Incendie

Dégradation des copropriétés : « La crise sociale et la crise du logement s’auto-alimentent », alerte Philippe Rio, maire de Grigny

Un peu plus d’une semaine après le vote à l’unanimité au Sénat du projet de loi visant à accélérer et simplifier les procédures de lutte contre l’habitat dégradé, les élus locaux ont alerté sur un enjeu structurel pour bon nombre d’entre eux. S’ils saluent « un certain nombre d’avancées », elles restent « insuffisantes », au regard de la « complexité » des procédures.
Alexis Graillot

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« Le sujet de la paupérisation des copropriétés touche tous les territoires, des métropoles aux bourgs ruraux, en passant par la banlieue ». Le constat de la présidente de la commission d’enquête sur la paupérisation des copropriétés, Amel Gacquerre, témoigne de l’ampleur d’un phénomène, qui risque de s’aggraver, face à un « système qui se fragilise à grande vitesse », explique de son côté la rapporteure, Marianne Margaté.

Face à ce constat inquiétant, les élus locaux se retrouvent en première ligne, face à des procédures complexes, des acteurs multiples, et une architecture juridique encore insuffisante, en dépit du récent vote sur le projet de loi visant à accélérer et simplifier les procédures de lutte contre l’habitat dégradé, voté le 27 mars dernier au Sénat à l’unanimité.

 Ces cinq dernières années, notre pays a fait un grand pas sur la question des copropriétés à travers un arsenal législatif et réglementaire nouveau 

Philippe Rio, maire de Grigny

20% des copropriétés en difficulté

Dans un récent rapport, l’Agence nationale de l’habitat (Anah) a estimé que sur 750 000 copropriétés en France, 150 000 se trouvent en difficulté. Un chiffre qui alerte, s’il est couplé aux 400 000 logements indignes, recensés en France métropolitaine, la moitié étant occupés par les propriétaires eux-mêmes, qui « n’ont ni les moyens de faire les travaux, ni les moyens de partir et demeurent propriétaires d’un mal-logement avec de graves conséquences sanitaires et sociales », selon la commission d’enquête.

Consultés, les élus partagent largement ce constat, 58% des répondants déclarant avoir « des copropriétés dégradées dans leur commune » et deux tiers d’entre eux estimant qu’il s’agit d’une « problématique importante ou très importante ». Pour autant, pour une partie non négligeable d’entre eux, les outils restent insuffisants puisque « 59,6 % des élus estiment que le Registre national d’immatriculation des Copropriétés (RNIC), n’est pas un outil efficace pour repérer les copropriétés en difficulté », « la moitié des répondants ignor[a]nt même son existence ».

Des manques auxquels le projet de loi voté le 27 mars dernier au Sénat, après une commission mixte paritaire conclusive, se veut répondre. « Anticiper la dégradation », « accélérer la réhabilitation », « lutter contre les marchands de sommeil », tels sont les trois objectifs fixés par le législateur, qui introduit notamment une procédure d’expropriation « des immeubles indignes à titre remédiable », afin de « rénover plutôt que démolir ». Des avancées saluées par l’ensemble des élus, qu’il conviendra d’évaluer à long-terme. A ce titre, le maire de Grigny, Philippe Rio estime que « ces cinq dernières années, notre pays a fait un grand pas sur la question des copropriétés à travers un arsenal législatif et réglementaire nouveau », saluant la mise en place du « Plan Initiative Copropriétés » en 2018, qui a permis à l’Anah de « proposer aux territoires, une stratégie nationale globale et coordonnée ». De son côté, Michel Bisson, maire de Lieusaint et vice-président de France Urbaine, propose d’aller encore plus loin sur la question des marchands de sommeil, avec des « procédures accélérées », ainsi qu’une « lutte contre les squats ».

 La puissance publique doit intervenir avant que les choses ne soient trop dégradées 

Hélène Geoffroy, maire du Vaulx-en-Velin

« Accroissement des copropriétés fragiles et dégradées »

Néanmoins, la situation est inquiétante, plusieurs élus, comme Philippe Rio, faisant part de leur « pessimisme » sur la situation, au regard d’une crise du logement « qui va durer ». « La crise du logement et la crise sociale s’auto-alimentent », explique-t-il, critiquant les conditions d’accès au logement social, qui « exclut beaucoup de personnes, qui se retrouvent dans des systèmes de logements fragiles voire dégradés ».

Un constat appuyé par la maire de Vaulx-en-Velin, Hélène Geoffroy, dont une des copropriétés de la ville a été victime d’un incendie meurtrier, le 16 décembre 2022, coûtant la vie à 10 personnes, dont 4 enfants. Revenant sur le drame, l’élue a estimé que ce dernier avait pu « jeter la lumière sur le désarroi sur la manière dont certaines copropriétés ont évolué ». A cet égard, si elle juge que les plans de sauvegarde sont « des outils qui fonctionnent très bien », elle déplore leur temporalité de mise en œuvre « extrêmement longue ». « La puissance publique doit intervenir avant que les choses ne soient trop dégradées », estime-t-elle.

« L’accompagnement social n’est pas au niveau », tance cependant Philippe Rio, regrettant que « des citoyens dans des situations de très grande fragilité ne font pas recours au droit », qui s’explique principalement par le fait que « les travailleurs sociaux maîtrisent mal les concepts de la copropriété, et pratiquent même l’auto-censure », estimant que « s’ils s’engagent avec une personne, mais que le dossier n’est pas accepté, c’est leur crédibilité qui se joue ».

 

Le logement devrait cependant être au cœur de nombreux chantiers ces prochaines semaines, avec la refonte du logement social promis par le ministre Gabriel Attal, lors de son discours de politique générale. A ce titre, un projet de loi a été annoncé pour la mi-juin à la chambre haute, et doit notamment revenir sur la loi Solidarité et renouvellement urbain, dite loi SRU, qui fixe les quotas de logements sociaux dans certaines communes.

De son côté, la commission d’enquête poursuit ces auditions, avec une remise de ses travaux, au plus tard fin juillet, avant la pause parlementaire.

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