Réunions non-mixtes à l’UNEF : au Sénat, la gauche et la droite s’affrontent

Réunions non-mixtes à l’UNEF : au Sénat, la gauche et la droite s’affrontent

La polémique autour des réunions non-mixtes de l’UNEF vient de prendre une nouvelle ampleur. Alors qu’une partie de la droite parlementaire réclame la dissolution du syndicat étudiant et que la justice soit saisie, à gauche au Sénat, on fustige « une stratégie du gouvernement pour détourner l’attention sur la précarité étudiante ».
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Par Antoine Comte

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Depuis les déclarations de Mélanie Luce, la présidente de l’UNEF qui a affirmé sur Europe 1 que, comme pour les femmes victimes de discriminations, le syndicat étudiant « organise des réunions pour permettre aux personnes touchées par le racisme de pouvoir exprimer ce qu’elles subissent », mais qu’« aucune décision n’est prise en non-mixité », la droite et la gauche parlementaire s’attaquent sans relâche par médias interposés.

Chez les Républicains, les condamnations par le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer de ces pratiques présumées à « des choses qui ressemblent au fascisme », ne suffisent pas. Pour plusieurs élus de la droite sénatoriale, ces groupes de travail de l’UNEF pouvant potentiellement exclure des participants en fonction de leur couleur de peau ou de leur sexe, sont des « atteintes graves à nos valeurs républicaines ».

« L’UNEF est devenu le syndicat de la France Insoumise »

En fin de semaine dernière, Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat s’est en effet fendu d’un courrier au ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti. Son contenu ? « Ces dérives sont graves et la réponse de l’Etat ne peut pas être l’indifférence. Je vous demande d’engager au nom de l’Etat des poursuites pour provocations publiques à la discrimination », écrit notamment le sénateur LR de Vendée dans sa missive, en questionnant directement le garde des Sceaux : « Qu’auriez-vous fait, qu’auriez-vous dit, si un syndicat organisait des réunions réservées aux seuls hommes dont la peau est blanche ? »

Une initiative que soutient les yeux fermés Jérôme Bascher. Le sénateur LR de l’Oise a aussi cosigné le courrier adressé par le député Julien Aubert et plusieurs parlementaires de son parti, au procureur de la République pour dénoncer cette « potentielle infraction délictuelle ». « Les discriminations quelles qu’elles soient sont illégales, voilà pourquoi il faut remettre les pendules à l’heure et faire en sorte d’aller plus loin que la simple indignation du gouvernement dans les médias », explique Jérôme Bascher.
Avant d’ajouter, très remonté : « L’argumentation de la présidente de l’UNEF est absolument fallacieuse. Elle affirme que certains n’oseraient pas s’exprimer en présence d’autres personnes dans une même salle sur des sujets donnés, c’est hallucinant ! L’UNEF a complètement dérivé et défend aujourd’hui des valeurs totalement opposées à son ADN. En fait, c’est devenu le syndicat de la France Insoumise qui déconstruit tout et ne défend plus les valeurs de la République. L’UNI est presque devenu un syndicat modéré à côté ! »

 

Pour Valérie Boyer, qui fait également partie des signataires de lettre initiée par le député du Vaucluse, « la répétition des récentes polémiques à l’UNEF prouve bien qu’il y a un problème ». « L’UNEF bénéficie de près de 400 000 euros d’argent public et elle tient des propos anti-républicains. La justice nous dira si notre plainte peut prospérer, mais entre la Fatwa jetée sur deux professeurs de l’IEP de Grenoble et maintenant ces réunions non-mixtes, je pense qu’il y a troubles à l’ordre public et donc que c’est quelque chose de pénalement condamnable », lance la sénatrice LR des Bouches-du-Rhône.

« Est-ce vraiment un sujet d’actualité alors que les étudiants crèvent la dalle ? »

Des analyses que ne partage en revanche pas du tout la gauche sénatoriale, qui souhaite malgré tout rester prudente sur le sujet, et en particulier sur la question de la dissolution du syndicat étudiant réclamée par la droite. « Le problème du PS, c’est que l’UNEF a toujours été son laboratoire. Combien d’élus socialistes sont passés par le l’UNEF depuis sa création en 1907 ? Des centaines et des centaines, et encore aujourd’hui », murmure un ténor du PS au Sénat, qui indique que le sujet devrait être à l’ordre du jour du prochain bureau national du parti.

Pour le jeune sénateur socialiste de 26 ans, Rémi Cardon, qui était étudiant il y a encore quelques mois, « le responsable de toute cette histoire, c’est avant tout le gouvernement et Madame Frédérique Vidal qui a rallumé la brèche avec leurs déclarations sur l’islamo-gauchisme ».

L’élu PS de la Somme n’en démord pas : « Franchement, est-ce vraiment un sujet d’actualité alors que les jeunes crèvent la dalle dans les banques alimentaires ? Ce débat sur l’UNEF n’a aucun sens, il est juste là pour détourner l’attention face à un gouvernement qui est incapable d’aider les jeunes à survivre à cette crise que nous vivons depuis un an. Nous sommes en pleine crise sanitaire et économique, et le gouvernement nous parle des pratiques de l’UNEF, c’est une stratégie purement électorale ».

« Ceux qui combattent aujourd’hui l’UNEF sont dans un esprit de revanche »

Un sentiment que partage le sénateur PS de Paris David Assouline qui a bien connu l’UNEF en tant que membre de son bureau national à la fin des années 1980.

« Vous savez, ceux qui font la chasse de façon violente aujourd’hui à l’UNEF sont ceux qui ont toujours combattu l’UNEF universaliste lorsqu’ils étaient membres de l’UNI ou même du GUD il y a de nombreuses années. La droite et même certains ministres qui parlent aujourd’hui à tort d’organisation dangereuse voire fasciste sont en fait dans un esprit de revanche ».
L’élu parisien qui se dit « résolument contre la dissolution » du syndicat étudiant, reconnaît avoir malgré tout « des désaccords avec l’orientation prise par une direction sans colonne vertébrale, et parfois même en roue libre sur certaines batailles culturelles et idéologiques ».

Patrick Kanner, le président du groupe PS au Sénat veut quant à lui faire preuve de fermeté sur le sujet : « Si ces pratiques sont avérées, elles sont contraires à l’universalisme et à la philosophie de la fraternité que doit défendre le syndicalisme ». « Je crois au prosélytisme de l’altérité et de l’ouverture, c’est ma conception et mon logiciel du combat syndical », ajoute le sénateur du Nord, sans vouloir en dire plus.

« C’est à l’UNEF de décider de ses formes d’action »

Du côté des élus communistes, qui pour bon nombre d’entre eux sont aussi passés par l’UNEF dans leur jeunesse, à la question : « Faut-il dissoudre l’UNEF ? » La réponse est un non catégorique.

« C’est à l’UNEF de décider de ses formes d’action. C’est un syndicat, il est autonome et c’est à ses membres de faire des choix de direction au moment de leur congrès. On ne peut pas demander la dissolution d’un syndicat, parce que l’une de ses responsables a dit ça. Quand ça ne va pas chez les Républicains, personne ne demande leur dissolution, ils le décident eux-mêmes en interne », lance Cathy Apourceau-Poly, qui assure ne jamais avoir entendu parler « de pratiques discriminatoires à l’UNEF ».

Pour la sénatrice communiste du Pas-de-Calais qui a été elle-même membre de l’UNEF il y a quelques années, ce serait même « un très mauvais signal que de dissoudre l’UNEF en pleine période de précarité étudiante ».

Fracture à gauche

Alors que 300 personnalités de gauche, de Jean-Luc Mélenchon à Benoît Hamon, en passant par l’historien Benjamin Stora, viennent de signer une tribune dans Le Monde contre la dissolution de l’UNEF, on sent bien que derrière cette polémique, la fracture entre deux France radicalement opposées est en marche.

Une fracture qui semble même exister entre deux gauches. Celle représentée par d’anciens cadres du PS comme l’ex Premier secrétaire du parti Jean-Christophe Cambadélis qui n’hésite plus aujourd’hui à fustiger ce qu’est devenue l’UNEF, et celle incarnée par d’autres élus qui dénoncent un faux débat car pour eux le syndicat étudiant n’a jamais failli dans sa défense des intérêts moraux et matériels des étudiants.

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