5G : le chantage aux zones blanches de Martin Bouygues
Alors que le gouvernement refuse de repousser les enchères de 2,17 milliards d’euros sur la 5G, comme le demande Bouygues Telecom, Martin Bouygues prévient l’Etat : l’opérateur sera « assez réservé » si l’exécutif demande aux opérateurs « un effort supplémentaire pour la couverture des territoires ».

5G : le chantage aux zones blanches de Martin Bouygues

Alors que le gouvernement refuse de repousser les enchères de 2,17 milliards d’euros sur la 5G, comme le demande Bouygues Telecom, Martin Bouygues prévient l’Etat : l’opérateur sera « assez réservé » si l’exécutif demande aux opérateurs « un effort supplémentaire pour la couverture des territoires ».
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Si la 5G paraît encore lointaine pour les Français, elle est bien dans l’esprit des opérateurs. Tellement présente, que Bouygues Telecom aimerait bien la voir arriver… un peu plus tard. Ou plus exactement, l’opérateur demande le report de la seconde phase d’enchères pour les fréquences de la téléphonie très haut débit.

« Les Français sont assez insatisfaits de la couverture qui reste insuffisante des territoires »

Initialement prévues en avril, elles ont été reportées en juillet ou septembre par le gouvernement à cause de la crise du Covid. Des enchères qui s’élèvent à hauteur de 2,17 milliards d’euros et que Bouygues Telecom aimerait voir reportées à la fin de l’année 2020 ou début 2021. Une position avancée par Martin Bouygues, PDG du groupe du même nom, dans « une tribune qui a fait du bruit », selon les mots du président de la commission du Développement durable du Sénat, Hervé Maurey.

Pour l’heure, le gouvernement dit « niet », par la voix de la secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher, en charge du dossier. Auditionné ce mercredi 10 juin par la commission, le PDG a répété son message… assorti d’une forme de chantage. S’il n’obtient pas gain de cause, Bouygues Telecom pourrait être à l’avenir moins enclin à combler les zones blanches, où capter ne serait-ce que la 3G s’avère aussi difficile que tenir plus de 24 heures sans recharger son smartphone.

Partant du constant que « les Français sont assez insatisfaits de la couverture qui reste insuffisante des territoires », il propose de renégocier le « new deal », cet accord passé en 2018 entre les opérateurs et l’Arcep, le gendarme des télécoms, pour couvrir les zones blanches où l’on ne capte pas. « Il faut donc aller plus loin et plus vite », avec la construction de « 1.500 ou même 2.000 sites mutualisés supplémentaires ».

« Nous proposons de repousser les enchères de quelques mois pour avoir le temps de renégocier un accord global »

Visiblement aujourd’hui très sensible à la problématique des territoires ruraux touchés par les zones blanches, il propose « de repousser les enchères de quelques mois pour avoir le temps de renégocier un accord global, et les quelques centaines de millions nécessaires à cet investissement nouveau seraient évidemment à prendre en considération sur le montant des redevances payées au titre des fréquences 5G » imagine Martin Bouygues, vantant un « système simple, efficace, financé, qui répond à la demande des territoires ». Mais « Bercy l’a rejeté, par la voix de Agnès Pannier-Runacher » regrette le grand patron breton, qui en prend « acte ».

Quoi qu’il arrive, « Bouygues se portera acquéreur de fréquences 5G, même si c’est en septembre ». « En revanche, il doit être clair pour tout le monde, que si par hasard il venait à l’idée des pouvoirs publics, après les enchères, de demander aux opérateurs de faire un effort supplémentaire pour la couverture des territoires, dans le cadre d’un nouveau programme zones blanches, supposant des investissements des opérateurs, notre réponse sera forcément assez réservée. Nous saurons alors rappeler à la ministre, ou à ses successeurs, qu’il y avait un levier pour améliorer efficacement les choses et le financer » menace Martin Bouygues, qui sous-entend au passage que sa nouvelle meilleure amie, Agnès Pannier-Runacher, ne sera peut-être plus à son poste dans les mois à venir. Mais lui, oui…

« Il ne faut pas tout faire supporter au Covid » souligne le sénateur Hervé Maurey

Face aux interrogations de Patrick Chaize, sénateur LR de l’Ain, l’opérateur assure qu’il n’imagine pas une France de la téléphonie à deux vitesses. « Nous ne souhaitons pas avoir une 4G des campagnes et une 5G des villes » assure Olivier Roussat, président de Bouygues Telecom, « mais il faut renforcer la couverture des territoires. Et pour ça, le nombre de sites supplémentaires s’exprime en milliers. Et il y a lieu d’en parler quelque temps. C’est pourquoi nous voulons décaler cet appel d’offres » ainsi que revoir son « calcul », précise celui qui est aussi directeur général délégué du groupe Bouygues. Autrement dit, en baisser le prix.

Quant aux installations d’antennes 4G en zones blanches, « nous avons pris du retard » reconnaît le président de Bouygues Telecom, mais « nous rattraperons une partie de ce retard », qui serait liée à la crise des dernières semaines.

« Cela dit, il y avait aussi des retards avant le Covid. Il ne faut pas tout faire supporter au Covid » lui fait remarquer le sénateur Hervé Maurey. Le président UDI de la commission du développement durable rappelle au passage que « le new deal était censé régler les problèmes de couverture du territoire en téléphone mobile. Le dispositif était censé être complet ».

« Bouygues n’était pas en retard sur le new deal mobile, avant le Covid » assure Didier Casa, directeur général adjoint de Bouygues Telecom, du moins « pas plus que les autres opérateurs »… « à part Orange, qui a beaucoup plus de collaborateurs que nous, et qui est beaucoup moins dépendant de la sous-traitance. Ils seront légèrement en avance ». Pour justifier leur demande d’un nouveau new deal, il souligne que sur le terrain, « les collectivités nous disent que c’est largement insuffisant » pour ce qui est du nombre d’antennes prévues.

« Méfiance », « effets des ondes »

Pour défendre le report des enchères, Martin Bouygues sort d’autres arguments : un gain technique réel seulement « en 2023 », ce qui lui fait dire que la France ne « prendra pas de retard » sur la 5G en repoussant de quelques mois l’enchère. Ou encore des Français qui « expriment au mieux de l’indifférence, voire de la méfiance ». Sans parler des « discours négatifs » comme les questions de santé liées « aux effets des ondes »…

Mais ce qui complique le discours de Martin Bouygues, c’est la position de deux autres opérateurs, Orange et Free. De leur côté, ils ne veulent pas décaler les enchères sur la 5G. Apparemment, ils ne se captent pas.

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