Face au manque de moyens, des sénateurs demandent « un état d’urgence ferroviaire »

Face au manque de moyens, des sénateurs demandent « un état d’urgence ferroviaire »

Après la signature du contrat de performance entre l’Etat et SNCF Réseau, il manque un milliard d’euros pour maintenir le réseau ferroviaire français en état. Des sénateurs en appellent à un « état d’urgence ferroviaire », alors que certains experts préfèrent miser sur des transports publics autoroutiers. Faut-il mettre le paquet pour sauver le rail ?
Louis Mollier-Sabet

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« La Bataille du rail » serait-elle de retour ? Dans une ambiance d’après-guerre électrique, le film de René Clément faisait de l’institution ferroviaire française un symbole et un pilier de la Résistance héroïsée. Un combat presque remis au goût du jour version XXIème siècle par une controverse autour des investissements et de la régulation nécessaires au ferroviaire français pour arriver à remplir son rôle de pilier de la transition énergétique. Entre la mise en place de la réforme de la SNCF et le nouveau contrat de performance signé entre l’Etat et SNCF Réseau, l’institution semble en effet à la croisée des chemins. À cet égard, de nombreux acteurs du secteur se sont inquiétés de l’avenir du transport ferroviaire français et de la stratégie du gouvernement en la matière. L’Autorité de Régulation des Transports (ART) a par exemple regretté une « occasion manquée » à cause d’investissements insuffisants pour effectuer la maintenance nécessaire à la sauvegarde des petites lignes, dans le contrat de performance entre l’Etat et SNCF Réseau.

Une trajectoire financière encore plus déficiente si l’on considère l’objectif de développement du trafic ferroviaire nécessaire à l’accomplissement de nos objectifs climatiques, d’après les sénateurs Jacques Fernique (EELV), Olivier Jacquin (PS) et Gérard Lahellec (PCF). Dans une tribune publiée dans Le Monde ce lundi, ces sénateurs de gauche spécialistes des transports appellent à « déclarer l’état d’urgence ferroviaire », et à moderniser le rail « au-delà d’un assainissement financier », pour le moment prévu par le contrat de performance entre l’Etat et SNCF Réseau. Comme une sorte de réponse, était publiée simultanément, et dans le même journal, une tribune de Jean Coldefy, directeur du programme transitions et mobilité de l’association ATEC ITS France, dénonçant le « fétichisme ferroviaire français » et plaidant pour des transports en commun routiers comme outil de décarbonation des transports. La nouvelle bataille du rail est lancée.

« Il ne faut surtout pas opposer les modes de transport »

Jean Coldefy, aussi conseiller du président de TransDev, voit en fait dans les appels actuels à investir dans le rail, un « retour en fanfare du ferroviaire » et mise plutôt sur la mise en concurrence pour faire augmenter la fréquence des trains ainsi que sur le développement de transports publics routiers, pour une desserte plus fine du territoire. La République et le ferroviaire, c’est effectivement une grande histoire d’amour, du plan Freycinet qui a enraciné la IIIème République dans les territoires, aux fleurons industriels que sont les lignes à (très) grande vitesse exportées encore aujourd’hui. L’appel des sénateurs à « l’état d’urgence ferroviaire » ferait référence à cet imaginaire pour Jean Coldefy, ce que ne récuse pas totalement Olivier Jacquin : « Moi j’adore la controverse, c’est intéressant et ça éclaire le débat. C’est vrai qu’on est dans un pays de culture ferroviaire dogmatique. Dans d’autres pays, comme les pays baltes, où il n’y a pas de train, on a un autre rapport au car par exemple. En France, on parle des petites lignes avec nostalgie. » D’ailleurs, pour le sénateur socialiste de Meurthe-et-Moselle, l’argumentaire sur les modes de transports publics autoroutiers n’est pas inintéressant : « Chaque mode de transport doit être utilisé dans son champ de pertinence. Effectivement un car interurbain peut être performant, une bagnole remplie peut être pertinente. C’est vrai qu’il y a des lignes sur lesquelles il n’y a plus suffisamment de passagers, et où il ne faut pas chercher à se battre avec le train. »

Là où le bât blesse pour Olivier Jacquin, c’est dans la mise en concurrence entre le ferroviaire et d’autres modes de transports publics, comme le routier. « On a besoin de toutes les solutions, même des solutions routières modernes comme des bus à haut niveau de service sur des voies réservées, c’est vrai. Là où Jean Coldefy se trompe, c’est que le train, bien utilisé, est extrêmement efficace au niveau carbone », explique le sénateur. Il fait ainsi référence à un argument mobilisé par l’expert dans sa tribune où il compare un car consommant 20L aux 100 km et une locomotive diesel à 200L aux 100 km pour transporter 30 personnes. « Aller comparer une vieille locomotive diesel sur une petite ligne avec 30 passagers, avec un car rempli performant, c’est un peu spécieux comme argument. » Plutôt que de dire que le train « coûte cher et fonctionne mal », le sénateur Jacquin préfère inverser le raisonnement : « Une vieille locomotive, ça peut effectivement être catastrophique, mais il faut plutôt faire disparaître ces diesels, les électrifier et les remplacer par des locomotives qui roulent aujourd’hui, ce n’est pas de la science-fiction. »

Rénovation des petites lignes évoquée par Élisabeth Borne : « une arnaque énorme »

On touche ici au nœud du problème pointé par les sénateurs dans leurs divers travaux depuis la loi d’orientation des mobilités, dite LOM. « On a une dette d’infrastructure, maintenant il y a un mur de financement et la situation est plutôt catastrophique », résume Olivier Jacquin. Le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, utilisé pour préparer la loi LOM proposait un scénario avec 2,8 milliards d’investissements de l’Etat dans SNCF Réseau, tout en précisant qu’il faudrait un milliard supplémentaire pour maintenir le réseau en l’état. Pour le moment, ce sont les 2,8 milliards qui sont sur la table, d’où l’appel des sénateurs : « Par simplicité on a repris ce chiffre, mais le milliard c’est pour éviter la dégradation du réseau existant, mais ce n’est pas avec ça que l’on fait rouler les trains partout. Quand vous voyez les sommes qu’investissent les Allemands en ce moment, on pourrait dire qu’on peut mettre 2 ou 3 milliards par an pendant 10 ans. »

En l’état actuel du contrat de performance, les petites lignes, mais aussi certaines de taille moyenne, sont menacées, ce qui pose un enjeu de financement aux régions : « Sur les petites lignes, Élisabeth Borne dit qu’elle veut rénover, mais c’est une arnaque énorme. Jean-Baptiste Djebbari avait proposé de contractualiser l’entretien de certaines lignes dans le cadre des Contrat de plan Etat – région (CPER), mais pour les autres, l’Etat ne prévoit rien et ce sont des régions considérablement endettées qui vont devoir le faire toutes seules. Ça m’énerve un peu que la Première ministre, qui connaît très bien le sujet, communique autant sur cette rénovation. » Philippe Tabarot, rapporteur LR du budget des transports ferroviaires au Sénat dit « souscrire totalement » à la tribune de ses collègues de gauche, qu’il estime dans la lignée des travaux sénatoriaux sur le sujet. Il avait d’ailleurs proposé lors de l’examen du dernier budget, un amendement pour financer 300 millions d’euros de rénovation de ces petites lignes par les régions. « Je l’avais voté, et je le revoterai », explique Olivier Jacquin. « La nouvelle équation parlementaire nous permettra peut-être de trouver des ouvertures. En tout cas, au Sénat on en trouvera pour rénover le ferroviaire, rendez-vous à la loi de finances. »

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