Artistes et politiques : des lendemains qui (dé)chantent ?

Artistes et politiques : des lendemains qui (dé)chantent ?

A l’aune des élections de 2017, alors que le débat politique se réduit comme peau de chagrin, les artistes quittent l’arène politique. Si les vedettes populaires investissent la scène, elles refusent de se faire porte-parole d’un programme. A l’heure où la peoplisation agace et que l’opinion réclame l’authenticité des élites politiques, quel rôle est dévolu aux vedettes ? Doit-on se résoudre à la dichotomie entre l’ « art pour l’art »  et l’activisme politique ? Artistes et politiciens peuvent-ils œuvrer ensemble de manière efficace ? L’artiste influence t-il l’opinion ?  Eclairage sur cette politique paillette.
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2017 : une campagne présidentielle sans artiste ?

Si l’apanage de l’artiste est de séduire pour captiver le spectateur, son attrait mêle souvent rêve et âpre réalité, plaisir rétinien et plaisir engagé. Il en va de même pour les politiques qui empruntent aux symboles et en appellent à l’incarnation par des vedettes. Mais dans la course à la présidentielle de 2017, les artistes exposent peu leurs opinions et semblent s’éclipser de l’arène politique. Ils apparaissent moins subversifs pour devenir plus policés. Autrement dit, ils préfèrent être à l’affiche que se taper l’affiche ! C’est notamment ce que soutient le chanteur Benjamin Biolay quand il affirme qu'il « ne soutiendra plus jamais un candidat à la présidentielle. Les Français se contrefoutent de savoir quel artiste soutient quel politicien ». Alors comment l’artiste doit-il user de ce pouvoir transversal ? C’en est-il fini de sa rhétorique militante ? Aujourd’hui, pour Aurélie Filippetti, « les artistes savent que s’engager dans un comité de soutien est dépassé et même parfois contre-productif ».

Pour l’ancienne ministre de la Culture et actuelle porte-parole de Benoît Hamon, l’engagement politique des artistes peut être considéré comme une forme de paternalisme qui engage au vote : « la difficulté pour ces artistes engagés c’est de soutenir certaines idées sans pour autant s’afficher aux côtés de candidats. D’ailleurs, pour ma part, je trouve que c’est même mieux qu’il n’y ait pas ces comités de soutien parce que je crois aussi que les gens ont envie qu’on leur fasse confiance ». Membre du comité de soutien de François Hollande en 2012, Aurélie Filippetti revient sur son refus de participer au recrutement des peoples :

« J’ai toujours refusé de faire ça. D’abord parce que ça me gêne. Je m’intéresse à la politique culturelle […] mais je ne considérais pas que mon rôle était d’aller chercher telle ou telle figure pour poser sur la photo. Donc en 2012, j’avais refusé ».

Le champ politique : un univers impitoyable

Mais l’univers politique est-il en partie responsable de ce silence des peoples ? Arnaud Mercier, professeur en science de l’information et de la communication à l’IFP Paris 2, soutient que « le champ politique est en ruine et que la défiance vis-à-vis du personnel politique a été immense. C’est si vrai qu’aujourd’hui une partie du politique fait campagne sur l’idée qu’ils ont bien entendu la défiance des français et qu’ils veulent trouver les moyens de rétablir une certaine confiance et crédibilité. En attendant, […] je ne vois pas pourquoi un certain nombre d’artistes iraient « griller » le capital confiance qu’ils ont grâce à leur métier et cela auprès d’un personnel politique qui est globalement […] décrié et voué aux gémonies ».

Depuis peu, le masque des artistes apparaît incompatible avec la figure du citoyen encarté. Pour l’humoriste Yassine Belattar, qui préfère « passer des messages que des cris de singe », l’image de l’  « artiste engagé est galvaudée. Je pense qu’on est plus des artistes engageants. L’idée c’est que les gens doivent être concernés par la société dans laquelle ils vivent. Mais leur demander de voter pour untel ou untel c’est sous évaluer l’esprit des gens qui viennent nous voir qui ont leur personnalité ».

L’art du marketing ?

Selon Aurélie Filippetti, il faut considérer le poids de « la financiarisation de toute la société où il y a le culte de l’argent et où les gens deviennent de plus en plus individualistes […] Du coup, on prend moins de risque, on s’engage moins car ça clive ». Et les artistes n’échappent pas à cette nécessité d’audience et de recettes en se prononçant moins sur des enjeux politiques. Sans doute que ces soutiens manquent aux personnages emblématiques de la politique mais closent le règne de la politique spectacle.  En effet, le rêve de célébrité ne contribue t-il pas à anesthésier tout sens critique ?

Pourtant, les artistes continuent de s’engager mais davantage pour des causes sociétales. Pour Arnaud Mercier : « c’est le refuge de l’engagement. Quand on prend des sondages chez les jeunes, peu s’engagent mais l’humanitaire ça les fait rêver. Il y a une dimension du concret et de l’assistance à la personne. On retrouve cet engagement du côté des artistes pour le Sida, le Téléthon etc ». Il faut donc croire que si l’engagement politique reste ponctuel, l’apathie l’est aussi car les individus n’oublient pas de s’ébranler pour les idées essentielles.

Mais à savoir si l’économie de soutiens artistiques ferme les portes de l’Elyséee, la question reste entière. Cela ne semble pas porter atteinte à l’ascension de Marine Le Pen qui, comme l’affirme les sondages, est susceptible d’accéder au second tour de la présidentielle. Quelles postures devront alors adopter les artistes ? Yassine Belattar, qui se produit régulièrement dans les villes estampillées Front National, considère que « les artistes devraient être dans la rue en train de crier ». Il est convaincu qu’un jour ou l’autre, les artistes paieront le prix fort pour ce silence. « On ne fait pas ce qui nous plaît, on fait ce qu’on doit faire quand on est artiste », s’indigne t-il. Pour autant, « aller jouer ma tournée pendant un an dans les villes FN ce n’était pas du tout un pied de nez au FN mais à Patrick Bruel qui a dit dans une interview qu’il ne jouerait plus dans les villes FN. Mais ce sont des gens qui sont allés voter. Il faut entendre leur mécontentement et ne pas les mettre au banc de la société ».

A l’art des réseaux sociaux

Comme le souligne Aurélie Filippetti, la société toute entière se mobilise aujourd’hui, « il y a une forme d’horizontalité et d’égalité » dans l’action. Par ailleurs, ce phénomène largement amplifié par les réseaux sociaux abolit toute hiérarchie de légitimité. Comme l’affirme Yassine Belattar, « à partir du moment où on met l’ego par-dessus la cause, c’est mal venu ». « La légitimité c’est comme l’amour, il faut des preuves », poursuit-il. En effet, certains artistes comme Mathieu Kassovitz choisissent de s’exprimer sur les réseaux sociaux au titre de simple citoyen concerné. Parler d’engagement politique aujourd’hui, c’est donc aussi étudier les techniques et les médiums employés. Tous les twittos se valent et tous sont pareillement contraints à 140 caractères.

 

A savoir si les artistes doivent s’engager en politique, il n’y a pas de réponse. Si changer le monde n’est pas de leur ressort, ils aspirent aux changements. 

 

Retrouvez les interventions d'Aurélie Filippetti, d'Arnaud Mercier et de Yassine Belattar dans l'émission Un Monde en Docs diffusée le 11 mars à 22h, le 12 mars à 9h et le 19 mars à 18h sur Public Sénat.

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