2017-2022 : cinq ans de contre-pouvoir du Sénat

2017-2022 : cinq ans de contre-pouvoir du Sénat

Pendant cinq ans, le Sénat, seule chambre d’opposition à Emmanuel Macron, a exercé avec célérité sa fonction de contrôle de l’action de l’exécutif. Les commissions d’enquête en sont la forme la plus représentative. Retour sur les plus marquantes.
Public Sénat

Temps de lecture :

10 min

Publié le

Nous sommes un dimanche d’octobre 2017, les résultats des élections sénatoriales voient la droite conforter sa majorité à la Haute assemblée. « C’est le dernier sursaut du monde ancien », balaye sur le plateau de Public Sénat, Bariza Khiari, l’une des rares au Palais du Luxembourg à avoir rejoint Emmanuel Macron.

Un an plus tard, l’ancien monde va se rappeler au bon souvenir de l’exécutif sous une forme inattendue.

Affaire Benalla : le Sénat accusé d’être « un tribunal politique »

Cette commission d’enquête Benalla va jeter un coup de projecteur inédit sur le rôle du Sénat dans sa fonction de contrôle de l’action du gouvernement. Ses travaux se transformeront en véritable feuilleton politique de l’été 2018, avec une saison 2 en janvier 2019. Certaines auditions entraîneront des records d’audience de Public Sénat. Des personnages se révéleront au grand public. Sur le forum Jeuxvidéos.com, le fil consacré à la commission d’enquête rassemblera jusqu’à 36 000 posts en sept jours. Un sondage IFOP pour Public Sénat indiquera que 76% des Français approuveront l’audition d’Alexandre Benalla devant la commission d’enquête du Sénat.

Pendant 6 mois, les sénateurs vont chercher à savoir comment un proche collaborateur du chef de l’Etat a pu se retrouver en possession d’un brassard de police en train de molester un manifestant le 1er mai. Ce premier fil tiré entraînera bien d’autres révélations sur la gestion des ressources humaines et de la sécurité de la présidence.

La tournure des auditions va conduire le président de la République à prendre les choses plus au sérieux. Fait exceptionnel, il appelle Gérard Larcher pour dénoncer un « déséquilibre institutionnel ». Le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux dénonce « le tribunal politique » et s’interroge sur la déontologie de la commission. « Si certains pensent qu’ils peuvent s’arroger un pouvoir de destitution du président de la République, ils sont eux-mêmes des menaces pour la République », s’emporte même Christophe Castaner.

Les sénateurs feront une série de préconisations pour garantir la meilleure organisation possible de la sécurité du Président, ainsi qu’une plus grande transparence sur les collaborateurs. En juin 2019 lors de l’examen du projet de loi de transformation de la fonction publique, contre l’avis du gouvernement, le Sénat adoptera un amendement issu des préconisations de la commission d’enquête Benalla, en soumettant les nominations des collaborateurs du président de la République et les membres de cabinets ministériels à un avis de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique (HATVP).

L’aboutissement des travaux de la commission fera monter la tension entre la chambre haute et l’exécutif à son paroxysme. Le Sénat suspecte de faux témoignage Alexandre Benalla, son acolyte, Vincent Crase, et même Patrick Strzoda, le directeur de cabinet du président de la République, dont ils décident aussi de transmettre le cas à la justice.

Cette saisine laissera des traces dans les rapports entre le Sénat et l’Élysée. En décembre 2019, Patrick Strzoda refusera de recevoir Jean-Pierre Sueur, le rapporteur socialiste de la commission d’enquête, dans le cadre de l’examen du budget 2020.

La commission d’enquête sur la gestion de la crise du covid-19

En juin 2020, la première vague épidémique de covid-19 s’atténue et le Sénat est bien décidé à tirer les leçons de la gestion de la crise par le gouvernement. Deux ans après la commission Benalla, l’exécutif voit ça d’un mauvais œil et braque d’entrée la chambre haute. Le chef de l’État craint que les sénateurs de la commission d’enquête jouent de nouveaux « les procureurs » selon des propos rapportés par le Canard enchaîné. L’Elysée annonce la création de sa propre commission d’enquête « qui portera un regard indépendant et collégial sur la gestion de la crise ».

« En colère » après avoir pris connaissance de la nouvelle, le président de la commission sénatorial Alain Milon (LR) est désormais déterminé à aller « chercher la petite bête ». Après 102 heures d’auditions pour 133 personnes entendues, le rapport sénatorial est retentissant. Il analyse avec précision comment la France s’est retrouvée démunie en nombre de masques. Il révèle le rôle majeur qu’a joué l’actuel directeur général de la santé, Jérôme Salomon, dans ce « fiasco ». Puis les errances du ministre de la Santé, Olivier Véran, pour reporter la responsabilité sur les gouvernements passés, et ne pas reconnaître la pénurie.

Les conclusions du rapport d’enquête conduisent à la mise en examen par la Cour de justice de la République de l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn pour mise en danger de la vie d’autrui. Très émue lors de son audition devant le Sénat, l’ancienne ministre s’était défendue de tout manque d’anticipation.

Le contrôle du Sénat sous l’Etat d’urgence sanitaire

« J’ai besoin du contrôle du Parlement ». Le 19 mars 2020 devant le Sénat, Edouard Philippe doit rassurer les sénateurs. L’état d’urgence sanitaire et le confinement généralisé ont été décrétés deux jours plus tôt. Dans ces conditions, comment le Parlement va-t-il pouvoir exercer ses missions ? « Il est indispensable dans une démocratie, y compris dans un moment de crise sanitaire, de confinement, que le Parlement puisse continuer à se réunir pour exercer son contrôle sur le gouvernement », assure le Premier ministre. Il sait qu’avec le confinement, l’exécutif vient de décider de mesures attentatoires aux libertés publiques et individuelles, au nom de la lutte contre le virus. La première loi encadrant l’état d’urgence sanitaire est adoptée en moins d’une semaine. Mais au fil des mois et des textes d’urgence sanitaire, les débats entre sénateurs et gouvernement vont se tendre autour du contrôle.

N’ayant pas gain de cause sur le plan législatif, le Sénat va multiplier les commissions d’enquête pour faire entendre sa voix. Lors de l’examen du projet de loi sur la gestion de la crise sanitaire, le Sénat avait plaidé en vain, pour la mise en place d’un système de péremption du passe vaccinal. La mesure est rejetée par le gouvernement et la majorité présidentielle. Une commission d’enquête se met alors en place pour examiner « l’adéquation du passe vaccinal à l’évolution de l’épidémie de covid-19 ». Sa principale préconisation en février dernier est une levée « une levée rapide » du passe vaccinal, en phase avec le gouvernement qui le précède de quelques jours en annonçant la levée des restrictions. 

Fermeture des lits d’hôpitaux : le gouvernement dans « l’incapacité » de donner des chiffres

Au bout d’un an et demi de crise sanitaire, la situation de l’hôpital donne des signes inquiétants. Une enquête flash dirigée par le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy indique qu’un lit sur cinq est fermé dans les grands hôpitaux publics faute de personnel. Le groupe communiste du Sénat, appuyé par la droite demande un rapport sur les conséquences de ces fermetures de lits. L’amendement est adopté au Sénat mais ne survit pas à la navette parlementaire du projet de loi sur la gestion de la crise sanitaire.

En mars 2022, le rapport d'une autre commission d’enquête sur la situation de l’hôpital dénonce « l’incapacité » du gouvernement à donner des chiffres, et pointe « des indications très parcellaires sur la base d’une enquête effectuée en urgence ».

Cabinets de conseil : Emmanuel Macron salue le travail du Sénat

Beaucoup moins sous le feu des projecteurs lors de ses travaux, les conclusions de cette commission d’enquête vont empoisonner la fin de mandat d’Emmanuel Macron.

L’idée de s’emparer d’un tel sujet a infusé dans le groupe communiste, à l’origine de la commission. Tout au long de l’année 2021, des révélations fuitent dans la presse sur des interventions de cabinets privés dans la gestion de la crise sanitaire. « Il y a eu cet épisode de l’intervention d’un consultant pendant une réunion à laquelle participait Olivier Véran », se remémore Éliane Assassi, la rapporteure de la commission.

Le 17 mars 2022, la commission d’enquête remet des conclusions accablantes. Les dépenses de conseil de l’Etat ont dépassé le milliard d’euros en 2021. Éliane Assassi et le président (LR) de la commission, Arnaud Bazin, relèvent une forme de « réflexe » dans l’appel aux consultants de la part de l’État. Ils évoquent également une « fébrilité » sur ces sujets, de la part du gouvernement.

Auditionné par la commission d’enquête, Karim Tadjeddine, directeur associé de McKinsey & Company avait déclaré sous serment que sa société payait ses impôts en France. Or, l’enquête du Sénat atteste que le cabinet McKinsey n’a pas payé d’impôts sur les sociétés en France depuis au moins 10 ans.

Suite à ces révélations, le Parquet national financier (PNF) ouvre une enquête préliminaire du chef de « blanchiment aggravé de fraude fiscale » visant le cabinet McKinsey.

Trois ans après la commission d’enquête Benalla et en pleine campagne électorale, la défense de l’exécutif a changé. Emmanuel Macron salue le travail du Sénat et se félicite de l’ouverture de l’enquête du PNF. Il regrette cependant certaines « bêtises » dans l’interprétation des chiffres révélées.

Sans prérogatives d’enquête, le Sénat mis de côté par l’exécutif

Le Sénat a pu exercer sa fonction de contrepouvoir par des missions de suivi. L’une des plus emblématique a porté, en 2019, sur l’évaluation des réformes fiscales du gouvernement. L’évaluation est lancée alors que les gilets jaunes, mobilisés contre « le Président des riches » réclament le retour de l’ISF.

Mais cette mission, dépourvue de prérogatives d’enquête ne parvient pas à obtenir auprès de Bercy les informations nécessaires. Pire, après 6 mois de relance, le Sénat se fait « doubler » par un rapport de France Stratégie, un organe placé sous l’égide du gouvernement et qui travaille sur le même sujet. « Vous semble-t-il normal que la représentation nationale soit moins bien traitée que les experts de tel ou tel comité d’évaluation ? », s’agace président PS de la commission des Finances du Sénat, Vincent Éblé auprès de Bruno Lemaire, lors d’une audition « où le ton est monté ».

La mission rendra néanmoins son rapport. Il brocarde sérieusement « la théorie du ruissellement ». Deux ans après la suppression de l’ISF et la création de la flat tax, la réforme d’Emmanuel Macron a rapporté 1,7 million d’euros à chacun des 100 Français les plus riches. Le ruissellement « n’a pas d’effet aujourd’hui, il n’y en aura pas demain », expliquera à Public Sénat, Vincent Eblé.

Dans la même thématique

Turin – Marifiori Automotive Park 2003, Italy – 10 Apr 2024
6min

Politique

Au Sénat, la rémunération de 36,5 millions d’euros de Carlos Tavares fait grincer des dents. La gauche veut légiférer.

Les actionnaires de Stellantis ont validé mardi 16 avril une rémunération annuelle à hauteur de 36,5 millions d’euros pour le directeur général de l’entreprise Carlos Tavares. Si les sénateurs de tous bords s’émeuvent d’un montant démesuré, la gauche souhaite légiférer pour limiter les écarts de salaires dans l’entreprise.

Le

Operation Wuambushu a Mayotte : Demolition en cours d’un vaste bidonville – Operation Wuambushu in Mayotte: Ongoing demolition of a vast slum
8min

Politique

« Mayotte place nette » : « La première opération était de la communication et la deuxième sera de la communication », dénonce le sénateur Saïd Omar Oili

Le gouvernement a annoncé ce mardi 16 avril le lancement du dispositif « Mayotte place nette », un an après le maigre bilan de l’opération baptisée « Wuambushu ». Saïd Omar Oili, sénateur de Mayotte, regrette le manque de communication du gouvernement avec les élus du département et met en doute l’efficacité de ce « Wuambushu 2 ».

Le

Paris : Question time to the Prime Minister Gabriel Attal
6min

Politique

100 jours à Matignon : « La stratégie Attal n’a pas tenu toutes ses promesses », analyse Benjamin Morel

Le Premier ministre marquera jeudi le passage de ces cent premiers jours au poste de chef du gouvernement. Si Gabriel Attal devait donner un nouveau souffle au deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, sa stratégie n’est néanmoins pas payante car il « veut en faire trop sans s’investir fortement sur un sujet », selon Benjamin Morel, maître de conférences en droit public.

Le