Ces dernières années, l’exigence de transparence et de contrôle des frais de mandat s’est nettement durcie pour les parlementaires. Le sujet ne s’est toutefois pas posé dans les mêmes termes pour les élus locaux, les lois de moralisation de 2017 s’étaient surtout concentrées sur les députés et les sénateurs. À moins de six mois des élections municipales, ces questions reviennent dans le débat public.
La maire de Paris, Anne Hidalgo, a été épinglée par une association mi-septembre au sujet du montant de ses notes de frais de représentation. Les factures, consultées par Mediapart, font état en particulier de 73 700 euros en frais vestimentaires, répartis sur 241 pièces dont certaines relèvent de maisons de luxe. Un dossier est en cours d’examen par le Parquet national financier.
Un autre élu parisien, Éric Lejoindre, le maire socialiste du 18e arrondissement, est également depuis peu dans la tourmente médiatique. L’édile est pris dans une polémique pour le montant et la nature de certaines dépenses, comme 6500 euros de frais de pressing, des repas au restaurant avec des menus enfant, un grand cru à plus de 100 euros ou encore deux repas chics pour plus de 1200 euros, relate Le Figaro. Au total, près de 35 000 euros ont été déboursés de 2020 à 2024. L’élu a dénoncé une « opération politicienne » de la droite ayant pour but de faire diversion des affaires judiciaires visant Rachida Dati.
Le Code général des collectivités territoriales ne dit rien de la nature des dépenses
Que prévoit la loi en matière de remboursement de frais pour les maires ? En réalité, peu de choses, une conséquence qui découle notamment du principe de libre administration des collectivités. Le Code général des collectivités territoriales est très succin. L’article L2123-19 dispose que « le conseil municipal peut voter, sur les ressources ordinaires, des indemnités au maire pour frais de représentation ». Il s’agit donc d’une possibilité, et non d’une obligation, qui dépend de la décision du conseil municipal.
Cette indemnité est réservée seulement aux maires, et ne peut concerner les conseillers municipaux, mais l’Association des maires de France précise qu’elle peut aussi concerner les présidents de métropoles, de communautés urbaines ou d’agglomération.
C’est également le conseil municipal qui en fixe le montant. Dans le cas de la Ville de Paris, le plafond de ces avances sur frais est fixé à 19 720 pour la maire de la capitale, et à 11 092 pour chacun des maires d’arrondissement, deux limites qui ont été réduites à deux reprises depuis 2008 précise cette municipalité ce 2 octobre. Les deux élus se sont défendus en soulignant notamment que leurs dépenses n’avaient pas dépassé les plafonds, et la mairie a dénoncé une « campagne médiatique calomnieuse ».
Contrairement aux frais de mission (également appelés frais d’exécution d’un mandat spécial), qui peuvent s’appliquer à tous les élus d’une commune pour les dépenses engagées dans le cadre d’un déplacement ou d’une mission bien précise, l’indemnité pour frais de représentation du maire correspond à une allocation, plus qu’un remboursement stricto sensu. Elle peut être votée en raison de circonstances particulières ou être accordée sous d’une indemnité unique, fixe et annuelle, détaille l’AMF.
« L’indemnité de représentation ne peut constituer un traitement déguisé »
La nature des dépenses qui peuvent être prises en charge par cette allocation, n’est toutefois pas détaillée. Face à l’absence de précisions inscrites dans la loi, plusieurs parlementaires ont sollicité le gouvernement, via des questions écrites, ces 20 dernières années pour obtenir une interprétation du texte. À deux reprises, le ministère de l’Intérieur a indiqué que cette allocation est « par principe, destinée à couvrir les dépenses engagées par le maire, et lui seul, à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et dans l’intérêt des affaires de la commune ».
La place Beauvau rappelle que « les conditions d’attribution de cette indemnité sont soumises, le cas échéant, au contrôle du juge administratif, qui s’assure notamment de la justification des dépenses auxquelles elle aurait été destinée à faire face ». La jurisprudence, en particulier deux arrêts du Conseil d’État d’avant-guerre, soulignent que l’indemnité dite de représentation ne peut excéder les frais auxquels elle doit correspondre, « et qu’elle ne peut, en toute hypothèse, constituer un traitement déguisé ».
En tout état de cause, l’Association des maires de France recommande de « conserver la justification de toutes les dépenses auxquelles le maire a pu faire face ». Depuis une décision du Conseil d’État de 2023, rappelons que les maires sont obligés de rendre publiques leurs dépenses si des citoyens en font la demande.
Des juridictions financières ont donné une lecture du périmètre autorisé
Le contrôle peut s’effectuer au cas par cas par le juge administratif. Dans leurs rapports de contrôle sur les finances communales, les différentes Chambres régionales des comptes ont eu l’occasion de donner leur appréciation sur ce qui entre, et ce qui n’entre pas dans ce type de dépense. Se basant sur ce type de littérature, le cabinet d’avocats Seban et associés, spécialisé dans le droit des collectivités locales, souligne que la restauration et les produits de consommation courante, ou encore d’habillement et d’esthétique « ne rentrent pas dans le cadre des frais de représentation imputables au budget communal ». Ce document, qui invite les élus à la prudence, notamment dans la perspective d’une vérification par une juridiction administrative, a été partagé par l’Association des maires d’Île-de-France.
Dans un rapport publié en 2017, la Chambre régionale des comptes d’Île de France a par exemple indiqué que le « lien des dépenses avec l’exercice du mandat devrait par ailleurs être justifié ». Elle avait épinglé le « caractère insuffisant » de certaines pièces produites à Paris pour le contrôle des frais de représentation, comme des récépissés de cartes bancaires. Deux années plus tard, la Chambre régionale des comptes des Hauts-de-France recommandait de faire figurer sur les factures des mentions permettant d’identifier les participants et la manifestation concernée.
Concernant les dépenses vestimentaires, la Chambre régionale des comptes de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur a indiqué en 2011 qu’ « en l’absence d’un texte spécifique aux dépenses d’habillement les frais de représentation ne peuvent pas, en principe, englober ce type de charge, sauf à justifier que ces dépenses soient directement liées à la participation à une cérémonie particulière, exigeant par exemple une tenue de gala ». Les magistrats financiers ont souligné qu’il était « nécessaire de préciser les catégories de dépenses qui sont exclues du dispositif ».
Un régime « peu transparent » et qui peut conduire à des « dérives », selon l’Observatoire de l’éthique publique
La Cour des comptes n’est pas la seule organisation à réclamer une clarification de cette allocation de frais de mandats. En 2020, l’Observatoire de l’éthique publique, présidé par l’ancien député PS René Dosière, appelait dans une note à « améliorer la transparence et renforcer le contrôle sur l’ensemble des indemnités et rémunérations perçues par les élus locaux ». L’association juge que le régime actuel « est peu transparent et peut conduire à des dérives », étant donné l’absence de référentiel en la matière.
L’Observatoire avait alors proposé « d’établir par voie réglementaire un référentiel sur le modèle de celui établi par les assemblées parlementaires pour l’utilisation des frais de mandat des députés et sénateurs ». Rappelons que depuis 2017, la loi oblige le bureau de chaque assemblée à fixer les modalités selon lesquelles leur déontologue vérifie que les dépenses remboursées correspondent à des dépenses liées au mandat. La Ville de Paris a rappelé ce 2 octobre que sa commission de déontologie a élaboré, avec les maires d’arrondissements, un « memento des frais de représentation pour poser des règles claires concernant les notes de frais ».