Dans les Alpes-Maritimes, un afflux de migrants mineurs pèse sur le département

Du 1er janvier au 31 octobre 2023, plus de 6200 mineurs non accompagnés sont arrivés dans le département des Alpes-Maritimes, première porte d’accès des migrants dans l’Hexagone. Un défi pour la police aux frontières, qui doit les traiter différemment des majeurs, mais surtout pour le département, qui en a la charge financière, si leur majorité est reconnue.
Jérôme Rabier

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

C’est devenu une routine, un ballet qui se répète à chaque arrivée d’un train en gare de Menton-Garavan. La police, présente en nombre, pénètre dans les wagons voyageurs et contrôle l’identité des passagers. « 365 jours par an, l’ensemble des trains sont contrôlés, qu’ils soient de voyageurs ou de fret », annonce Vincent Kasprzyk, commandant divisionnaire de la police aux frontières de Menton. « 70 à 80% des entrées irrégulières dans le département des Alpes-Maritimes se font par ce point de passage ferroviaire situé à moins de 8km de Vintimille » précise-t-il, annonçant un total de 37 664 interpellations depuis le début de l’année dans ce seul département.

 

Une obligation de protection pour les mineurs

 

En cas d’interpellations en gare, une première procédure se met immédiatement en place. Les majeurs d’un côté, les mineurs de l’autre. Car le traitement ne sera pas le même en fonction de leur statut comme l’explique Vincent Kasprzyk : « Le majeur est non-admis sur le territoire.  On lui notifie un refus d’entrer et on le renvoie en Italie. Le mineur, lui, est sous notre protection et après sous la protection du département. Mais le temps qu’il est dans nos locaux, on a un espace dédié aux mineurs, dans lequel on va attendre la prise en charge par le conseil départemental ».  Et cette année, le nombre de personnes se présentant comme mineurs explose. 14% du total des interpellés, contre 9% l’an dernier. « Ils soulèvent un totem d’immunité, car ils savent qu’ils ne sont pas expulsable en se présentant ainsi » ajoute le commandant, qui cite le cas de personnes donnant des années de naissance factices et qui sont incapables d’y associer l’âge correspondant.

 

Une première appréciation de la minorité

 

Pour éviter ces abus, une expérimentation est menée au sein même des locaux de la Police aux frontières (PAF). Ceux qui se présentent comme mineurs doivent passer un premier entretien avec des personnels qui dépendent du département, « une appréciation de la minorité ». « Les personnes sont interrogées sur leurs conditions de vie au pays, sur leur parcours migratoire, leur autonomie, le but étant de réunir le faisceau d’indices nécessaire pour rendre un avis aux services de la Police aux frontières », explique Morgane Milliasseau-Flaunet, responsable de la section appréciation, mise à l’abri et évaluation des mineurs non accompagnés au Conseil départemental des Alpes-Maritimes. Cet avis est ensuite donné à la PAF, qui prend seule la décision de reconduire en Italie ceux qu’elle considère majeures. Un premier filtre qui a conduit à écarter dès cette étape environ 450 personnes depuis le début de l’année. Pour les plus de 6200 personnes qui ont franchi cet obstacle depuis le 1er janvier, la procédure continue.

 

Une mise à l’abri systématique

 

La PAF les confie alors aux services du département ou à des associations qui opèrent pour la collectivité. La première étape est la mise à l’abri de ces mineurs, dont l’échelon départemental a la charge, comme pour l’ensemble des actions de protection de l’enfance. C’est l’étape la plus lourde, puisqu’il faut en permanence disposer de centaines de places disponibles pour les héberger. « Nous avons environ 500 places ouvertes pour les héberger. Soit dans des structures pérennes du département, soit, au vu de l’afflux massif de cette année, dans des hôtels avec qui on négocie des places et qui peut aller jusqu’à la privatisation complète d’un établissement » explique Annie Seksik, directrice de l’Enfance au Conseil départemental.  Cette année, des demandes de réquisition ont également été demandées au préfet pour faire face à des périodes d’arrivées massives. Lors de cet hébergement d’urgence, un premier examen médical doit aussi avoir lieu pour s’assurer de leur bonne condition de santé, ou déceler des prises en charge nécessaires.

 

Un tiers des personnes déboutées

 

Vient ensuite un nouveau filtre, environ 48 heures après leur arrivée. Avec une évaluation approfondie de leur minorité, bien plus détaillée que l’examen d’appréciation réalisée dans les locaux de la PAF. Des personnels mandatés par le département leur font passer un entretien d’une heure à une heure trente. « On a une grille d’évaluation qui reprend leur parcours, leur histoire familiale, les raisons de leur départ, et leur projet éventuel en France, avec l’appui d’un service de traduction pour ceux, nombreux, qui ne maitrisent pas le français » explique Annie Seksik. Qui évoque un chiffre « d’une personne sur trois qui est déclarée majeure à l’issue des cette évaluation, conforme à la moyenne nationale, et qui sont donc exclues de la prise en charge du Conseil départemental ».

 

Des fugues massives

 

Mais cela ne veut pas dire qu’ils seront tous pris en charge, car une grande majorité fuguent entre leur sortie des locaux de la PAF et l’entretien d’évaluation de la minorité, ou juste après. La plupart pour continuer leur parcours migratoire ailleurs en France mais surtout à l’étranger, avec le Royaume-Uni comme principal rêve. Finalement, ils ne sont plus que quelques centaines à devoir être confiés par un juge à un conseil départemental. Sur ceux encore présents, la moitié seront confiés par le juge à un autre département au nom de la solidarité nationale. Les équipes du conseil départemental des Alpes-Maritimes doivent alors s’assurer du transport et de l’accueil à bon port du mineur non accompagné, même si certains départements rechignent à en récupérer la charge.

 

L’autre moitié est confiée au département des Alpes-Maritimes, qui a actuellement 460 mineurs non accompagnés confiés à ses services, et pour lesquels ils doivent gérer tous les aspects de leur vie. « On intervient sur la question du logement, de leur scolarité, de leur formation, des actes administratifs, de leur santé, et on les prépare à leur autonomie, jusqu’à au moins leurs 18 ans » détaille Annie Seksik.

 

Une explosion des dépenses

 

Pour gérer cette prise en charge des mineurs non accompagnés, depuis leur arrestation à la frontière jusqu’à leur éventuel suivi jusqu’à leurs 18 ans, le département des Alpes-Maritimes dépense beaucoup, et de plus en plus. « Le service dédié aux mineurs non accompagnés est passé de trois agents en 2018 à plus de quarante aujourd’hui » appuie Annie Seksik. Et les crédits alloués ont suivi une courbe tout aussi impressionnante « passant de 13 millions d’euros en 2022 à 28 millions d’euros en 2023 », détaille Auguste Verola, vice-président de la collectivité en charge notamment de l’Enfance. Mais pour lui comme pour l’ensemble des départements, la situation n’est plus tenable. « C’est un problème migratoire qui est un problème d’État, donc soit l’État prend en charge cet accueil, soit il nous donne davantage de moyens pour le faire », poursuit-il. La réalité de la demande des départements est plus nuancée. Ils espèrent une renationalisation par l’Etat de la première étape de mise à l’abri des personnes se déclarant mineures, et de l’évaluation de leur minorité. En revanche ils sont pour la plupart prêt à continuer leur mission de prise en charge une fois la minorité avérée, comme ils le font pour tous les mineurs, étrangers ou non, dont ils ont la charge au nom de la protection de l’Enfance.

Des sénateurs voulaient relayer ces demandes lors de l’examen du projet de loi Asile et immigration au Sénat. Mais engendrant de nouvelles dépenses, leurs amendements ont été rejetés avant le débat dans l’hémicycle, en commission. Seules des demandes de rapport sur une renationalisation partielle seront débattues. Et ces demandes viennent de tous bords politiques, preuve que les inquiétudes des départements sur la prise en charge des mineurs non accompagnés sont entendues au Palais du Luxembourg.

Dans la même thématique

Dans les Alpes-Maritimes, un afflux de migrants mineurs pèse sur le département
6min

Territoires

Victimes à Mayotte : le sénateur Saïd Omar Oili réclame une commission d’enquête sur la gestion de crise

Trois semaines après le passage ravageur du cyclone Chido sur Mayotte, le sénateur RDPI (Renaissance) de l’archipel Saïd Omar Oili était l’invité de la matinale de Public Sénat. Victimes de Chido : « J’ai posé des questions régulièrement aux services de l’Etat et je n’ai jamais eu de réponses » Interrogé par la journaliste du Journal de Mayotte Mathilde Hangard, le sénateur exprime son fort agacement concernant la gestion de crise de l’Etat. Auteur d’une demande de commission d’enquête sur la gestion de crise, l’élu a écrit le 7 janvier un courrier au ministre des Outre-mer afin de connaître le bilan des victimes de la catastrophe naturelle. A date, les chiffres officiels font état de 39 morts, 124 blessés graves, 4 232 blessés légers. « J’ai posé des questions régulièrement aux services de l’Etat et je n’ai jamais eu de réponses », s’indigne-t-il, « je ne peux pas, au nom des victimes et de ceux qui souffrent, laisser tomber ce sujet-là, parce qu’il y a des gens qui sont peut-être ensevelis sous les décombres et que l’on n’a jamais retrouvés ». Saïd Omar Oili s’inquiète pour les Mahorais et déplore un manque de communication, d’anticipation et de transparence dans l’aide apportée aux sinistrés. « On n’a pas cherché [les personnes disparues]. Je suis élu local depuis vingt-cinq ans. Il y a des gens, quand on va dans les quartiers, je ne les vois pas. Ils sont où ? », demande-t-il sur le plateau de Public Sénat. « Je n’accuse personne, mais pour l’heure […] il n’y a pas de transparence, on dit tout et son contraire ». Mathilde Hangard, présente sur place, souligne que malgré les annonces de la préfecture, certains habitants n’ont toujours pas accès à l’eau, que des queues se forment dans les supermarchés, qu’on s’éclaire encore à la bougie par endroits et que des Mahorais doivent faire parfois plusieurs kilomètres pour trouver du réseau. Le ministère de l’Intérieur annonce pourtant sur son site que « presque 100 % de la population est raccordée à l’eau courante », que « 72, 5 % des clients sont alimentés » en électricité et qu’entre 85 et 93 % des abonnés des opérateurs sont couverts par le réseau. « J’espère qu’au nom de ces victimes, on ira jusqu’au bout de cette commission parlementaire » Ces écarts, Saïd Omar Oili ne se les explique pas. C’est la raison pour laquelle il a demandé au président de son groupe la constitution d’une commission d’enquête sur la gestion de crise. « J’espère qu’au nom de ces victimes, on ira jusqu’au bout de cette commission parlementaire, pour qu’enfin ce genre de choses ne se passe plus dans nos territoires vulnérables », affirme-t-il. D’autres territoires ultramarins sont sujets aux cyclones, comme La Réunion ou les Antilles. Au travers de cette commission d’enquête, l’élu souhaite également mettre en lumière le manque d’anticipation. « Pourquoi, alors que depuis le 8 décembre nous savions tous que le cyclone allait taper Mayotte et qu’il serait très violent, n’a-t-on pas prépositionné des gens sur place pour aller chercher les victimes ? », s’interroge-t-il, « on le voit dans le monde entier, lorsqu’un événement pareil arrive, on prend les mesures de précaution, ça n’a pas été fait cette fois-ci ». Projet de loi d’urgence pour Mayotte : un texte « plein de mesures mélangées » Pour faire face à l’urgence et la reconstruction, qui s’annonce colossale, le nouveau gouvernement planche sur un texte d’ « urgence », présenté ce matin en conseil des ministres, et sur un texte « de refondation » présenté en mars. Des projets de loi qui laissent sceptique le sénateur de Mayotte. Il juge le texte d’urgence fourre-tout, avec « plein de mesures mélangées ». Pourtant, les enjeux sont majeurs, en particulier en ce qui concerne la rentrée scolaire des élèves de l’archipel. Sur le plateau de Public Sénat, Saïd Omar Oili s’inquiète : « Dans l’étude d’impact de la loi d’urgence, on parle de 47 % des établissements publics détruits. Comment peut-on imaginer faire une rentrée de 117 000 élèves ? Ce n’est pas possible ». D’autant que les salles de classe manquaient bien avant le passage du cyclone, d’après le sénateur. Ce que l’élu attend surtout, ce sont des moyens, alors que l’examen du projet de loi de finances sera repris la semaine prochaine au Sénat. Il dénonce l’interventionnisme déconnecté de l’Etat. « Les gens qui viennent chez nous s’occuper de la reconstruction ne connaissent pas la culture mahoraise. La gestion même de la crise est désastreuse, parce qu’on a fait venir des gens de l’hexagone et il n’y a pas d’élus locaux et d’habitants parmi eux », déplore-t-il. Lutte contre l’immigration à Mayotte : « C’est un problème de moyens » Le second projet de loi à venir concernant l’archipel s’attaquera à l’immigration. C’est le souhait des ministres des Outre-mer Manuel Valls et de l’Intérieur Bruno Retailleau. « Nous avons un problème avec l’immigration », affirme Saïd Omar Oili. « Il n’y a jamais eu autant de barques arrivées chez nous que depuis qu’il y a eu le cyclone, car tous les bateaux militaires qui devaient contrôler les frontières se sont échoués », explique-t-il. Mais pour lui, la solution ne réside pas nécessairement dans un nouveau durcissement du droit du sol. « Il y a de l’hypocrisie dans tout ce que nous faisons : nous avons demandé depuis longtemps la fin des cartes de séjour territorialisées », s’indigne-t-il. Ces cartes de séjour, qui n’existent qu’à Mayotte, interdisent leur détenteur de se déplacer dans tout autre département français. Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, avait prévu de les supprimer en février 2024, lors de son passage sur l’archipel. Saïd Omar Oili plaide également pour une augmentation des moyens dans le contrôle des côtes de l’île pour empêcher toute arrivée illégale. « Aux Antilles, ils ont des patrouilleurs partout, c’est un problème de moyens », affirme-t-il. Interrogé sur la présence de Marine Le Pen à Mayotte en début de semaine, Saïd Omar Oili est catégorique : « Je ne veux pas que Mayotte serve de politique au niveau national. J’ai l’impression que notre île est devenue un jeu humain. Les gens viennent, ils nous regardent et essaient de trouver des solutions, qui ne sont pas des solutions pour nous, qui sont des solutions électoralistes ».

Le

AL 1
6min

Territoires

Ravagée par trois guerres en moins d’un siècle… « Alsace dans la tourmente de l’Histoire »

En l’espace d’une vie, les Alsaciens ont dû changer quatre fois de nationalité contre leur gré. Devenue allemande en 1871, redevenue française au lendemain de la Première Guerre mondiale, avant de passer sous le joug nazi… l’histoire de l’Alsace est faite de déchirements. Des souffrances mais aussi une résilience et une certaine ardeur de vivre. C’est cela que raconte le documentaire de Richard Puech « Alsace dans la tourmente de l’Histoire » diffusé sur Public Sénat.

Le