C’est un angle mort du projet de loi immigration que des sénateurs issus de plusieurs groupes ont l’intention de combler lors de l’examen du texte, du 6 au 10 novembre. Parmi les quelque 600 amendements déposés, de nombreuses demandes visent à recentraliser l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA), et soulager en partie les départements. Signe d’une pression ou d’un appel que le Sénat veut exercer sur le gouvernement.
Ces mineurs, de nationalité étrangère, sont en effet pris en charge au niveau départemental, à travers l’aide sociale à l’enfance. Confrontés à une nette augmentation des arrivées, depuis le printemps notamment, et dans un contexte de tensions sur leurs budgets, les départements de France (ADF) ont une nouvelle fois demandé à l’État, le mois dernier, d’assumer « le coût des mineurs isolés ». La politique migratoire étant du ressort de l’État.
Voici des années que les présidents de conseils départementaux réclament un meilleur accompagnement financier et logistique du gouvernement. L’ADF estime à deux milliards euros le coût global de la prise en charge des mineurs isolés pour 2023, soit 500 millions d’euros supplémentaires en un an. Face à la remontée des arrivées et à la saturation des services de protection de l’enfance, les départements en appellent au niveau central. Symbole de la crise, le 28 septembre, le Territoire de Belfort a adopté à l’unanimité une motion afin de « limiter la prise en charge directe » des mineurs étrangers isolés.
C’est dans ce contexte que plusieurs amendements ont fleuri, en vue de la séance. Certains ne pourront pas être défendus en séance, puisqu’ils ont échoué à passer le filtre de la commission des finances, probablement parce qu’ils faisaient reposer une dépense supplémentaire sur le budget de l’État.
Les amendements d’une recentralisation de l’accueil des mineurs étrangers isolés retoqués
Roger Karoutchi et Valérie Boyer (LR), ainsi qu’une soixantaine de collègues des Républicains et de l’Union centriste, proposaient de recentraliser l’accueil provisoire des mineurs non accompagnés, « jusqu’à l’identification de leur minorité ». L’organisation et le financement de l’accueil aurait reposé sur les services de l’État.
Autre amendement déclaré irrecevable : celui d’Hervé Marseille. Le président du groupe Union centriste souhaitait que soit expérimentée pendant trois ans la recentralisation de la compétence de l’évaluation de la minorité et de la mise à l’abri des personnes s’affirmant comme mineurs non accompagnés. L’idée est d’expérimenter la disposition dans cinq à dix départements, « confrontés à un afflux massif de mineurs non accompagnés ».
Un certain nombre d’amendements, eux aussi retoqués par la commission des finances, visait par ailleurs à revenir l’une des dispositions de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet. Ce texte interdit l’hébergement des mineurs à l’hôtel afin de leur assurer des conditions de logement décentes et adaptées. Or, dans un contexte de saturation des capacités d’accueil des structures d’aide sociale à l’enfance, les départements demandent de pouvoir loger des mineurs de plus de 16 ans dans des hôtels, « avec un accompagnement éducatif ». L’ADF a rappelé cette demande dans une résolution adoptée le 11 octobre. Plusieurs sénateurs souhaitaient relayer cette demande, dans le groupe LR notamment.
Une interpellation du gouvernement qui ira des communistes aux LR
Ces amendements écartés, le débat aura tout de même lieu dans l’hémicycle, sur la base d’amendements d’appel. Les sénateurs vont interpeller le gouvernement, par le biais de demandes de rapports sur la prise en charge des mineurs non accompagnés par les départements, ou la prise en charge par l’État. Une partie encore plus importante du spectre politique représenté au Sénat se retrouve dans ces amendements. Les prises de parole iront de Valérie Boyer (LR) à Nathalie Delattre (Parti radical), ou encore Laure Darcos (Les Indépendants), en passant par la majorité présidentielle avec Xavier Iacovelli (RDPI), et même les communistes.
Reste désormais à voir si le gouvernement, toujours à la recherche d’une majorité pour faire adopter son projet de loi, souhaite aller dans le sens des sénateurs. Seul l’exécutif a la possibilité de déposer un amendement aux conséquences budgétaires, sans tomber sous le coup de l’article 40 de la Constitution, très contraignant pour les parlementaires.
Le 11 octobre, la secrétaire d’État chargée de l’Enfance Charlotte Caubel a déclaré au Figaro qu’elle était défavorable au « découpage de la protection de l’enfance ». « Sur notre territoire, un enfant est avant tout un enfant. Si l’État reprend la main sur la gestion des mineurs non accompagnés, alors il faut accepter de décentraliser toute la protection de l’enfance », a-t-elle estimé. Et d’ajouter que le gouvernement était « prêt à envisager » une recentralisation de la protection de de l’enfance.
Ces déclarations ont été particulièrement mal vécues à l’ADF. Son président, François Sauvadet, avait fait part de sa « profonde indignation », enjoignant le gouvernement à adopter une « approche plus responsable ». Nul doute que le débat se posera aussi au moment du Congrès des départements de France, de façon concomitante, du 8 au 10 novembre.