Jean-Luc Chassaniol : « Il est à craindre de possibles décompensations. La psychiatrie devra y répondre »

Jean-Luc Chassaniol : « Il est à craindre de possibles décompensations. La psychiatrie devra y répondre »

Un jour, un regard sur la crise du Covid-19. Public Sénat vous propose le regard, l’analyse, la mise en perspective de grands experts sur une crise déjà entrée dans l’Histoire. Aujourd’hui, le regard de… Jean-Luc Chassaniol, Directeur du GHU Paris psychiatrie & neurosciences dont fait partie l’hôpital Sainte-Anne. S’il admet que la période rend les choses plus compliquées pour les personnes atteintes de troubles psychiatriques, il appelle surtout à ne pas les stigmatiser davantage.
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Par Rebecca Fitoussi

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Dans une crise sanitaire de cette ampleur, la société est déjà très occupée par la protection du plus grand nombre… Mais il y a aussi ceux que l’on ne voit pas… Les patients hospitalisés en psychiatrie peuvent en faire partie… Est-ce le cas ? Sont-ils les oubliés de cette crise ?

Il est d’abord nécessaire de rappeler qu’en moyenne 1 français sur 5 a ou aura recours dans sa vie aux services de soins en psychiatrie. 90% des personnes suivies le sont en ambulatoire, c’est-à-dire qu’ils consultent en centres médico-psychologiques et/ou en hôpitaux de jour. La question du suivi se pose donc autant pour les personnes hospitalisées que pour celles qui vivent chez elles. Aux premiers jours de l’épidémie, la pénurie de masques était générale et les FFP2 réservés aux services de réanimation. Beaucoup se sont émus de l’attention qui devait être apportée à des populations déjà stigmatisées : les personnes souffrant de troubles psychiques. Les réponses sont venues et depuis plusieurs semaines déjà, l’ensemble de la communauté sanitaire fait front commun pour faire face à la pandémie. En revanche, il y a des spécificités : isolement, soins médico-légaux sous contraintes, difficultés d’adaptation sociale, d’observance des traitements etc… Se sont donc mises en place des procédures spécifiques. In fine, la prise en charge d’une personne Covid et en psychiatrie est plus complexe que pour d’autres pathologies, car reste pour certains patients l’impossibilité d’un maintien à domicile.

Comment votre établissement gère-t-il cette crise du Covid-19 ? Dans quel état d’esprit ? A-t-elle bouleversé le quotidien ?

Depuis le 28 février, une cellule opérationnelle s’est mise en place sous la responsabilité de la direction et de la Présidence de la commission médicale d’établissement. Elle implique notamment des spécialistes de l’hygiène, des médecins réanimateurs, des psychiatres, des somaticiens. Cette cellule fait le point au moins 3 fois par semaine sur tous les problèmes posés par l’épidémie. Elle se prépare aussi à l’après. Le contexte a évidemment bousculé l’organisation habituelle, mais la réponse hospitalière, en termes de mobilisation, d’adaptabilité, d’engagement, est à la hauteur de l’événement, c’est-à-dire exceptionnelle.

Le confinement est-il faisable ? Dans quelles conditions ? Le concept est-il compris et intégré ?

Troubles psychiques n’égalent pas retard intellectuel, attention aux amalgames. Les personnes souffrant de troubles psychiatriques ont la même réaction que la population générale. Tous observent les règles sanitaires nationales. Le lien est perpétué par le téléphone ou les téléconsultations. En revanche, les activités thérapeutiques de groupe ou celles favorisant la réinsertion sont reportées dans la majorité des cas. Certains patients peuvent donc voir leur état se dégrader et certains, réticents aux soins, se replier.

Certains de vos patients sont-ils infectés par le Covid-19 ? Le savez-vous d’ailleurs ? Avez-vous la possibilité de faire des tests ?

Dès le début de l’épidémie, ont été appliqués et enseignés les gestes barrière, les visites et sorties ont été proscrites, un monitoring des symptômes à risques a été mis en place, avec isolement et prise en charge à la clé en cas de confirmation des cas. Des unités Covid+ ont été créées dès la mi-mars. Nous avons bénéficié des conseils et de la mobilisation d’un médecin réanimateur et d’un médecin biologiste qui ont monitoré sur le terrain la maîtrise du risque épidémique et la conduite à tenir. Grâce à notre centre de ressources cliniques, un centre de dépistage a été installé, appuyé d’une équipe mobile. Aujourd’hui, tout malade entrant dans l’hôpital est testé en arrivant. Des résultats sont également analysés dans le cadre d’un partenariat avec Cochin et avec Bichat. Nous attendons à présent les consignes nationales pour systématiser la sérologie.

Les visites sont donc complètement arrêtées… Comment le vivent les proches ?

Ces mesures essentielles sur un plan sanitaire sont évidemment douloureuses sur un plan affectif pour les familles. Mais nous avons mis en place différentes stratégies : en sollicitant l’aide de mécènes par exemple, pour équiper en tablettes et abonnements numériques personnels, résidents et patients. Très tôt, nous avons créé un centre d’appels pour les familles des patients. Il est animé par des psychologues, qui interviennent également physiquement dans les services de réanimation pour les cas les plus graves. Pour les patients suivis en psychiatrie, notre initiative a été élargie à l’échelle de toute l’Ile de France avec la création d’un numéro vert : « Psy IDF ». Elle est effective depuis lundi dernier 7 jours sur 7 et plus de 100 appelants l’ont contactée.

Avez-vous tous les moyens nécessaires ? Êtes-vous bien équipés ? Avez-vous le personnel suffisant ?

Grâce au fin maillage de l’offre de secteur en psychiatrie, nous avons été en mesure de mettre en place une réponse sanitaire dans l’urgence. Les efforts collectifs des personnels médicaux et soignants sont remarquables, mais ils ne doivent pas s’épuiser dans la durée. C’est pourquoi nous comptons sur les personnels maintenus à domicile pour faciliter la relève. Nous avons également reçu l’aide de l’opération Résilience, dans la distribution des repas et des équipements, ce qui a été précieux et ce qui a permis d’accorder un peu de répit aux équipes techniques, elles aussi très sollicitées.

Concernant les équipements, nous avons dû faire face, comme tout le monde, à des phénomènes de pénurie et de rationnement. À ce jour, ce sont près de 80 groupes, entreprises et associations qui nous ont alloué différentes ressources. Cela a été particulièrement salutaire en termes de masques. L’enjeu actuel est celui des tenues professionnelles.

Les autorités sanitaires vous accompagnent-elles ?

De très près. Depuis le premier jour, nous participons aux visio-réunions organisées par l’Agence Régionale de Santé permettant de faire des points de situation et d’adopter les conduites à tenir. Une cellule spécifique à la psychiatrie a aussi été mise en place. Nous pouvons ainsi remonter nos questions et nos demandes d’équipements ou de ressources. L’appui de la Ville de Paris est aussi très aidant, notamment lorsqu’il s’agit de l’accompagnement des professionnels en termes de garde d’enfants ou de recherche de logement.

Il y a vos patients actuels, ceux qui sont suivis, et puis il y a ceux qui vivent complètement intégrés dans la société avec leurs troubles psychiatriques… Ceux qui sont parfois passés par votre établissement… Faut-il être inquiet pour eux en cette période ?

Cette présentation est biaisée : encore une fois, 1 français sur 5 aura recours dans sa vie à un suivi en santé mentale. Nous sommes tous concernés. Et l’écrasante majorité des personnes suivies le sont en ambulatoire, car il s’agit d’une maladie chronique avec laquelle on vit. Être suivi égale donc… être intégré. Le confinement et la distanciation sociale sont des éléments perturbateurs pour tous. De ce que l’on observe, et c’est un constat général, le recours aux services de psychiatrie ou de médecine générale s’est jusqu’à présent amenuisé : les personnes respectent les consignes nationales et sollicitent moins leurs interlocuteurs médicaux ou soignants. À terme, il est à craindre de possibles situations de décompensation pour eux et d’autres, car cette phase est traumatisante pour tous. Avec la communauté médicale et soignante, nous nous y préparons car la psychiatrie devra y répondre.

Les personnes atteintes de troubles psychiatriques peuvent-elles normalement se procurer leur traitement ?

Complètement : les Centres médico psychologiques restent joignables et accessibles en cas de forte détresse. Les téléconsultations sont en place. Les pharmacies ont pour consignes de faciliter les renouvellements d’ordonnances.

Avez-vous un message particulier à faire passer ? Un appel à lancer ?

Le message principal serait : n’ajoutons pas une double peine à des populations déjà stigmatisées parce que la maladie mentale fait peur. Le dualisme entre santé physique et santé mentale n’a pas de sens. Ensuite, soyons solidaires des soignants : nous faisons appel à la générosité des donateurs pour pourvoir en équipements de protection les services de soins. Enfin je souhaiterais terminer sur une note d’optimisme : le GHU Paris est un hôpital universitaire et nos équipes de chercheurs travaillent activement à la recherche autour du Covid 19 : deux études prometteuses sont en cours notamment, l’une lancée vendredi « ICAR », sur l’apport des anticorps dans la réponse inflammatoire au virus, l’autre, en instance de validation, sur les effets des neuroleptiques sur le Covid.

NB : Le GHU Paris psychiatrie & neurosciences rassemble toutes les structures de psychiatrie de secteur de la capitale et le pôle clinico-universitaire en Neurosciences de Paris Descartes.
Le GHU Paris est un hôpital public autonome, qui intègre l’hôpital Sainte-Anne, et qui est indépendant de l’Assistance Publique. Ses 5 600 professionnels reçoivent 60 000 patients par an en psychiatrie et 6 000 patients pour les maladies du système nerveux (tumeurs, accident vasculaire cérébral, rupture d’anévrisme notamment).

Si vous souhaitez faire un don, rendez vous sur le site du GHU

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