La question de l’accès à l’eau au cœur d’une rencontre avec les maires des territoires d’Outre-mer au Sénat

À l’occasion du congrès de l’association des maires de France, le Sénat a reçu ce 20 novembre les maires des communes d’outre-mer. L’occasion d’échanger notamment sur les questions d’accès à l’eau et d’entendre les témoignages des élus de Mayotte, qui connaît une crise sans précédent.
Rose Amélie Becel

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Ce 20 novembre, en marge du congrès de l’association des maires de France (AMF), le Sénat accueillait les élus des communes d’Outre-mer. Dans une salle comble, ils ont d’abord échangé sur la question des liens entre les maires et l’État, puis ont débattu des problématiques de gestion de l’eau en Outre-mer.

« Quand on est un ménage très modeste à Mayotte, aujourd’hui le budget consacré à l’accès à l’eau représente près du tiers du revenu disponible. On est face à une difficulté majeure et c’est un questionnement pour toute la République », a dénoncé le président Gérard Larcher au micro de Public Sénat, pour justifier de consacrer une large part des échanges de cet après-midi à la situation de crise que connaît Mayotte depuis mai dernier.

À Mayotte, une pénurie d’eau et « une recrudescence inouïe de la violence »

En ouverture de ce second débat sur l’accès à l’eau, les sénateurs Renaissance de Mayotte Thani Mohamed Soilihi et Saïd Omar Oili ont été invité à témoigner de la situation sur l’île, qui connaît une pénurie d’eau inédite. « Depuis mai dernier, nous faisons face à des coupures d’eau. Quand j’étais sur place il y a dix jours, c’était deux jours de suspension d’eau pour une réouverture des robinets le troisième jour, mais seulement pour 18 heures », a raconté Thani Mohamed Soilihi.

Le sénateur a pris un moment pour énumérer toutes les conséquences que les coupures d’eau ont sur le quotidien des Mahorais : des répercussions sanitaires, économiques, mais aussi sur l’accès aux services publics. « Des écoles ont dû fermer à plusieurs reprises parce que les conditions d’accueil des enfants n’étaient pas réunies, alors que nous sommes un département français », a martelé le sénateur. En parallèle de cette pénurie, l’île fait aussi face à « une recrudescence inouïe de la violence ». « Des bandes de jeunes profitent de cette situation pour se faire la guerre. Ils débarquent dans les villages, incendient les voitures, les maisons, s’en prennent aux habitants de façon indiscriminée avec des armes blanches », déplore l’élu mahorais.

De nouvelles craintes émergent aussi sur l’île, où 17 millions de litres d’eau en bouteille vont être distribués gratuitement chaque mois à partir de ce 20 novembre. « Ces bouteilles ne doivent pas se retrouver dans la nature, imaginez la pollution que cela pourrait engendrer », s’est inquiété Thani Mohamed Soilihi.

Anticiper pour mieux gérer la ressource

Saluant les aides d’urgence apportées par l’État, le sénateur mahorais a rappelé que des mesures de gestion de l’eau à plus long terme devaient être mises en place, notamment pour moderniser les infrastructures. Aujourd’hui, près d’un tiers de l’eau potable de l’île est perdue dans les fuites, en raison de la vétusté des canalisations. « En 2024, un Office de l’eau devrait voir le jour à Mayotte. Cet organe jouera un rôle de pilotage et d’impulsion auprès des autres acteurs de l’eau, au même titre que les Agences de l’eau dans l’hexagone », a-t-il expliqué. Des fonds devraient également être alloués à la construction d’une seconde usine de dessalement d’eau de mer et d’une troisième retenue collinaire.

Le besoin de mesures de long terme pour mieux préserver la ressource en eau, c’est également le message qu’est venu porter au Sénat Olivier Hoareau, maire de la ville du Port à La Réunion. « Avec le changement climatique, nous sommes tous concernés par la sécheresse. Si nous n’avons pas une gestion anticipée de la raréfaction de la ressource, nous devons nous attendre à de grandes calamités », a alerté l’élu. Sur son territoire, Olivier Hoareau expérimente la réutilisation des eaux usées, une fois filtrée elle sert par exemple aux arrosages publics ou à l’industrie. Un usage qu’il aimerait voir se démocratiser : « Il y a urgence à faire évoluer la réglementation sur l’usage des eaux grises. Ce qui me choque, c’est qu’on fabrique du béton avec de l’eau potable, qu’on arrose les terrains de foot avec de l’eau potable. »

La question de la qualité de l’eau disponible dans plusieurs territoires d’outre-mer a également été soulevée. Lorsqu’elle est polluée, le processus permettant de rendre la ressource potable est coûteux et pèse sur la facture des consommateurs. « Aux Antilles, la présence de chlordécone renchérit les coûts de traitement. En Guyane, c’est le mercure lié à l’orpaillage clandestin qui pose des problèmes », a indiqué le sénateur écologiste Hervé Gillé, rapporteur de la mission d’information sur la gestion durable de l’eau, qui a rendu ses conclusions en juillet dernier.

Une proposition de loi « d’adaptation du droit des outre-mer »

En ouverture de cet après-midi d’échanges, Gérard Larcher a rappelé les différentes mesures proposées à l’été par cette mission d’information sénatoriale. « Je soutiens la proposition de notre mission d’information qui préconise, pour davantage de justice territoriale, un soutien financier spécifique aux Offices de l’eau ultramarins et la relance de la réflexion sur la solidarité inter-bassins », a affirmé le président du Sénat.

De manière générale, le président a également déploré le manque d’adaptation des normes métropolitaines à la situation des territoires d’outre-mer. À ce titre, il demande ainsi « que soit déposée et inscrite à l’ordre du jour du Sénat une fois par an une proposition de loi d’adaptation du droit des outre-mer ». Une mesure qui permettrait, selon le sénateur, « de mieux associer les élus de ces territoires à l’élaboration des lois et obligerait les administrations des différents ministères à être plus réactifs ».

Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélémy et présidente de la délégation aux outre-mer, a également profité de ce rendez-vous avec les maires pour annoncer le lancement « dans les prochaines semaines » d’une mission d’information sur « les modalités d’action et d’organisation de l’État dans les outre-mer ».

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Trois semaines après le passage ravageur du cyclone Chido sur Mayotte, le sénateur RDPI (Renaissance) de l’archipel Saïd Omar Oili était l’invité de la matinale de Public Sénat. Victimes de Chido : « J’ai posé des questions régulièrement aux services de l’Etat et je n’ai jamais eu de réponses » Interrogé par la journaliste du Journal de Mayotte Mathilde Hangard, le sénateur exprime son fort agacement concernant la gestion de crise de l’Etat. Auteur d’une demande de commission d’enquête sur la gestion de crise, l’élu a écrit le 7 janvier un courrier au ministre des Outre-mer afin de connaître le bilan des victimes de la catastrophe naturelle. A date, les chiffres officiels font état de 39 morts, 124 blessés graves, 4 232 blessés légers. « J’ai posé des questions régulièrement aux services de l’Etat et je n’ai jamais eu de réponses », s’indigne-t-il, « je ne peux pas, au nom des victimes et de ceux qui souffrent, laisser tomber ce sujet-là, parce qu’il y a des gens qui sont peut-être ensevelis sous les décombres et que l’on n’a jamais retrouvés ». Saïd Omar Oili s’inquiète pour les Mahorais et déplore un manque de communication, d’anticipation et de transparence dans l’aide apportée aux sinistrés. « On n’a pas cherché [les personnes disparues]. Je suis élu local depuis vingt-cinq ans. Il y a des gens, quand on va dans les quartiers, je ne les vois pas. Ils sont où ? », demande-t-il sur le plateau de Public Sénat. « Je n’accuse personne, mais pour l’heure […] il n’y a pas de transparence, on dit tout et son contraire ». Mathilde Hangard, présente sur place, souligne que malgré les annonces de la préfecture, certains habitants n’ont toujours pas accès à l’eau, que des queues se forment dans les supermarchés, qu’on s’éclaire encore à la bougie par endroits et que des Mahorais doivent faire parfois plusieurs kilomètres pour trouver du réseau. Le ministère de l’Intérieur annonce pourtant sur son site que « presque 100 % de la population est raccordée à l’eau courante », que « 72, 5 % des clients sont alimentés » en électricité et qu’entre 85 et 93 % des abonnés des opérateurs sont couverts par le réseau. « J’espère qu’au nom de ces victimes, on ira jusqu’au bout de cette commission parlementaire » Ces écarts, Saïd Omar Oili ne se les explique pas. C’est la raison pour laquelle il a demandé au président de son groupe la constitution d’une commission d’enquête sur la gestion de crise. « J’espère qu’au nom de ces victimes, on ira jusqu’au bout de cette commission parlementaire, pour qu’enfin ce genre de choses ne se passe plus dans nos territoires vulnérables », affirme-t-il. D’autres territoires ultramarins sont sujets aux cyclones, comme La Réunion ou les Antilles. Au travers de cette commission d’enquête, l’élu souhaite également mettre en lumière le manque d’anticipation. « Pourquoi, alors que depuis le 8 décembre nous savions tous que le cyclone allait taper Mayotte et qu’il serait très violent, n’a-t-on pas prépositionné des gens sur place pour aller chercher les victimes ? », s’interroge-t-il, « on le voit dans le monde entier, lorsqu’un événement pareil arrive, on prend les mesures de précaution, ça n’a pas été fait cette fois-ci ». Projet de loi d’urgence pour Mayotte : un texte « plein de mesures mélangées » Pour faire face à l’urgence et la reconstruction, qui s’annonce colossale, le nouveau gouvernement planche sur un texte d’ « urgence », présenté ce matin en conseil des ministres, et sur un texte « de refondation » présenté en mars. Des projets de loi qui laissent sceptique le sénateur de Mayotte. Il juge le texte d’urgence fourre-tout, avec « plein de mesures mélangées ». Pourtant, les enjeux sont majeurs, en particulier en ce qui concerne la rentrée scolaire des élèves de l’archipel. Sur le plateau de Public Sénat, Saïd Omar Oili s’inquiète : « Dans l’étude d’impact de la loi d’urgence, on parle de 47 % des établissements publics détruits. Comment peut-on imaginer faire une rentrée de 117 000 élèves ? Ce n’est pas possible ». D’autant que les salles de classe manquaient bien avant le passage du cyclone, d’après le sénateur. Ce que l’élu attend surtout, ce sont des moyens, alors que l’examen du projet de loi de finances sera repris la semaine prochaine au Sénat. Il dénonce l’interventionnisme déconnecté de l’Etat. « Les gens qui viennent chez nous s’occuper de la reconstruction ne connaissent pas la culture mahoraise. La gestion même de la crise est désastreuse, parce qu’on a fait venir des gens de l’hexagone et il n’y a pas d’élus locaux et d’habitants parmi eux », déplore-t-il. Lutte contre l’immigration à Mayotte : « C’est un problème de moyens » Le second projet de loi à venir concernant l’archipel s’attaquera à l’immigration. C’est le souhait des ministres des Outre-mer Manuel Valls et de l’Intérieur Bruno Retailleau. « Nous avons un problème avec l’immigration », affirme Saïd Omar Oili. « Il n’y a jamais eu autant de barques arrivées chez nous que depuis qu’il y a eu le cyclone, car tous les bateaux militaires qui devaient contrôler les frontières se sont échoués », explique-t-il. Mais pour lui, la solution ne réside pas nécessairement dans un nouveau durcissement du droit du sol. « Il y a de l’hypocrisie dans tout ce que nous faisons : nous avons demandé depuis longtemps la fin des cartes de séjour territorialisées », s’indigne-t-il. Ces cartes de séjour, qui n’existent qu’à Mayotte, interdisent leur détenteur de se déplacer dans tout autre département français. Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, avait prévu de les supprimer en février 2024, lors de son passage sur l’archipel. Saïd Omar Oili plaide également pour une augmentation des moyens dans le contrôle des côtes de l’île pour empêcher toute arrivée illégale. « Aux Antilles, ils ont des patrouilleurs partout, c’est un problème de moyens », affirme-t-il. Interrogé sur la présence de Marine Le Pen à Mayotte en début de semaine, Saïd Omar Oili est catégorique : « Je ne veux pas que Mayotte serve de politique au niveau national. J’ai l’impression que notre île est devenue un jeu humain. 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