« L’objectif c’est de dresser des constats, mieux connaître les particularités. L’idée est d’avoir une meilleure connaissance des spécificités des territoires, connaître pour adapter », déclare Annick Billon en présentant le rapport sur la parentalité dans les outre-mer. A travers la production de ce rapport d’information, la délégation aux outre-mer et la délégation aux droits des femmes ont voulu dresser un état des lieux des situations diverses et complexes de la parentalité dans les outre-mer. En s’appuyant, selon Stéphane Artano, sur « une approche sociologique et anthropologique », les auteurs (Stéphane Artano, Victoire Jasmin, Annick Billon et Elsa Schalck) du rapport appellent à une meilleure adaptation des politiques publiques aux différentes réalités des outre-mer.
Des modèles familiaux spécifiques
En premier lieu, le rapport informe sur les profondes différences entre les modèles familiaux existant dans les outre-mer et ceux de la métropole, tout en s’attachant à distinguer les situations selon les outre-mer. Aux Antilles, principalement en Martinique et en Guadeloupe, les travaux des sociologues Nadine Lefaucheur et Stéphanie Mulot identifient un « modèle matrifocal antillais ». Selon les chercheuses, auditionnées par les deux délégations, ce modèle, issu de l’esclavage, fait reposer l’intégralité de l’éducation des enfants sur les femmes avec un père vivant en dehors du foyer. Si ce système reste important, sa contestation croissante tend à généraliser la coparentalité dans l’éducation des enfants.
Le rapport pointe aussi l’existence d’un modèle différent en Nouvelle Calédonie et en Polynésie française où « comme dans de nombreuses sociétés océaniennes, les pratiques d’adoption coutumière sont largement répandues dans les sociétés kanak et polynésienne. Elles consistent à confier, de façon temporaire ou définitive, un enfant à une parenté proche ou à une parenté élargie par alliance, et bénéficient d’une forte légitimité sociale ». Issues du droit coutumier, ces habitudes sont mal connues et insuffisamment prises en compte dans les politiques publiques. Le rapport propose de définir un cadre légal pour les adoptions coutumières et appelle à une meilleure prise en compte de « la cohabitation intergénérationnelle » très fréquente aux Antilles, en Guyane et dans les îles du Pacifique.
Des inégalités renforcées
Alors que les inégalités sociales et économiques sont importantes entre la métropole et l’outre-mer, la complexité des situations familiales dans les outre-mer tend à exacerber ces inégalités. Elsa Schalck pointe notamment une « prévalence de la monoparentalité » aux Antilles. En Martinique et en Guadeloupe, plus de la moitié des familles sont monoparentales (respectivement 59 % et 52 %) contre 25 % en métropole. Selon les travaux de Nadine Lefaucheur, en Martinique « 43 % des jeunes nés entre 1995 et 2003 sont nés au sein d’une famille monoparentale non‑cohabitante ». Par ailleurs, on constate une surreprésentation des maternités précoces chez les femmes en Guyane et à Mayotte avec un taux de 10 %. Cela contribue à accentuer certaines situations précaires et peut notamment compliquer l’accès à la propriété ou à un logement décent, en particulier en Guyane et à Mayotte. Le rapport insiste également sur les conséquences dans l’éducation des enfants avec un taux d’illettrisme trois fois supérieur dans les départements et régions d’outre-mer par rapport à la métropole. Enfin, la proportion d’enfants de trois ans non-scolarisés atteint 36 % à Mayotte. Une situation liée au fait que les « femmes sont moins fréquemment en emploi et souvent sur des emplois faiblement rémunérés », explique Elsa Schalck.
L’impératif d’adaptation et de rattrapage des politiques publiques
Face à ces situations spécifiques, les sénateurs plaident pour une adaptation des politiques publiques aux particularités des outre-mer. Les recommandations rappellent la nécessité de « renforcer l’accueil collectif des enfants en dehors du temps scolaire » et de développer un service public de la petite enfance. Victoire Jasmin, sénatrice de Guadeloupe, souligne « l’importance d’un environnement favorable à la parentalité et le développement des services de soutien à la parentalité », cette dernière estime également qu’il est urgent « d’aller vers les parents ».
Les rapporteurs font également état de l’importance de rattraper le retard et de « densifier les réseaux locaux de lieux d’accueil enfants-parents et les écoles des parents, en particulier en Guyane, à Mayotte et à Saint‑Martin ». En rappelant que « deux tiers des habitants des DROM perçoivent des prestations sociales ou familiales », Annick Billon recommande de « réaliser une étude comparative de l’incidence socio-économique et budgétaire des différents systèmes de prestations familiales ».