Capacité d’emprunt des Français en baisse, dégringolade des ventes et constructions en berne : l’immobilier est en très mauvaise posture, depuis l’envolée des taux d’intérêt. Avec le volume des achats et les ventes en chute, c’est donc une pression supplémentaire qui s’exerce davantage chaque mois sur le marché locatif. De l’autre côté de la balance, la loi climat et résilience, en 2021, pourrait assécher l’offre, avec la sortie contrainte des biens les plus mal isolés. Depuis le 1er janvier, les logements les plus énergétivores, dits G+, ne peuvent plus être loués. Le bas de l’échelle de performance énergétique va suivre progressivement. Dès 2025, les logements diagnostiqués G, eux aussi très mal isolés, n’auront plus le droit d’être proposés à la location. Viendra le tour de l’habitat étiqueté F, en 2028.
Selon l’Ademe, l’Agence de la transition écologique, ces deux catégories représentent à elles seules 5,2 millions de logements. Près de 17 % du parc est donc constitué de « passoires énergétiques », ce qui donne une idée du nombre important d’annonces qui pourraient, à court terme, disparaitraient si les travaux n’étaient pas entrepris dans les temps. En 2034, une catégorie bien massive sera bannie : la E. Avec cette dernière classe, la moitié du parc actuel locatif privé serait à rénover, sous peine d’interdiction de location.
Le gouvernement ne veut « pas sacrifier » l’écologie
Voici des mois que les acteurs du logement ne cessent d’alerter le gouvernement sur les échéances les plus courtes. Le 15 mai, plusieurs professionnels de l’immobilier ont adressé une lettre ouverte à Emmanuel Macron pour réclamer de « puissantes mesures d’urgence » face à la crise du logement, si possible un « électrochoc ». Sur le front de la rénovation énergétique, les cosignataires – parmi lesquels la FFB (Fédération française du bâtiment) ou encore la FNAIM (Fédération Nationale de l’Immobilier) – pressaient les pouvoirs publics de mettre sur la table des moyens « à la hauteur des enjeux et des ressources des ménages ». « À défaut, il faudra se résoudre à assouplir le calendrier de la loi climat et résilience, notamment pour le rendre compatible avec les contraintes de la copropriété, sous peine de voir le parc locatif privé subir de lourdes pertes », avertissaient-ils.
Convaincu de la « nécessité d’une intervention publique », le nouveau ministre du Logement nommé en juillet, Patrice Vergriete élabore actuellement avec ses équipes des solutions pour soulager tout un secteur qui broie du noir. Aucune remise en cause du calendrier de la loi climat et résilience ne devrait figurer dans le futur plan d’amortissement du gouvernement. Patrice Vergriete a été catégorique ce 12 septembre sur France Info : pas question de « sacrifier » l’écologie. « Le but du jeu, c’est de tout faire pour tenir ce calendrier et essayer de voir comment on peut accompagner les propriétaires pour qu’en 2025, il n’y ait pas de logement interdit à la location », a expliqué le maire de Dunkerque.
Le ministre admet toutefois que l’échéance de 2025 peut toutefois être « difficile » pour les opérations nécessitant des travaux à l’échelle d’un immeuble tout entier. « On est en train de regarder au niveau du ministère, si pour passer de G à F, il y a l’absolue nécessité de travaux de copropriété », a-t-il détaillé.
Au Sénat, la majorité de droite et du centre qui avait exprimé ses craintes il y a deux ans sur la rapidité de l’échéancier, semble avoir fait le deuil d’un étalement plus souple des interdictions. Ce n’est plus l’urgence du moment. L’ancienne rapporteure du volet logement de la loi climat et résilience, Dominique Estrosi Sassone (LR) presse plutôt l’exécutif de mettre en place les conditions de réussite d’un calendrier percuté par l’aggravation de la crise du logement. Des « solutions programmatiques » pour arriver à tenir le calendrier. « Le gouvernement a déjà perdu trop de temps. C’est bien de s’affoler maintenant, mais il y a des mesures qui auraient pu être prises avant », regrette la sénatrice des Alpes-Maritimes.
Des marges de souplesse possibles sur les copropriétés, le bâti ancien ou les labels
La commission d’enquête sur la rénovation énergétique, mise en place par les écologistes du Sénat, a déjà été force de propositions début juillet, en présentant des conclusions qui ont dépassé les clivages politiques. Sur le sujet des copropriétés par exemple, évoquées par le ministre, celle-ci préconise un diagnostic performance énergétique (DPE) qui regrouperait l’ensemble des propriétaires de manière solidaire, et la possibilité de faire adopter des travaux à la majorité simple. Une façon d’éviter les blocages des logements les mieux notés par le DPE, en fonction de leur emplacement.
L’ancienne présidente de cette commission d’enquête insiste également pour un moratoire de deux ans pour les obligations qui s’appliqueront aussi bâtiments anciens (construits avant 1948), en raison des contraintes patrimoniales et architecturales de cet habitat.
Prérequis pour obtenir les aides, les artisans porteurs du label RGE (reconnu garant de l’environnement) sont souvent difficiles à trouver. Dans un scénario idéal où l’argent ne serait pas un problème, la massification du nombre de rénovations se heurterait quand même à la pénurie de professionnels labélisés. La commission d’enquête recommandait d’attribuer cette appellation pour les artisans, sur les chantiers, et de contrôler la qualité des travaux a posteriori.
De nombreuses propositions nécessiteront une traduction législative. Or, la disponibilité dans l’agenda parlementaire passé le mois de septembre est une denrée rare. Un obstacle de taille pour des enjeux qui se posent avec d’autant plus d’urgence à l’approche du 1er janvier 2025 pour les catégories G et le 1er janvier 2028, pour les logements classés F. « Tout cela démontre qu’il n’y a pas d’anticipation, de prise de conscience de la gravité de la crise du logement, sur laquelle nous avons eu de cesse d’alerter au Sénat », s’inquiète Dominique Estrosi Sassone.
Un projet de loi en gestation
Un projet de loi logement est bien en préparation, et les réflexions du Conseil de la refondation (CNR) dédiées à ce chapitre le nourriront, avait annoncé l’Élysée le 7 septembre. Sa présentation devrait intervenir « très prochainement », assurait la semaine dernière un conseiller de la présidence de la République.
À l’heure actuelle, le seul rendez-vous concret à l’agenda des parlementaires reste le budget, examiné cet automne. Les membres de l’ex-commission d’enquête comptent bien amender le projet gouvernemental pour soutenir les opérations de rénovation thermique. « Il faut que, tout de suite dans le projet de loi de finances pour 2024, il y ait un abondement plus important sur la rénovation énergétique. Ce qui a été annoncé jusqu’à présent n’est pas suffisant », considère Dominique Estrosi Sassone. En cas d’échec des propositions sénatoriales, un nouveau coup d’essai pourrait avoir lieu début 2024, dans une proposition de loi.
Preuve de l’inquiétude du secteur, l’Unis, la première organisation de professionnels de l’immobilier, menace même de saisir le Conseil constitutionnel par le biais d’une question prioritaire d’une constitutionnalité. Le recours vise le décret du 18 août, lequel est venu préciser les conditions d’interdiction de location des logements qui ne répondraient pas au niveau de performance énergétique attendu par la loi.