y a plus d’électricité. 51 des 54 pylônes Orange sont endommagés. Il y a un risque d’épidémie de choléra. Il faut absolument éviter que la crise sanitaire se transforme en crise sécuritaire. Si la population n’a plus rien à manger, ça va entraîner des pillages », craint le sénateur qui est arrivé à Mayotte cet après-midi pour rejoindre sa famille ».
Selon une source de Beauvau, le ministre a demandé au préfet « une mobilisation maximale des forces de l’ordre pour porter secours à la population ». « 1 600 policiers et gendarmes sont déployés dans le respect de leur sécurité afin de « prévenir d’éventuels pillages ».
Bruno Retailleau a aussi demandé au préfet de Mayotte d’activer l’article 27 de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi). Un dispositif qui « permet au préfet, de prendre la direction de la crise et il a autorité sur l’ensemble des services de l’État au niveau local », précise-t-il sur X.
« La Réunion jouera son rôle de hub sanitaire »
Des ponts aériens et maritimes sont organisés depuis l’île voisine de la Réunion où vingt-trois soignants ont déjà rejoint Mayotte. « La Réunion va servir de hub pour transférer du matériel, des vêtements, de la nourriture. Un premier navire de la marine nationale est déjà parti avec à son bord des denrées alimentaires et du matériel EDF. La Réunion jouera son rôle de hub sanitaire. Mais ne pourra pas tout faire seule. La solidarité nationale doit jouer pleinement. Mayotte avait déjà des besoins extrêmement grands. L’Etat va devoir maintenant bousculer les procédures et mettre les moyens pour venir en aide aux Mahorais. Notre gouvernement est démissionnaire et contraint à la gestion des affaires courantes. Mais il s’agit d’une urgence vitale », appelle la sénatrice socialiste de la Réunion, Audrey Bélim.
Après l’aide d’urgence aux victimes, la question de la reconstruction du département le plus pauvre de France émerge déjà. L’ancien ministre des Outre-mer et actuel sénateur (PS) de Martinique, Victorin Lurel demande lui aussi « au gouvernement démissionnaire de prendre des mesures exceptionnelles ». L’Outre-mer ne fait d’ailleurs plus partie du portefeuille du ministère de l’intérieur depuis la nomination de Bruno Retailleau. Le ministre des Outre-mer, François-Noël Buffet est rattaché auprès du Premier ministre.
« Bousculer les procédures »
« Après le passage de l’ouragan Hugo en Guadeloupe en 1989, François Mitterrand était venu sur place et avait décidé qu’il fallait bousculer les procédures. La loi 3DS nous en offre la possibilité avec un article qui n’a jamais été utilisé jusqu’à ce jour. Il permet de déclarer l’état de calamité naturelle exceptionnelle. L’Etat n’est ainsi pas freiné dans son action de reconstruction par des délais imposés par le code des marchés publics », rappelle le sénateur, Victorin Lurel demande également que soit créée une délégation interministérielle, avec à sa tête un fonctionnaire expérimenté, et dotée de moyens pluriannuels conséquents », comme ce fut le cas après le passage de l’ouragan Irma en 2017. Audrey Bélim abonde. « Il faudra une ligne budgétaire dédiée à la reconstruction de Mayotte dans le prochain budget »
Néanmoins, plus de 300 000 personnes vivent à Mayotte contre à peine 45 000 à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. La catastrophe climatique qui s’est abattue sur l’île française du Pacifique, déjà en proie à de graves problèmes sanitaires, sociaux et sécuritaires, constituera un défi de taille pour le prochain gouvernement du nouveau Premier ministre, François Bayrou.