La remise d’une lettre de mission sur la décentralisation à Éric Woerth par Emmanuel Macron, le 5 novembre, a mis le feu aux poudres. La lettre évoque une organisation territoriale devenue « trop complexe » et une action publique qui doit « gagner en efficacité ». La référence à un « nombre de strates décentralisées, aujourd’hui trop nombreuses », a profondément irrité les élus départementaux. Heureusement, Élisabeth Borne a assuré le service après-vente et rassuré tout le monde en rappelant que le département, qui gère un pan important de la politique sociale, est « un échelon indispensable pour l’action publique locale ».
« Quand je vois se rouvrir un débat sur la décentralisation en se posant la question du nombre de strates, je pense qu’on va droit dans le mur », a déclaré François Sauvadet (UDI), président de Départements de France pour qui la vraie réforme de la décentralisation c’est le changement des pratiques de l’Etat ».
Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, dans la continuité de la révision générale des politiques publiques, la création d’un mandat de « conseiller territorial » remplaçant les conseillers généraux et régionaux avait été envisagée avant d’être abandonnée. Une idée régulièrement revisitée par le président de la République. En 2014, Manuel Valls avait proposé, dans le cadre de la réforme territoriale, de supprimer les conseils départementaux.
« Tarte à la crème » : les élus fustigent l’absence de cap pour la décentralisation
« Alors que nous étions au départ dans une démarche ascendante de responsabilisation des collectivités, nous sommes devenus des agences d’exécution avec une somme de contrôles et un étranglement financier », fustige Jean-Louis Dupont, président centriste du conseil départemental du Calvados.
« Après un nombre délirant de réformes institutionnelles depuis 2010, avec la création des métropoles puis des régions, cantons, intercommunalités XXL, les élus souhaitent aujourd’hui une pause », note Arnaud Duranthon maître de conférences à l’Université de Strasbourg et auteur d’une étude sur la décentralisation. Pour ce dernier, la référence aux « strates » dans la lettre de mission n’est pas innocente et renvoie à une approche « très technicienne » et « très instrumentale » avec pour objectif d’encourager la croissance économique » face à la globalisation des échanges. Cette inclinaison, au détriment des départements, pourrait s’avérer « nocive », estime Arnaud Duranthon.
Au fur et à mesure des réformes territoriales, de la montée en puissances des régions et des métropoles, les compétences du département se sont considérablement réduites, jusqu’à en faire « la variable d’ajustement de la décentralisation », considère Nelly Ferreira, maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise.
« Soit c’est une provocation, soit c’est un énième coup d’épée dans l’eau avec cette tarte à la crème du nombre des strates qui réapparaît », juge Stéphane Troussel, président PS du conseil départemental de Seine-Saint-Denis. Ce dernier rappelle également que « quand les préfets sont allés taper à la porte des départements pour les aider à lutter contre le covid-19, on ne parlait pas du niveau de strates ».
« Il y a cette petite musique qui monte qu’il faudrait nous contrôler parce que l’Etat fait mieux que nous, nous sommes des responsables publics ! Ce que nous demandons, c’est de faire confiance », scande François Sauvadet.
Surtout, la forme d’une réforme institutionnelle et d’une nouvelle étape de décentralisation demeure floue. « On nous a annoncé une réforme de la décentralisation, un chamboulement pouvant aller jusqu’à la suppression d’un échelon », souligne Arnaud Duranthon, avant d’ajouter qu’il manque un « cap » notamment idéologique pour savoir à quoi pourrait ressembler une décentralisation idéale.
(Avec AFP)