Pour Chantal Jouanno, le gouvernement doit dire ce qu’il fera des conclusions du grand débat

Pour Chantal Jouanno, le gouvernement doit dire ce qu’il fera des conclusions du grand débat

Rencontre avec Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), en charge du Grand débat national qui aura lieu à partir de mi janvier en réponse au mouvement des gilets jaunes. Premier volet de notre série de quatre entretiens autour du thème, « refonder la démocratie ».
Public Sénat

Par Pierre Bonte-Joseph

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Ce mouvement a été une surprise pour vous, à la commission nationale du débat public ?
Ca été une surprise pour tout le monde… Ceci dit, ça n’a pas été complétement une surprise parce que à la base il y a un sentiment d’injustice fiscale, et c’est quelque chose que nous avions identifié dans le dernier débat public que nous avions mené. Il portait sur l’énergie, et les conclusions de ce débat le 31 juin disaient déjà que la fiscalité écologique était vécue comme un injustice sociale. Le président de la commission avait dit explicitement qu’il y avait un risque de jacquerie fiscale.
 

La revendication des « gilets jaunes » a vite débordé sur des questions de démocratie. Il y a une soif de démocratie dans notre pays ?
Chaque fois qu’on fait un débat public, il y a une volonté d’être entendu et écouté. D’ailleurs c’est au cœur de la mission de la commission nationale de dire qu’il faut être écouté et entendu. Parce que beaucoup de citoyens ne viennent pas voter, ne viennent jamais dans les instances politiques, ni au moment des campagnes ni à d’autres moments parce qu’ils ne s’estiment pas écoutés, pas légitimes. C’est difficile de prendre la parole dans les salles. S’il y a une désaffection des élections en parallèle il y a une vraie vitalité de la citoyenneté du quotidien dans les associations, ou dans des initiatives.
 

Il y a du monde dans les réunions que vous animez ?
On est moins sur du quantitatif, puisqu’on fait des réunions sur des projets. Nous notre objectif ce n’est pas de dire qu’on a cent mille personnes qui se sont exprimées sur le projet. C’est de couvrir tous les arguments, tous les points de vue, toutes les parties prenantes, de les avoir mis autour du débat. Aujourd’hui on est plus proche de dis milles personnes mais on est plus qualitatif que du quantitatif.

« Notre objectif ce n’est pas de dire qu’on a cent mille personnes qui se sont exprimées sur le projet. C’est de couvrir tous les arguments, tous les points de vue, toutes les parties prenantes, de les avoir mis autour du débat.»

Cette méthode est-elle utile dans l’organisation du « grand débat national » à venir ?
Pour les débats, on va utiliser une autre méthode plus diffuse, qui vient du terrain. Toutes les initiatives seront portées par les citoyens, pas par les institutions. Au contraire il ne s’agit pas d’avoir un maximum d’expressions. On n’est pas sur un projet donné, on est sur un projet global de société. Il faut passer par l’expression du plus grand nombre pour être sûr de couvrir tous les sujets. Le gouvernement a choisi quatre sujets mais il est fort probable que d’autres sujets émergent.

Mais tout n’a pas déjà été dit par les « gilets jaunes » ? Tout n’a pas été entendu avec les « gilets jaunes » ?
On n’a pas entendu les premières alertes et beaucoup de choses ont été exprimées, mais peu de choses ont été délibérées dans un face à face entre citoyens eux-mêmes, entre les citoyens et les institutions, au niveau local, au niveau national. L’expression individuelle c’est une chose, mais là, le but c’est le débat, la délibération…A petite échelle, ou au niveau régional on a proposé dans notre méthode d’organiser des réunions de 200 personnes environ dont une bonne moitié seraient des acteurs institutionnels : association ou syndicats, et l’autre moitié serait des personnes tirées au sort, celles qui se sont inscrites par avance. On les fait travailler une journée entière et co-élaborer des propositions qu’ils voteront ensuite. C’est une manière de faire évoluer le débat dans la co-construction, et pas simplement dans la revendication.

Ce n’est pas qu’un lieu d’expression ?
Non, bien sûr c’est un lieu de témoignage mais ça doit être avant tout un lieu de débat d’une société qui sait évaluer ses propres contradictions.

Quelles sont les vertus du tirage au sort ?
Le tirage au sort a plusieurs vertus. Déjà, il a pour vertu de constituer des assemblées représentatives des catégories socio-professionnelles et représentatives des territoires. Par ailleurs, il faut être sûr qu’on diversifie les parties prenantes. La deuxième vertu du tirage au sort, c’est d’éviter que ce soit toujours les mêmes qui parlent, il y a des citoyens qui savent très bien prendre la parole et qui sont très à l’aise et il y en a d’autres qui ne s’expriment jamais parce qu’ils ne s’estiment pas légitimes, trop timides. L’avantage du tirage au sort est qu’on remet sur un pied d’égalité les uns et les autres et on diversifie les paroles.

Les « gilets jaunes » sont les bienvenus ?
Oui, on le souhaite ! C’est indispensable ! Ce sont des réunions ouvertes à tout le monde, ce n’est pas le débat uniquement des « gilets jaunes » c’est celui de toutes celles et tous ceux qui souhaitent participer au débat national. Mais s’ils font des réunions entre eux, ils sont libres de les verser dans le débat public, de nous transmettre leurs conclusions pour qu’on puisse les exploiter. C’est important qu’on n’ait pas deux paroles, c’est important que la société se parle ; en dehors des politiques, avec des politiques, des décideurs qui écoutent ce que dit la société.

« Ce n’est pas le débat uniquement des « gilets jaunes » c’est celui de toutes celles et tous ceux qui souhaitent participer. »
 

Ils pourront venir avec leur « gilets jaunes » ?
On accepte toutes formes d’expressions, on vient avec son gilet jaune, on vient comme on est ; la parole est libre. On a fait des débats où les personnes viennent et commencent à s’exprimer par des chants !

Comment faire parler tout le monde et pas seulement les « gilets jaunes » ?
Le fait qu’on soit au plus près du terrain est une première garantie. L’éloignement est une fracture importante. Si c’est un syndicat, une association, on aura l’avantage de la proximité socioculturelle.
Ensuite il y a la manière : pas d’estrade, pas de discours tunnel, pas de sachants qui essayent de faire de la pédagogie pour ceux qu’ils considèrent comme des ignorants. On doit partir de la parole citoyenne, commencer par une vidéo de témoignages par exemple et demander : « est-ce que vous vous retrouvez dans la parole citoyenne que vous venez d’entendre ? »

Et la dernière chose c’est de pratiquer le débat mobile. On a proposé des systèmes de stand à la demande, sur des marchés ou des systèmes de bus pour aller dans les quartiers ou encore organiser des débats dans les wagons bar des trains…il faut aller au-devant des citoyens. Il faut mélanger les types de débat, il est important qu’on utilise tous les outils…que ce soit la réunion spontanée, le stand, la réunion encadrée, le site numérique ça évite d’avoir des biais propres à chaque technique. En mélangeant les outils on évite les biais et on est sûr de récupérer les paroles différentes.
 

Chantal Jouanno

 

Quelle est la garantie que la parole soit entendue ?
Il faut différencier le politique et l’organisation du débat. Ce qui relève du politique en l’occurrence du gouvernement c’est de dire ce qui l’attend du débat. Il en a fixé les thèmes les limites et il doit dire comment il s’engage à répondre à tout ce qui a été dit.
Dans le système classique, ceux qui nous demandent de faire un débat ont l’obligation de répondre dans un acte qui doit être publié, au journal officiel ou ailleurs et de répondre à l’ensemble de nos recommandations.
Le gouvernement a plusieurs options qui s’offrent à lui. Il peut tout à fait dire : je vais faire un document écrit ou je répondrai à chaque proposition en argumentant ses réponses. Ou de dire on versera les propositions dans un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat et on votera sur ces propositions. C’est à lui de déterminer la voie, mais l’essentiel c’est de ne pas dire « j’en prends certaines mais pas d’autres et je ne vous dis pas pourquoi ». C’est important d’argumenter. On n’en voudra jamais à un politique de ne pas tout reprendre, sinon on est plus dans la politique mais dans la dictature, mais c’est important de l’expliquer.

Quels écueils il faut  éviter ?
Il ne faut pas politiser le débat. Si on avait eu un débat organisé par les préfets ou les parlementaires du parti majoritaire on tomberait dans cet écueil de la politisation du débat.
Il faut un pacte à la base, sinon personne de ne viendra, parce que personne n’aura confiance.

Troisième écueil il ne faut pas se placer dans une posture de pédagogie, qu’on vienne vendre son idée. Il faut que les décideurs viennent écouter, qu’ils se placent dans une position d’écoute. Ils ne peuvent pas être absents des salles sinon on a une forme de dédain à l’égard des personnes et en même temps ils ne peuvent pas prendre la parole et dominer l’ensemble de la salle. C’est extrêmement compliqué dans le contexte politique actuel, de ne pas donner le sentiment que tout est joué d’avance.

Pourra-t-on encore faire de la politique comme avant ?
Ça fait longtemps qu’on dit : « on va faire de la politique autrement », là il y a une exigence de participation citoyenne. Une participation citoyenne qui ne soit pas uniquement au moment des élections, mais entre les deux.
Il y a des solutions dans la loi qui permettent de le faire. Le gouvernement, quand il a un grand projet, peut saisir la commission mas ça n’est pas rentré dans les mœurs. Donc à part les cas où c’est une obligation, le gouvernement ne l’a pas fait. Ce n’est pas dans la culture politique de commencer par s’adresser aux citoyens avant de lancer un projet.

« Ça fait longtemps qu’on dit : « on va faire de la politique autrement », là il y a une exigence de participation citoyenne. Une participation citoyenne qui ne soit pas uniquement au moment des élections, mais entre les deux. »


C’est un moment important pour la commission que vous présidez ?
C’est un tournant important pour nous. Cela nous oblige à sortir d’un cadre formaté pour aller vers le grand public. C’est l’occasion de dire « le débat tout le monde en parle » mais c’est aussi une affaire de professionnels. On en a fait plus de 94 à très grande échelle. On sait que la clef d’un débat c’est la confiance, si il n’y a pas de confiance on n’a pas de débat.

Vos recommandations débouchent-elles sur des modifications des projets ?
On a fait 94 débats publics. Sur ces 94, plus de 20 ont été modifiés en prenant en compte des alternatives proposées par le grand public pendant le débat. Une alternative que le décideur n’avait pas pensé en amont du débat.
Très récemment on fait débat sur le contournement d’une commune à la Réunion. On a montré que sans consensus politique le projet était impossible. Le maître d’ouvrage l’a finalement abandonné.
Il y a majoritairement des évolutions des projets. Les projets sans évolution sont rares. Un projet conflictuel dès le début, ne devient pas consensuel. Les partisans restent des partisans, les opposants des opposants.
Le but ce n’est pas de faire accepter les projets : c’est d’éclairer les pouvoirs publics, de comprendre pourquoi les personnes sont opposées ou pourquoi elle adhérent. Mais c’est illusoire de croire que cela crée du consensus.

« La seule limite aux débats, c’est la violence.  »

Le référendum d’initiative citoyenne, c’est un espace de consultation utile ?
C’est différent. On n’est pas dans un travail de décision avec ce référendum. Le RIC, puisque tout le monde l’appelle comme ça, se substitue à la démocratie, et reste une forme ultime de participation, mais c’est quelque chose qui va venir dans le débat. C’est un pas que la France n’a jamais franchi, à charge pour nous de donner toutes les infos, où il est pratiqué, ses avantages et ses limites et on verra ce que citoyens en font.

Il faut avoir peur des débats ?
La seule limite d’un débat c’est la violence. Que les positions soient tranchées, ça fait partie du débat public, le but est de se parler. Je le répète : la seule limite c’est la violence. 

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