Nucléaire : le défi de la prolongation des réacteurs au-delà de 60 ans

Nucléaire : le défi de la prolongation des réacteurs au-delà de 60 ans

La prolongation des réacteurs nucléaires au-delà de 60 ans est un pilier de la relance du nucléaire français actée par Emmanuel Macron à Belfort. Elle reste pourtant soumise à la validation de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), qui nécessitera des efforts de recherche, mais ne représentera pas un « verrou technologique », d’après une chercheuse en physique nucléaire.
Louis Mollier-Sabet

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L’annonce par Emmanuel Macron, il y a presque un an à Belfort, de la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires, avec huit réacteurs supplémentaires en option, a rouvert le débat de la relance du nucléaire français. Le projet de loi de simplification administrative censé accélérer la réalisation de ce « pari industriel » a notamment remis la stratégie nucléaire de la France sur la table.

Les fameux « EPR2 » ont donc polarisé les débats, pourtant, une autre mesure est passée un peu plus inaperçue, alors qu’elle est probablement au moins aussi importante pour le futur du mix énergétique français : la prolongation à 60 ans de la durée de vie du parc nucléaire déjà installé.

Construits entre les années 1970 et 1990, la plupart des réacteurs français passeront leur quatrième visite décennale dans les prochaines années, afin que l’ASN valide leur maintien en fonction. Or, les scénarios de RTE sur lesquels s’appuie l’exécutif tablent déjà sur une prolongation du parc nucléaire existant au-delà de 60 ans pour arriver à la neutralité carbone en 2050.

Prolongation des réacteurs : « Ce scénario risque d’engager le système électrique dans une impasse », avertit l’ASN

Pourtant, en l’état, rien ne permet d’être certain que suffisamment de réacteurs pourront être prolongés, avait averti Bernard Doroszczuk devant le Sénat le 17 mai 2022 : « Ce scénario est non justifié à ce stade et présente un risque d’engager le système électrique dans une impasse, dans le cas où le nombre de réacteurs aptes à fonctionner au-delà de 60 ans serait finalement insuffisant ou ne serait connu que trop tardivement. […] L’instruction générique du 4ème réexamen ne permet pas de conclure que la poursuite de fonctionnement de certains de ces réacteurs est acquise au-delà de 2050. »

Lors d’une réunion du Conseil de Politique Nucléaire (CPN) ce vendredi 3 février, Emmanuel Macron a validé « le lancement d’études permettant de préparer la prolongation de la durée de vie des centrales existantes à 60 ans et au-delà », « dans des conditions strictes de sûreté garanties par l’Autorité de Sûreté Nucléaire », précise le communiqué de l’Elysée. C’est donc tout le paradoxe pour le moment : la stratégie énergétique de la France présuppose une prolongation des réacteurs qui doit encore être validée par l’ASN.

« Ce n’était pas prévu d’aller au-delà de 60 ans, donc la prolongation demande de la R & D »

Et pour cause, si la construction de nouveaux réacteurs a occupé l’espace médiatique et la filière, la prolongation des réacteurs construits entre les années 1970 et la fin des années 1990 représente un enjeu énergétique tout aussi important. Dans le scénario de RTE pour atteindre la neutralité carbone en 2050 avec la part de nucléaire la plus importante dans le mix électrique, la prolongation des réacteurs au-delà de 60 ans représente 8 GW, soit plus de la moitié du parc de nouveau nucléaire si 8 EPR2 sont mis en service d’ici-là (13 GW), et un quart si EDF arrive à pousser à 14 EPR2 (23 GW). Si la filière arrive à mettre en service les 14 EPR2, la production du nouveau parc nucléaire atteindra seulement deux tiers de la production maximale française atteinte au tournant des années 2000 et 2010.

C’est pour cette raison que l’exécutif veut « préparer » cette prolongation, qui va nécessiter une planification et un travail important d’EDF et de l’Autorité de Sûreté nucléaire, explique Emmanuelle Galichet, enseignante-chercheuse en physique nucléaire au CNAM, et spécialiste de sûreté nucléaire : « Quand on a fait les dossiers de sûreté, ce n’était en quelque sorte pas prévu d’aller au-delà de 60 ans. Donc la prolongation demande de la R & D, sur les matériaux et les processus de contrôle et d’inspection par exemple. »

« Vu ce qu’il se passe aux Etats-Unis, il n’y a pas de verrou technologique »

La chercheuse attire notamment l’attention sur le cas des cuves dans lesquelles se trouvent les réacteurs : « La cuve est fabriquée dans un acier un peu particulier. À l’époque, pour monter les dossiers de sûreté, le Commissariat à l’énergie atomique (CAE) et EDF avaient fait des expériences pour montrer que cet acier-là vieillissait bien, en particulier sous flux de neutrons et sous la pression. Mais ces tests étaient faits pour une certaine durée de vie. Là il faut que l’ASN puisse valider que le matériau tiendra bien les conditions d’exploitation pendant 5 ans, ou pendant 10 ans. Ou alors si on se rend compte que ça ne vieillit pas très bien, voir quelles solutions on a pour pallier ça. On peut recouvrir la cuve d’un nouveau matériau par exemple. »

En cas de mauvaise surprise, la prolongation de certains réacteurs pourrait-elle être remise en cause ? C’est peu probable, d’après Emmanuelle Galichet : « Vu ce qu’il se passe aux Etats-Unis, il n’y a pas de verrou technologique. Si vous avez bien changé tous les systèmes et les équipements au fur et à mesure, il n’y a pas de raison de ne pas arriver à prolonger les réacteurs. En revanche ça demande du travail, de la planification et il y a un coût financier s’il faut réaliser certains travaux. » La majorité du parc ayant été mise en service dans les années 1980, l’échéance des 60 ans de fonctionnement se profile à la fin des années 2030.

« L’Etat est en train de se rendre compte qu’il faut anticiper »

EDF, l’Etat et l’ASN ont donc une quinzaine d’années pour réussir à prolonger les réacteurs dans de bonnes conditions. « L’Etat est en train de se rendre compte qu’il faut anticiper, on rentre dans une vraie planification énergétique », analyse la chercheuse, qui y voit « des signaux extrêmement positifs » du gouvernement et de la filière. « Si la prolongation des réacteurs au-delà de 60 ans était envisagée dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), elle devrait impliquer une instruction par anticipation d’au moins 10 à 15 ans, c’est-à-dire d’ici 2030, pour disposer de délais suffisants permettant, de faire face à ces conclusions », avait averti Bernard Doroszczuk devant le Sénat en mai dernier.

« Certains ont estimé que le président de l’ASN était un peu sorti de son rôle », commente Emmanuelle Galichet, qui veut croire que c’est peut-être aussi « ça qui a fait bouger. » En tout état de cause, la programmation pluriannuelle de l’énergie se profile à l’été ou à l’automne prochain et « l’instruction » dont parle Bernard Doroszczuk aura donc été lancée dans les temps. « Il ne faudrait pas que faute d’anticipation suffisante, la poursuite de fonctionnement des réacteurs nucléaires soit considérée comme la variable d’ajustement d’une politique énergétique qui aurait été mal calibrée », avait ajouté le président de l’Autorité de Sûreté nucléaire. Six mois avant l’examen de la PPE par le Parlement, l’avertissement est lancé.

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