Assemblée générale de l’ONU : « Il n’y a plus d’enjeux dans ce type d’événements »

Assemblée générale de l’ONU : « Il n’y a plus d’enjeux dans ce type d’événements »

L’Assemblée générale des Nations Unies se tient à New York à partir de ce mardi. Si cet organe de l’ONU a toujours davantage été un forum international qu’une véritable instance de décision et de négociation, son affaiblissement progressif symbolise bien le déclin de l’institution onusienne et du multilatéralisme, pour le chercheur franco-américain Romuald Sciora, qui va jusqu’à en faire « une vieille réunion de famille. »
Louis Mollier-Sabet

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Alors qu’Emmanuel Macron s’exprimera ce soir à 20h – heure française – à l’Assemblée générale des Nations Unies, la « grand-messe » des relations internationales avait tout d’une opportunité en or pour s’attaquer à la multiplication des tensions internationales avec la guerre en Ukraine, la montée des tensions à Taïwan ou bien l’intensification des crises climatiques. Du côté du Quai d’Orsay, on met en avant la volonté de la diplomatie française et européenne d’éviter une « fragmentation » du monde, « partition », selon le terme employé par Emmanuel Macron après les obsèques d’Elizabeth II. Théoriquement haut lieu du débat international, cette institution avait en effet été pensée comme le pendant du Conseil de sécurité, qui devait prendre les décisions exécutives en ne réunissant que les grandes puissances issues de la Seconde guerre mondiale, alors que l’Assemblée générale était plus égalitaire dans le débat, mais ne devait prendre que des résolutions non contraignantes.

Dans ce contexte, l’Assemblée générale de l’ONU, où chacun des 193 Etats membres possède une voix, aurait pu faire figure de forum opportun pour faire se parler Américains et Chinois, Russes et Occidentaux, ou encore Indiens et pays anciennement dits « du Sud », qui semblent vouloir mettre de nouvelles problématiques à l’agenda. Parce que si le conflit en Ukraine monopolise l’attention occidentale, et que les tensions autour de Taïwan semblent en passe de redessiner la géopolitique mondiale, la majorité des Etats membres semble vouloir mettre d’autres problèmes à l’agenda. Les risques de famines ou les vulnérabilités de certains pays d’Asie-Pacifique face au dérèglement climatique devraient notamment structurer le déroulement de cette Assemblée générale. « La semaine ne sera pas dominée par l’Ukraine », a ainsi prévenu Linda Thomas-Greenfield, ambassadrice américaine aux Nations Unies, dès vendredi dernier. « Faire face à ces défis nécessite une solidarité perpétuelle [et] une « coopération », a réaffirmé Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU.

L’ONU : « un nain politique » devenu une « superagence humanitaire »

Mais ce sera plutôt faire contre mauvaise fortune bon cœur, de l’avis de Romuald Sciora, essayiste et chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). « L’Assemblée générale de l’ONU n’est même plus ce forum annuel, ce n’est plus la grand-messe mondiale d’il y a quelques années », analyse l’auteur de Planète ONU, Les Nations Unies face aux défis du xxie siècle (Ed. Tricorne). Il en veut pour preuve l’absence de Vladimir Poutine, Xi Jinping et Narendra Modi, tous les trois pourtant présents en Ouzbékistan les jeudi 15 et vendredi 16 septembre dernier, accompagnés de leurs homologues iraniens et turcs pour un sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, un forum présenté comme rival au G7 : « Quand des chefs d’Etat de leur poids ne viennent pas, alors qu’on est en pleine crise géopolitique avec l’Ukraine, en début de crise avec Taïwan, et que l’Inde commence à se positionner comme leader d’une mouvance des pays du Sud… L’Assemblée générale aurait pu être un moment pour en discuter, mais Xi Jinping n’est pas là, Joe Biden est agressif pour des raisons électorales. Ce ne sera même pas utile pour désamorcer un peu ce qui est en train de se profiler autour de Taïwan. »

Romuald Sciora rappelle tout de même que l’affaiblissement du multilatéralisme onusien n’est pas le monopole de la Chine ou de la Russie, puisque l’année dernière déjà, Emmanuel Macron ne s’était pas rendu à cette Assemblée générale de l’ONU : « Le seul Président qui l’avait déjà fait depuis les années 2000 c’était Jacques Chirac, à la fin de son mandat après qu’il a eu son attaque cérébrale, et il avait envoyé le Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin. L’année dernière, Emmanuel Macron a simplement expliqué qu’il devait faire la tournée de la France pour voir les Français et a envoyé son ministre des Affaires étrangères. Cela montre déjà la perte d’influence de l’ONU. » Ainsi, pour le chercheur, l’ONU s’est transformée en « nain politique » ou en « superagence humanitaire », qui fonctionne à travers des programmes comme l’Unicef, « qui font un travail extraordinaire, mais sont invisibles au niveau de l’influence politique ou géopolitique. » Toutefois, plus qu’une rupture liée aux récentes tensions géopolitiques, le chercheur associé à l’IRIS y voit « un aboutissement du déclin des Nations Unies et de son Assemblée générale », fruit de causes structurelles.

« L’ONU est un petit peu devenue comme ces vieilles réunions de famille où l’on se rend de temps en temps alors qu’on n’a plus grand-chose à se dire »

Créée en 1945, l’ONU a d’abord été « paralysée » par la Guerre froide, tout en réussissant à « demeurer un lieu de rencontre entre les Occidentaux et les Soviétiques. » À partir de la chute de l’URSS, « on espérait que l’ONU pourrait jouer le rôle pour lequel elle avait été créée », explique Romuald Sciora. Si les tensions entre le secrétariat général et Bill Clinton ont entamé l’influence de l’ONU, « malgré le travail de Kofi Annan », l’ONU et son Assemblée générale étaient restées « des lieux de débat », estime le chercheur, qui cite le célèbre discours de Dominique de Villepin le 14 février 2003, s’opposant à l’intervention armée en Irak devant le Conseil de Sécurité de l’ONU. Or, d’après ce spécialiste de l’institution onusienne, « même le Conseil de sécurité » n’a plus son poids d’antan : « Le Conseil de sécurité est représentatif des équilibres de l’après Seconde guerre mondiale, et le droit de véto rend caduque toute discussion mettant en cause un de ses membres, on l’a bien vu avec l’Ukraine. Comme il ne sera jamais réformé, il est normal que les autres membres de la communauté internationale se tournent vers le bilatéralisme ou les relations avec des ensembles régionaux. »

Paralysé par les droits de véto des grandes puissances comme la Russie, mais aussi la Chine ou les Etats-Unis, l’ONU aurait donc progressivement été réduite à un lieu de dialogue, avant même de perdre cette fonction au profit d’organisations alternatives. « Les grandes valeurs nées à l’issue de la Seconde guerre mondiale sur les droits de l’homme ou la démocratie sont en perte de vitesse. Donc les Etats font du bilatéral ou se tournent vers d’autres instances régionales, comme la Ligue arabe ou l’Union africaine, des petits enfants de l’ONU qui ont fini par la remplacer. » Romuald Sciora se dit ainsi « pessimiste » sur l’avenir de l’institution, et donc sur les enjeux de l’Assemblée générale qui se tient ce soir : « Il n’y a plus d’enjeux dans ce type d’événements. L’ONU est un petit peu devenue comme ces vieilles réunions de famille où l’on se rend de temps en temps alors qu’on n’a plus grand-chose à se dire, mais qu’il faut le faire tant que les grands-parents sont encore de ce monde. »

« Nous sommes entrés dans une nouvelle époque où ces sociétés multilatérales n’intéressent plus les grandes puissances »

Pour filer la métaphore macabre, l’ONU est en fin de vie : « Cette Assemblée générale, les représentants des démocraties occidentales s’y rendent par tradition, mais si un choc devait advenir, l’ONU ne survivrait pas à une crise internationale d’ampleur. Elle ne serait probablement même pas remplacée par une autre organisation multilatérale comme cela a été le cas pour la Société des Nations. » Et Romuald Sciora de conclure : « Nous sommes entrés dans une nouvelle époque où ces sociétés multilatérales n’intéressent plus les grandes puissances. » De fait, comme un symbole, alors que le Président des Etats-Unis inaugure toujours l’Assemblée générale qui se tient à New York, Joe Biden, retenu par les funérailles d’Elizabeth II, ne tiendra son discours que mercredi. On a beaucoup fait des funérailles royales le symbole de la fin du XXème siècle, c’était peut-être plus significatif qu’on ne le croit.

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