Sans gaz russe, y aura-t-il des coupures d’électricité cet hiver ?

Sans gaz russe, y aura-t-il des coupures d’électricité cet hiver ?

Alors que Vladimir Poutine réduit de plus en plus le débit des exportations de fossiles russes vers l’Europe, pourrait-il vraiment « couper » le robinet du gaz cet hiver ? Et avec quelles conséquences pour l’Europe et la France, dépendantes en partie de l’énergie russe.
Louis Mollier-Sabet

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« Préparons-nous à la coupure totale du gaz russe, c’est aujourd’hui l’option la plus probable. » Par la voix de Bruno Le Maire ce week-end lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, le gouvernement commence à évoquer ce que les spécialistes du secteur craignent depuis un moment. Avec les difficultés rencontrées par le parc nucléaire français, le retard pris par le développement des énergies renouvelables, et la pression sur les fossiles russes due à la guerre en Ukraine, la sécurité énergétique de la France et de l’Europe est loin d’être assurée pour cet hiver. Alors que la commissaire européenne à l’énergie, Kadri Simson, a déjà annoncé que les livraisons de gaz russes étaient déjà deux fois moins importantes qu’à la même époque en 2021, le principal gazoduc russe approvisionnant l’Europe, NordStream 1, entre en maintenance pour dix jours ce lundi. Une occasion que la Russie ne devrait pas rater pour mettre la pression sur les Européens, ayant déjà argué que les sanctions retardaient l’arrivée de plusieurs pièces nécessaires à la maintenance du gazoduc.

» Pour en savoir plus : La (co) dépendance énergétique de l’Europe et de la Russie en chiffres et Gaz russe : l’Europe peut-elle vraiment s’en passer ?

Lisser la consommation électrique pour s’affranchir du gaz russe

Le moment où la Russie coupera définitivement le gaz aux Européens, comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises à certains pays en représailles à des sanctions économiques, se rapproche donc à grand pas. Remplacer ces importations de gaz russe « nécessitera de toute façon des investissements », rappelle l’économiste. Quitte à investir dans des infrastructures, Maria-Eugenia Sanin remarque que l’on pourrait investir dans des infrastructures « compatibles avec les accords de Paris », contrairement au terminal du Havre qui permet de regazéifier du gaz de schiste ou du gaz naturel liquéfié (GNL) américain. Ensuite, dans l’immédiat, il faudra être capable pour l’hiver prochain de substituer le gaz, ce qui – encore une fois à court terme – ne peut se faire de façon substantielle que par une diminution de la demande. Le terme de sobriété énergétique commence à faire son chemin, même au sein de l’exécutif, puisque Bruno Le Maire ou Agnès Pannier-Runacher n’ont pas hésité à mettre le terme sur la table, mais les décisions concrètes, comme l’éclairage de certains commerces la nuit, la limitation à certaines températures de l’air conditionné se font attendre : « Il y a des mesures que l’on peut prendre dès cet été, qui ont zéro coût, comme éteindre les bâtiments de la Défense ou les panneaux publicitaires à minuit. » Dans un contexte où le parc nucléaire est à la peine, le but est d’éviter d’avoir à piocher dans les stocks de gaz en été pour produire de l’électricité, alors qu’actuellement, ils sont déjà seulement remplis à 56 %, d’après l’économiste.

» Pour en savoir plus : Rapport de RTE : La consommation d’énergie, grande absente du débat sur la neutralité carbone

L’autre partie de la solution, c’est de « lisser » la demande en hiver, pour éviter de trop forts pics de consommations, puisque c’est précisément le moment où l’on a recours au gaz en appoint d’autres sources d’énergie. Sans pics de consommation, l’approvisionnement en électricité sera moins sous tension et le soir par exemple, le nucléaire – même affaibli – et l’éolien pourraient suffire. Maria-Eugenia Sanin évoque à ce titre la « planification » pour cet hiver, « d’horaires décalés » dans l’industrie : « Il va falloir parler avec le secteur industriel pour déplacer les heures de production. Dans la nuit, l’éolien et le nucléaire peuvent suffire et on pourrait se passer du gaz s’il n’y a plus d’heures de pointe. Cela veut dire aussi décaler les horaires, même si ce n’est pas obligatoirement travailler de nuit, on parle de pics qui durent quelques heures. Sur une même région [c’est-à-dire un marché interconnecté, ndlr], on peut dire le nord commence à 7h et le sud à 9h, cela peut suffire. » L’économiste reconnaît la difficulté de demander à des travailleurs d’aménager leurs horaires, tout comme l’effet inflationniste pour les coûts des entreprises de devoir compenser ces changements au niveau salarial. Cela suppose aussi un effort de planification pour l’administration : « Il faudrait que l’Ademe, RTE et Bercy se mettent autour d’une table pour voir secteur par secteur, zone par zone, comment on peut lisser les pics de consommation, mais on a des modèles qui arrivent à prédire assez bien comment la demande va se comporter. »

Des « coupures programmées » cet hiver ?

Le problème, c’est que si ce genre d’effort, de sobriété, d’efficacité énergétique, ou de lissage de la consommation n’est pas fait, il ne restera que la solution des « coupures programmées » : « On dit par exemple ‘X quartiers sont coupés le vendredi soir à telle heure, alors les gens se préparent, chargent leurs ordinateurs et sortent les cartes pour jouer. » Mais c’est une solution « de dernier recours », qui aurait un coût économique important, notamment pour la restauration, puisque les pics de consommation « coïncident avec les périodes où les restaurants sont ouverts. »

Un scénario qui rappelle étrangement le premier confinement de mars 2020, où l’économie – et en particulier la restauration ou l’événementiel – avait payé le prix d’une solution de dernier ressort, qui supposait aussi des contraintes élevées pour les ménages en termes de confort. « À l’heure actuelle, c’est difficile de poser un diagnostic tranché sur l’éventualité de ce scénario », rappelle bien Maria-Eugenia Sanin, « mais on ne cache pas le soleil avec un doigt », ou des tensions sur le marché de l’énergie avec des promesses qu’il « n’y a aucun risque de coupure », comme l’avait dit Emmanuel Macron en juin dernier.

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