Un rapport du Sénat appelle à une réforme de la Constitution pour garantir l’autonomie fiscale des collectivités locales
Thomas Dossus during the weekly session of questions to the government at the national senate. Paris-FRANCE-29/03/2023//01JACQUESWITT_senat086/Credit:Jacques Witt/SIPA/2303291759

Un rapport du Sénat appelle à une réforme de la Constitution pour garantir l’autonomie fiscale des collectivités locales

Un rapport d’une commission d’enquête du Sénat formule 16 recommandations pour restaurer le principe de libre administration des collectivités, en leur garantissant une réelle autonomie fiscale.
Guillaume Jacquot

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« Les promesses de la décentralisation ont fait long feu et l’État contraint chaque jour un peu plus les collectivités territoriales. » Un rapport sénatorial, publié ce 10 juillet, ne ménage pas ses critiques sur les effets « délétères » des réformes de la fiscalité locale ces dernières années. Installée par le groupe écologiste en vertu de son droit de tirage, la commission d’enquête sur la libre administration des collectivités appelle formellement à « une refonte complète des relations financières entre l’État et les collectivités territoriales » et à redonner à ces dernières un « cadre protecteur » pour leur permettre d’assurer au mieux leurs compétences.

Installée au terme de débats budgétaires particulièrement chaotiques l’hiver dernier, et dans une période de fortes tensions entre l’État les collectivités locales, la commission souligne le fossé qui se creuse, entre la perte de la maîtrise des recettes perçues au niveau local, et la hausse des investissements nécessaires au maintien des services publics locaux et surtout aux dépenses rendues impératives par le réchauffement climatique.

« Une profonde crise de défiance »

« Il y a une profonde crise de défiance entre l’État et les collectivités, avec une remise en question de cette libre administration financière […] Les collectivités passent à la caisse, pour des réformes qui leur ont été imposées depuis 2017 », a dénoncé ce jeudi le rapporteur Thomas Dossus. Les collectivités font en effet face à une réduction de leur autonomie fiscale, depuis la disparition de la taxe d’habitation et la suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Avec la disparition de ces taxes, les communes ne tirent plus parti financièrement du développement économique ou de la construction de logements.

Le versement d’autres ressources fiscales de l’État, en compensation, est loin d’être une solution satisfaisante pour les élus locaux, d’autant plus dans un contexte de fortes contraintes budgétaires. Dans la dernière loi de finances, les collectivités ont subi un gel de la TVA qui leur est reversée au titre de diverses compensations, pour un impact estimé à 1,2 milliard d’euros. Reprenant une évaluation de la Cour des comptes, Thomas Dossus souligne au passage que la suppression de ces impôts locaux a représenté un manque à gagner pour les finances publiques de 35 milliards d’euros. « Quand on cherche actuellement 40 milliards d’euros, on voit bien l’impact de ces réformes de la fiscalité locale sur le budget de l’État », s’est agacé le sénateur du Rhône.

« Décalage croissant entre les besoins et les leviers de financement disponibles »

Le Sénat alerte également depuis plusieurs années sur la « décorrélation totale » entre les compensations octroyées aux collectivités et la dynamique réelle du coût des compétences qui leur ont été transférées. Dans un contexte d’effort budgétaire demandé aux échelons locaux, Thomas Dossus considère que les assemblées locales sont victimes d’une « forme de double peine », entre la perte de leviers fiscaux et ces nouvelles responsabilités.

Dans ce paysage devenu « illisible », le rapport sénatorial épingle un « décalage croissant entre les besoins et les leviers de financement disponibles ». Les communes, par exemple, font en effet face à des besoins d’investissements massifs, de 28 milliards d’euros par exemple pour la mise en accessibilité des bâtiments, la réfection des ponts, ou encore les travaux d’eau et d’assainissement. Et c’est sans compter le mur d’investissement nécessaire à la transition écologique et à l’adaptation au changement climatique. Selon la stratégie bas-carbone, les investissements publics locaux en faveur de la transition écologique devront plus que doubler d’ici 2030.

Or, les moyens du Fonds vert, une dotation qui finance ces politiques au niveau local, ont fondu de 54 % entre la loi de finances 2024 et celle de 2025. « Dès lors que nos capacités de financement ne sont plus adossées aux ressources fiscales, nous sommes soumis au robinet des dotations. Ce robinet peut se fermer ou s’ouvrir, mais on voit bien qu’il se ferme le plus souvent possible », dénonçait devant cette commission le 2 avril, Jean-François Vigier, vice-président de l’Association des maires de France (AMF).

Appel à une réforme constitutionnelle pour « protéger » les collectivités « contre les atteintes à leur libre administration »

Dans ses préconisations, la commission d’enquête recommande de passer par une réforme constitutionnelle pour protéger la libre administration des collectivités. Le rapport qualifie le principe d’autonomie financière, inscrit en 2003 dans notre loi fondamentale, de « coquille vide ». La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a ajouté à la catégorie des ressources propres des collectivités des « impositions sur lesquelles elles n’ont pas leur mot à dire et ne disposent d’aucun pouvoir de taux ou d’assiette », épinglent les sénateurs.

Ils demandent de consacrer un « principe constitutionnel d’autonomie fiscale des collectivités afin de préserver leurs marges de manœuvre fiscales ». Les sénateurs veulent également inclure dans la révision constitutionnelle le principe d’un réexamen régulier des compensations versées aux collectivités, au titre des compétences transférées.

« On veut une espèce de révolution par les territoires. Un choc de décentralisation. Il faut retrouver le principe de libre administration des collectivités, qui a été très fortement impacté par la suppression de la taxe d’habitation », résume le président de la commission d’enquête, le centriste Olivier Henno.

Conscient du « lien brisé » entre États et collectivités, le rapport préconise la création d’un « Conseil d’orientation des finances locales », qui prendrait la succession du comité des finances locales (CFL) et de l’observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL). Son rôle serait de produire des données et des analyses « de référence » pour « encadrer les relations financières entre l’État et les collectivités », définir des trajectoires pluriannuelles et assurer le « suivi de l’adéquation des recettes locales à l’évolution des charges des collectivités ». Le rapport pousse aussi pour la création de conférences entre État et chaque strate de collectivités pour fixer les critères de répartition des dotations d’Etat et des impôts nationaux partagés.

S’agissant des investissements dans la transition écologique, la commission d’enquête appelle à revoir la rédaction des grands documents nationaux de planification (comme le plan national d’adaptation au changement climatique, et la stratégie nationale bas carbone), en ajoutant une analyse financière des investissements locaux à réaliser, « mise en regard avec les sources de financements associés ». Ces derniers jours, le Haut Conseil pour le climat avait alerté sur le net ralentissement dans les efforts de décarbonation. Or, ce sont les collectivités locales qui portent l’essentiel de la commande publique. Conscient du contexte budgétaire fortement contraint, Thomas Dossus appelle d’ailleurs à « rationaliser » les concours du Fonds vert, en « priorisant » les dossiers qui permettent d’éviter le plus d’émissions de gaz à effet de serre.

Pistes de réformes pour la fiscalité locale

Le rapport liste également une série d’idées pour revoir les ressources fiscales des différentes strates de collectivités. La commission n’a pas souhaité trancher sur la fiscalité des communes et des intercommunalités. Les sénateurs relèvent qu’aucune piste ne fait consensus. « Pour ne pas accroître la pression fiscale, les pistes devront s’intégrer dans une refonte générale de la fiscalité locale acceptée de tous », écrivent-ils. Cette refonte générale est en passe de devenir un serpent de mer, depuis la suppression de la taxe d’habitation. La Cour des comptes, par la voix de son premier président, l’a encore rappelé il y a peu. « La réflexion sur la fiscalité locale doit être reposée. On devrait avoir ce débat-là. C’est l’éléphant dans la pièce », insistait fin juin Pierre Moscovici.

Il y a néanmoins un point qui ne fait pas débat : la fiscalité foncière devra s’appuyer sur « une assiette plus en phase avec la réalité économique du territoire ». Thomas Dossus et ses collègues de la commission d’enquête réclament à ce titre que soit rendu public le rapport conduit par l’Inspection générale des finances (IGF) sur les valeurs locatives.

Le rapport suggère, pour finir, d’attribuer des fractions impôts plus en phase avec les missions des différentes collectivités. Ainsi, il est préconisé d’attribuer une part de la CSG (contribution sociale généralisée) aux départements. « Elle serait plus en adéquation que les droits de mutation, plus volatils », a estimé Thomas Dossus.

Aux régions, acteurs du développement économique, les sénateurs suggèrent de flécher une partie de l’impôt sur les sociétés. La fraction serait répartie « sur la base de critères économiques » et assortie d’un dispositif de péréquation, c’est-à-dire un mécanisme permettant de financer les territoires les moins lotis par ceux ayant à l’inverse beaucoup de ressources. Les sénateurs préconisent aussi de revenir sur la suppression annoncée de la CVAE et d’en affecter le produit aux régions.

La mise en place de ces différents éléments prendra du temps. « On appelle à revoir le cadre, on ne va pas bouleverser d’ici le projet de loi de finances les grands équilibres », prévient Thomas Dossus. La commission d’enquête sera toutefois attentive à la manière dont les collectivités seront impactées dans le prochain budget. « On va voir si les compensations promises à l’euro près seront rognées une nouvelle fois. Ce sera une vigilance », poursuit-il.

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