Parfois mal aimées des élus locaux, souvent mal connues des concitoyens, les intercommunalités ont vu leur place dans le paysage de l’organisation territoriale se renforcer au cours des dernières années, en réponse à l’émiettement communal du territoire. Voilà dix ans, depuis la mise en place de la loi Maptam (loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles) de 2014, et la loi NOTRe (loi portant nouvelle organisation territoriale de la République) de 2015, que cet échelon a vu ses compétences étendues et qu’il maille l’ensemble du territoire national. Le Sénat s’est penché sur le bilan de ces collectivités. Une consultation en ligne des élus locaux, à laquelle ont répondu près de 2000 d’entre eux, a permis de cerner le ressenti sur le terrain.
La mission d’information, dont le rapport a été rendu par la sénatrice Maryse Carrère (Rassemblement démocratique social et européen) et le sénateur Jean-Marie Mizzon (Union centriste), tire un bilan mitigé de la situation des intercommunalités, soulignant une « réussite globale mais hétérogène ».
Un bon fonctionnement dans l’ensemble mais beaucoup sont encore perçues « comme autoritaires »
« Les intercommunalités fonctionnent bien, un trop grand nombre d’entre elles sont encore aujourd’hui perçues comme autoritaires », écrivent les parlementaires, tout en ajoutant que ces structures ont permis « de mener à bien des projets que la seule commune n’aurait pas pu assurer seule ». « Certains élus ont insisté sur leur capacité à mener des projets structurants, à même d’offrir de nouveaux services. D’autres la vivent comme une véritable dépossession, comme si la commune était vidée de sa substance », relate le sénateur de Moselle Jean-Marie Mizzon.
Au regard de cette grande hétérogénéité de réalités, la mission sénatoriale n’entend pas apporter une réponse uniforme et plaide pour « une adaptation » du cadre juridique de l’intercommunalité « à la diversité des territoires ». Elle refuse un modèle de fonctionnement unique et appelle à faire « confiance à l’intelligence collective locale ». Les rapporteurs soulignent que leur objectif n’était « pas d’instruire un procès à charge » contre l’intercommunalité, mais « d’identifier les freins à leur bon fonctionnement », et d’en tirer des pistes d’évolution.
Sentiment de dépossession
Le sentiment de dépossession est révélateur, selon la mission, d’un « défaut de gouvernance » au niveau intercommunal, en particulier dans les plus grandes. Face à cette défiance présente entre l’échelon communal et communautaire, les sénateurs appellent à renouer avec une logique de « partenariat », que les « mariages forcés » imposés ici ou là par les préfectures n’ont pas favorisé. À ce titre, ils recommandent d’éviter à l’avenir « toute nouvelle modification autoritaire », tout en soulignant qu’un retour en arrière serait « utopique ». Les rapporteurs précisent néanmoins que « la loi ne doit pas être interprétée comme faisant obstacle à l’adaptation de la carte », lorsque celle-ci émane d’une demande des élus. La mission préconise de faciliter les adaptations, « à la marge », et d’assouplir, pour ce faire, les conditions d’entrée ou de retrait d’une intercommunalité.
Pour renverser la perception de mise à l’écart, le rapport sénatorial encourage une meilleure inclusion des maires et élus communaux dans le fonctionnement des intercommunalités, avec la mise en place de formations, et surtout de modes de gouvernance « plus inclusifs et plus participatifs ». Ils suggèrent en particulier de s’appuyer sur les outils existants, mais parfois insuffisamment inexploités, comme la conférence des maires. Les sénateurs incitent les intercommunalités à, par exemple, mieux l’utiliser et à le renforcer. La mission estime par ailleurs qu’il n’est pas opportun de revoir le mode d’élection des conseillers communautaires, certains acteurs ayant plaidé pour une élection au suffrage universel direct. « Les élus demandent de la stabilité. Il faut appréhender ce qui existe. Il n’est pas certain qu’un nouveau big bang territorial soit souhaitable », a ainsi déclaré Maryse Carrère.
Faciliter les transferts de compétences « à la carte »
L’un des enjeux dans les bonnes relations entre communes et intercommunalités réside aussi dans la question des compétences. Les sénateurs se disent convaincus que le retour de la confiance passera par un « assouplissement de la répartition des compétences ». Il n’est pas rare que les transferts obligatoires aient suscité de profondes incompréhensions ou de l’hostilité. Le cas de la compétence eau et assainissement est un cas d’école en la matière.
Les sénateurs appellent donc à éviter tout nouveau transfert obligatoire de compétences, et à étendre les possibilités de transfert de compétences « à la carte ». Les rapporteurs se disent aussi en faveur de la possibilité, par accord local, d’une modification de la répartition des compétences. Toutes ces évolutions nécessiteront des évolutions législatives. Les auteurs du rapport n’excluent pas une proposition de loi, ou le cas échéant, des amendements à un projet de loi. Dans un récent courrier aux associations d’élus locaux, Sébastien Lecornu a confirmé sa volonté de préparer un projet de loi relatif à la décentralisation.
D’autres propositions du rapport peuvent se mettre en œuvre directement, notamment dans la perspective du renouvellement de mars 2026. « Beaucoup de préconisations restent plutôt incitatives et à visée pédagogique. C’est une boîte à outils pour les élus », indiquent leurs auteurs. Le rapport encourage notamment la tenue, à chaque nouvelle mandature, d’un débat sur l’élaboration d’un projet de territoire.
Dans une période marquée par la recherche tous azimuts d’économies, le rapport constate par ailleurs que le renforcement de l’intercommunalité s’est accompagné d’une hausse des dépenses du bloc communal, à rebours de la philosophie des réformes territoriales de 2014-2015. Mais les sénateurs précisent que cette inflation « peut résulter de transferts de compétences décidés par l’État ». Ils relèvent également que l’augmentation des dépenses est d’ailleurs « plus faible au sein des intercommunalités les plus intégrées ». « On ne peut pas quantifier une réponse sur le coût de l’intercommunalité, mais mesurer la qualité des investissements qui sont faits, et qui sont peut-être plus efficaces et importants, que s’ils étaient faits à une échelle communale », souligne Maryse Carrère.