Élection présidentielle au Brésil : la démocratie en danger ?

Élection présidentielle au Brésil : la démocratie en danger ?

Les 7 et 28 octobre prochains l’avenir politique du Brésil se décidera dans les urnes. En tête des intentions de vote les extrêmes se font face dans un duel sans précédent. Placées indéniablement sous le signe de la radicalisation et de la violence, ces élections et le choix que s’apprêtent à faire les Brésiliens sont décisifs pour l’avenir de la démocratie de ce pays où le désenchantement s'est installé comme nouveau roi.
Public Sénat

Par Juliette Beck

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Près de 30 ans après la fin de la junte militaire, une certaine nostalgie de la dictature se ressent à travers le pays en profonde crise. Ce chaos politique digne d’une « télénovela » entre emprisonnement et coup de poignard ne doit rien au hasard. En cause notamment, la crise économique qui frappe sévèrement ce pays, avec une chute du PIB de 7.2 % entre fin 2014 et début 2017. De plus, l’engrenage des scandales liés à une corruption endémique, les affaires Petrobras et Odebrecht dévoilés par le « Lava jato » (lavage express) montre l’ampleur du problème.

Destitution de Dilma Roussef : « Moi je n'utiliserait pas cette notion de coup d'Etat » affirme Olivier Dabène
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La destitution de Dilma Rousseff en août 2016 dont le motif principal est le maquillage de compte public afin de masquer le déficit budgétaire du pays, n’a pas endigué le problème. Pour beaucoup ce départ contraint et forcé de celle qui avait pris la suite de la présidence de Lula, est un coup d’État institutionnel. « L’Ensemble de ce qu’il se passe au Brésil depuis 2014 et surtout depuis 2016, vise à empêcher le retour du PT (parti des travailleurs) au pouvoir. Tout ce qu’il s’est passé, les enquêtes judiciaires, la destitution de Dilma Rousseff, l’emprisonnement de Lula, a pour unique objectif d’empêcher le retour du PT au pouvoir » dénonce l’historienne Maud Chirio. Coup d’État ou coup d’État institutionnel, Olivier Dabène, professeur en science politique à Science Po et Président de l’Observatoire Politique de l’Amérique Latine et des Caraïbes (OPALC) ne définit pas la procédure engagée contre Dilma Rousseff dans ces termes : « Pour nous un coup d’État, c’est une rupture violente et surtout une rupture qui entraîne un abandon de la démocratie durable ». Pour autant, il convient que c’est une « destitution abusive ».

Les risques de l’extrême droite

L’élection présidentielle se retrouve régit par une logique dénonciatrice, une course à la démagogie et aux scandales politiques plus nombreux les uns que les autres qui censurent tout débat politique sur les défis que devra relever le Brésil demain pour se sortir de son actuelle situation. D’un côté l’extrême gauche représentée par Fernando Haddad ancien maire de Sao Paulo candidat du parti des travailleurs, qui a remplacé au pied levé l’ex-favori et ex-président Lula. De l’autre, Jair Bolsonaro, ancien capitaine parachutiste candidat d’extrême droite qui caracole en tête des sondages. Il a été victime d’une tentative de meurtre le 6 septembre dernier, en pleine rue au Brésil alors qu’il faisait campagne. L’issue du vote risque d’être accueillie dans un environnement sous haute tension, car cette élection est capitale pour le futur démocratique du pays.

Le candidat de l’extrême droite, Jair Bolsonaro membre du parti social-libéral est connu par les électeurs pour ses prises de position controversées, et notamment ses éloges à la dictature militaire. Celui que l’on nomme le « Trump tropical » a déjà déclaré en 1999, sa volonté s’il accédait au pouvoir, de fermer le Parlement et de mettre en place un régime militaire. Son flirt avec la dictature militaire s’est à nouveau confirmé plus récemment, en 2015 lors de la destitution de la présidente Dilma Rousseff. Il avait rendu hommage au colonel Brilhante Ustra ancien chef de la dictature militaire. Une prise de position perçue comme une attaque directe à l’encontre de Dilma Rousseff qui avait été torturée par ce colonel lors de son incarcération pour rébellion dans les années soixante-dix. S’il remporte cette élection, le dessein de Jair Bolsonaro est déjà tout tracé vers le retour à un pouvoir militaire.

Présidentielle Brésilienne « Bolsonaro va perdre » espère l'historienne Maud Chirio
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Un second scénario est envisageable, ce serait de voir le parti des travailleurs gagner, mais Maud Chirio n’imagine pas un retour au pouvoir du parti sans trouble : « Ce serait extrêmement étonnant que le PT revienne au pouvoir sans aucune protestation alors qu’on le sait une partie de la police et surtout de l’armée est extrêmement enthousiasmée de la perspective d’une victoire de Bolsonaro. Ce que j’imagine moi, c’est que Bolsonaro va perdre et que l’élection va être immédiatement contestée, mais à la différence de 2014, contestée violemment ».

Nostalgie dictatoriale, plus pour longtemps du passé

Au sein de l’électorat brésilien, le sentiment de désillusion trône en maître, et le souhait d’un coup d’État se propage dans les esprits. Un sondage réalisé en 2017 sur les perceptions politiques en Amérique Latine a révélé que seulement 13 % de la population croit et soutien la démocratie en place. La thèse du coup d’État pour régler tous les problèmes que le Brésil traverse est partagée par une grande partie de la population. Les Brésiliens sont mécontents de la classe politique du pays et souhaitent un changement. À l’issue du 27 octobre, les chances de voir la démocratie triompher sont minces, il y aura un bouleversement du paysage politique comme le souhaitent les électeurs, mais il sera peut-être trop radical et irréversible. Un retour à un régime autoritaire armé reviendrait à faire un bond en arrière de trente ans, une situation qui pourrait s’avérer difficile pour le Brésil.

Retrouvez Un monde en docs, samedi 29 septembre à 21h et dimanche 30 septembre à 10h sur Public Sénat.

 

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