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Finances locales : les sénateurs tirent la sonnette d’alarme

Le groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) a initié une mission d’information sur les finances locales. 10 propositions concrètes concluent une réflexion particulièrement critique envers les normes réglementaires et les décisions budgétaires « imposées » par l’Etat aux collectivités locales.
François-Xavier Roux

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« Analyser l’impact des décisions réglementaires et budgétaires de l’Etat sur l’équilibre financier des collectivités territoriales », telle est la mission que se sont fixés les sénateurs. La mission d’information s’est constituée sous la présidence de Jérôme Bascher (LR) et Guylène Pantel (RDSE) remplit la fonction de rapporteure. L’analyse est contrainte par le contexte alarmant de la situation. Les décisions gouvernementales « compromettent l’équilibre des finances locales ». Par ricochets, c’est l’ensemble du travail des mairies qui est mis-à-mal par les directives de l’Etat. « Climat détérioré », « perte de confiance », absence de « consultation des élus », autant de termes utilisés par les sénateurs pour pointer du doigt une situation qui ne semble plus tenable. Les contraintes sont « de plus en plus abondantes au risque de submerger les élus ». En plus de la pression quantitative, les « injonctions paradoxales » et les « normes contradictoires » sont aussi dans le viseur des parlementaires. Est dénoncée entre autres la dynamique négative prise par les décisions qui génèrent « un système de financement de plus en plus instable ».

La pression des normes réglementaires

Actuellement, il est difficile d’estimer le nombre de normes. « Le chiffre de 400 000 normes, parfois avancé, ne repose sur aucun recensement rigoureux » expliquent les sénateurs. Mais une dynamique exponentielle est bien réelle : « Le code général des collectivités territoriales (CGCT), qui a triplé de volume entre 2002 et 2023, approche aujourd’hui le million de mots ». L’abondance des normes réglementaires est si importante que les sénateurs la qualifient de « prolifération normative ». Ce raisonnement les pousse même à parler de « normes médicaments ». Entendons par ce terme que les normes sont décrétées « afin de donner l’impression, voire l’illusion, qu’ils [l’Etat] ont réglé la question dans l’intérêt général ». Quand bien même elles soient fondées, elles « risquent de générer des contradictions ». A trop vouloir réglementer, les idées se perdent. Il est évoqué un brouillage des normes causé par leur nombre. De plus, contradictoires et complexes, « elles risquent d’être interprétées différemment selon le service en charge de leur respect ». Dans la continuité, les sénateurs déplorent « un poids des normes » à l’origine de « modification, de report, voire d’abandon des projets portés par les collectivités ». En mai 2023, Public Sénat s’est rendu à Illkirch Graffenstaden (67) pour comprendre cette « addiction aux normes » qui perturbent les collectivités locales.

Les décisions de l’Etat placent aussi les collectivités locales « dans une situation difficilement soutenable financièrement et qui accentue le sentiment général de découragement ». Les élus locaux sont personnellement touchés par le raz-de-marée normatif. « Certains d’entre eux considèrent qu’ils sont devenus des « auxiliaires » ou des « opérateurs » de l’Etat et qu’ils se retrouvent de facto privés de marges de manœuvres pour conduire les politiques publiques locales pour lesquelles ils ont été élus » ont remarqué les sénateurs sur le terrain. Les élus rencontrent de fait des problèmes de recrutements « dans certains secteurs où les normes sont trop complexes ». La mission d’information a réalisé une enquête auprès de 1635 élus locaux et 45% de ces élus ont reconnu avoir des difficultés de recrutement. Le cas des secrétaires de mairie est assez significatif. Cheville ouvrière de l’Etat dans les collectivités, le métier traverse pourtant une crise sans précédent. Dans ce sens, trois sénateurs ont présenté une mission d’information sur ce poste. « L’inflation normative » le rend de plus en plus complexe. Ces agents doivent « actualiser en permanence leurs connaissances relatives au cadre législatif et réglementaire », dénaturant le sens initial de leur mission.

La rupture entre l’Etat et les collectivités territoriales

Dans leurs conclusions, les sénateurs soulignent également la « perte de confiance » entre élus et Etat. En cause une centralisation dans les prises de décisions qui délaissent les collectivités. Les réformes voulues par l’Etat ont été mises en œuvre « avec une faible consultation des élus locaux et, quand cette consultation a eu lieu, sans tenir compte des positions d’associations d’élus ». La mise de côté des élus locaux confirme la rupture. Ces deux mondes ne se retrouvent plus. En janvier 2023, les sénateurs ont consulté 1109 élus locaux. 75% d’entre eux jugent l’accompagnement de l’Etat insuffisant mais surtout que 1,6% le jugent pleinement satisfaisant. La mission d’information relève ainsi « une insuffisance concertation avec les collectivités qui sont pourtant les destinataires de ces décisions ». Au cours de leurs travaux, les sénateurs reconnaissent avoir accumulé de nombreux témoignages illustrant ce décalage. En témoigne ce maire qui a dû abaisser un bénitier « pour le rendre accessible aux personnes à mobilité réduite ». Guylène Pantel ne juge pas le bien fondé de cette décision mais « demeure particulièrement circonspecte, au regard du contexte budgétaire, sur le caractère prioritaire d’une telle décision ». Les décisions étatiques sont jugées comme « mal évaluées par l’Etat, que ce soit en amont de la préparation des textes ou en aval ».

L’impasse dans laquelle se retrouvent les collectivités locales n’est pas du seul fait des normes mais également « la conséquence des décisions budgétaires de l’Etat ». Les sénateurs constatent notamment « une perte de visibilité pour les élus ». Les élus locaux font face à « une complexification du financement des collectivités » causée par une dégradation de l’autonomie fiscale. Entre 2010 et 2017, il est relevé plus de 70 décisions qui ont conduit à « la suppression d’impôts locaux ». Concernant les ressources budgétaires, les élus « se perdent dans le maquis des règles applicables ». Ces derniers temps, le Gouvernement a vanté l’aspect bénéfique des boucliers tarifaires. Dans un contexte de hausse des prix de l’énergie, les collectivités les plus en difficulté se sont vues proposer une aide financière depuis 2021. Toutefois, les sénateurs se sont aperçus que le dispositif est complexé dans son application et ne couvre « que très partiellement les dépenses nouvelles pour les collectivités ». Cet exemple budgétaire illustre les nombreux problèmes de communications et concertations existants entre Etat et élus locaux.

Quelles pistes pour en sortir ?

Les sénateurs ne se limitent pas à un simple constat mais ont à cœur de réinstaurer un dialogue plus efficace entre les élus locaux et l’Etat. Ils dressent une liste de 10 recommandations afin de « limiter l’impact des décisions règlementaires et budgétaires de l’Etat sur l’équilibre financier des collectivités ». Par le passé, différents accords ont déjà eu lieu. A Cahors, en décembre 2017, l’Etat et les collectivités locales se mettent d’accord pour limiter la croissance des dépenses de fonctionnement. Cependant, le Gouvernement invite à développer l’investissement local. De fait, apparaît une hausse des frais de fonctionnement pour la maintenance et l’entretien. Cette contradiction appelle à une meilleure cohérence de la politique soutenue par l’Etat. Pour prévenir d’autres antinomies, les sénateurs proposent la fusion du Comité des finances locales (CFL) et du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) pour mieux évaluer l’impact des décisions de l’Etat. Cette fusion « devra nécessairement renforcer le poids des élus locaux dans la gouvernance ». Dans les autres pistes d’études, est proposée la constitution de « conférences de dialogue », qui placées sous l’égide des préfets permettrait un meilleur dialogue. Selon les sénateurs, la résolution de la crise passe par une place plus grande accordée au préfet dans la structure de l’administration en France.

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