Affaire Benalla : ce que contient le rapport accablant de la commission d’enquête du Sénat

Affaire Benalla : ce que contient le rapport accablant de la commission d’enquête du Sénat

Dans leur rapport sur l’affaire Benalla, les sénateurs pointent des « dysfonctionnements majeurs » au sommet de l’Etat. Ils font une série de préconisations pour garantir la meilleure organisation possible de la sécurité du Président, ainsi qu’une plus grande transparence au sein de l’exécutif, notamment sur les obligations déclaratives des collaborateurs, leur nombre, missions et rémunérations.
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Plus de six mois de travail, 34 auditions et beaucoup de questions. La commission d’enquête du Sénat a rendu son rapport tant attendu, ce mercredi 20 février, sur l’affaire Benalla. 118 pages (160 avec les annexes) et 13 recommandations, qui visent notamment l’organisation de la sécurité de l’Elysée (voir le rapport dans son intégralité). Le rapport est accablant pour la présidence. Sa gestion de l’affaire « s’est révélée calamiteuse » tranche les sénateurs (voir aussi le sujet vidéo d'Aurélien Romano).

Demande de transmission au parquet des cas d’Alexandre Benalla, Alexis Kohler et Patrick Strzoda pour possible faux témoignage

La Haute assemblée avait saisi le 23 juillet dernier la commission des lois, dotée des prérogatives d’une commission d’enquête. Les personnes auditionnées n’ont pas le choix : elles doivent venir répondre aux questions, sous serment. En cas de faux témoignage, le dossier peut être transmis au parquet, sur décision du bureau du Sénat. Ce dernier est saisi par les sénateurs pour les cas d’Alexandre Benalla et Vincent Crase, mais aussi, dans une moindre mesure, pour Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, et Patrick Strzoda, directeur de cabinet de Macron, qui « ont retenu une part significative de la vérité lors de leur audition », pointent les sénateurs dans une lettre à Gérard Larcher, président du Sénat (voir notre article sur les faux témoignages). Les sénateurs ont en effet constaté une série « d’incohérences » et de « contradictions ».

Les 26 membres du bureau du Sénat, composé de l’ensemble des groupes, devraient prendre sa décision, par un vote à huis clos, le 21 mars prochain. Un faux témoignage devant une commission d’enquête est un délit passible de cinq ans de prison et de 75.000 euros d'amende.

Tensions entre l’exécutif et le Sénat

La commission d’enquête lancée en même temps à l’Assemblée avait explosé en plein vol. Celle du Sénat a permis à la Haute assemblée de jouer sans retenue son rôle de contre-pouvoir. Au point de créer de fortes tensions entre l’exécutif et le Sénat : un appel d’Emmanuel Macron à Gérard Larcher, une tribune de la ministre de la Justice Nicole Belloubet, et une attaque du ministre Christophe Castaner, qui a accusé les sénateurs d’être « des menaces pour la République » s'ils cherchaient à « destituer » Emmanuel Macron.

« Le Sénat est une assemblée parlementaire libre, indépendante, non alignée » a cadré d’emblée le président de la commission d’enquête, le sénateur LR Philippe Bas, en présentant devant la presse le rapport. Cet ancien secrétaire général de l’Elysée sous Jacques Chirac, qui a connu la lumière avec les travaux de la commission, a rappelé que le Sénat s’est bien gardé d’empiéter sur le travail de la justice. « Nous avons enquêté sur le fonctionnement de l’Etat et pas sur les agissements de Monsieur Benalla » a souligné Philippe Bas. Comme à son habitude, il égrène les points d’un ton précis, presque professoral. Le verbe est haut. Il tranche.

« Sécurité du président de la République affectée » et « dysfonctionnements majeurs »

Globalement, la charge des sénateurs est lourde pour l’Elysée. Ils pointent des « dysfonctionnements majeurs » au plus haut sommet de l’Etat. « Nous avons réuni suffisamment d’éléments pour estimer que la sécurité du président de la République a été affectée » estime Philippe Bas, qui souligne qu’« il n’y aurait pas eu d’affaire Benalla si une sanction appropriée avait été prise dès le 2 mai 2018 » (voir la vidéo ci-dessous). Il demande de « prévenir et sanctionner les conflits d’intérêts parmi les collaborateurs des cabinets pour qu’ils ne soient dans la main de personne »…

Philippe Bas : « Nous avons réuni suffisamment d’éléments pour estimer que la sécurité du Président de la République a été affectée »
06:09

A ses côtés, les rapporteurs, Jean-Pierre Sueur (PS) et Muriel Jourda (LR) retracent l’affaire et rentrent dans les détails et contradictions que relate ce riche rapport (voir notre article sur les principales déclarations de la conférence de presse).

Services de la police « maintenus dans l’ignorance »

Sa lecture est sans appel sur bien des points. Suite aux événements du 1er mai, le rapport souligne les conséquences « graves » « de l’ignorance dans laquelle ont été maintenus » les services de la police :

« Alors que le ministre d’État, ministre de l’Intérieur, le préfet de police de Paris, le directeur de cabinet du Président de la République (…) ont été mis au courant dès le 2 mai de l’"affaire Benalla" (…), l’information n’a étrangement pas trouvé le chemin de certains services du ministère de l’intérieur qui, de leur côté, auraient pu initier les premières enquêtes administratives ».

« Défaillances » des autorités 

Le rapport pointe plusieurs « défaillances » des autorités : « Absence de signalement au parquet », les sénateurs constatant « lors des auditions un spectaculaire renvoi circulaire des autorités les unes aux autres » ; « Doutes sur l’effectivité réelle des sanctions infligées » et « confiance maintenue jusqu’en juillet » envers Alexandre Benalla.

Mission de sécurité « aux contours obscurs »

Le rapport note aussi le « flou entretenu sur le périmètre des missions qui étaient réellement confiées à Alexandre Benalla ». Loin de se cantonner « à des missions logistiques », le rapport met en avant « une mission spécifique de coordination des services de sécurité de l’Élysée aux contours obscurs » au risque, paradoxalement, de mettre à mal la sécurité du chef de l’Etat.

Sur la demande de permis de port d’arme de l’ancien chargé de mission, le rapport affirme qu’elle « résultait en réalité d’une initiative d’Alexandre Benalla entérinée a posteriori par sa hiérarchie ». Pour trouver une base juridique et rentrer dans les clous, Alexandre Benalla a notamment imaginé, et proposé à sa hiérarchie, la possibilité « de prendre un arrêté confidentiel du Président de la République qui "constituerait une autorisation de port d’arme à titre exceptionnel" » (voir notre article).

« Prérogatives et moyens importants »

La commission a pu clairement établir et confirmer qu’Alexandre Benalla disposait « de prérogatives et de moyens importants » à l’Elysée : véhicule, appartement de fonctions de 84 m2, habilitation secret-défense, téléphone hautement sécurisé Teorem, dont il était le seul à disposer à la chefferie de cabinet et rendu plusieurs mois après son licenciement. Après les événements du 1er mai, il continue à disposer de ces moyens.

Au sujet des passeports diplomatiques, le rapport souligne que « la délivrance de quatre passeports professionnels ne semble, ni courante, ni justifiée à ce niveau de responsabilités ». Il note « de nettes contradictions concernant la chronologie précise de la restitution des passeports professionnels d’Alexandre Benalla », qui « avait continué à utiliser ses passeports diplomatiques après son licenciement ». Ce dernier a multiplié les voyages avec ses passeports.

Contrats russes : « Un risque pour la présidence de la République et pour l’État » 

Les questions les plus lourdes sont soulevées par l’« affaire des contrats russes » avec l’oligarque Iskander Makhmudov, révélée par Mediapart. Le rapport dénonce « de graves soupçons de faux témoignages » (voir plus haut) et surtout « de conflits d’intérêts majeurs et graves » :

« L’implication directe d’Alexandre Benalla et de Vincent Crase dans la négociation et la conclusion d’activités de nature privée, qui plus est pour le compte d’intérêts étrangers puissants, constituerait non seulement une faute déontologique majeure pour les intéressés, mais également un risque pour la présidence de la République et, à travers elle, pour l’État ».

Dans leur rapport, les sénateurs ajoutent : « Il ne fait en effet nul doute que les relations entretenues avec un oligarque russe par un collaborateur de l’Élysée directement impliqué dans la sécurité de la présidence de la République et d’un réserviste du commandement militaire du palais de l’Élysée exerçant une responsabilité d’encadrement seraient de nature, en raison de la dépendance financière qu’elles impliquent, à affecter la sécurité du chef de l’État et, au-delà, les intérêts de notre pays ».

 

Les 13 recommandations du rapport

Les 13 recommandations ne sont pas spectaculaires, mais précises. Elles portent sur quatre points principaux. Le premier appelle à « garantir un haut niveau de sécurité au président de la République » de deux manières :

  • Renforcer le cadre réglementaire du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) en réaffirmant « la compétence exclusive des membres des forces de sécurité intérieure » pour la sécurité du chef de l’Etat et en définissant « les règles et procédures de recrutement ». Une manière de clarifier qui fait quoi.
  •  « Maintenir la responsabilité organique du ministère de l’Intérieur sur le GSPR ».

Le rapport recommande ensuite de « renforcer la transparence dans le fonctionnement de l’exécutif ». Les sénateurs font ici huit propositions :

  •  Rappeler « les règles déontologiques devant régir les relations entre les collaborateurs de la présidence, ceux des cabinets » et « les administrations centrales ».
  •  « Mettre fin à l’expérience des collaborateurs « officieux » du Président de la République et faire respecter strictement leurs obligations déclaratives à tous les chargés de mission de l’Elysée ». Alexandre Benalla n’avait pas fait sa déclaration d’intérêt à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Il était pourtant obligé de le faire. Une absence de déclarations qui a pris une nouvelle ampleur, en raison de la révélation de l’existence du contrat russe, dont le premier a été signé quand il était encore en fonction à l’Elysée. Au sujet des contrats russes, Jean-Pierre Sueur estime qu’« il y a là quelque chose de considérable pour la sécurité de la présidence de la République et au-delà ».
  •  Sur le même thème, les sénateurs recommandent de « prévoir par la loi des sanctions pénales en cas de manquement aux obligations de déclaration d’une nouvelle activité à la commission de déontologie de la fonction publique ».
  •  « Conditionner le recrutement des collaborateurs du Président à la réalisation d’une enquête administrative préalable » pour s’assurer que leur « comportement » est compatible avec la fonction.
  •  « Mettre fin à la pratique des conseillers communs au président de la République et au premier ministre ». Selon les informations issues du budget 2019, au 31 décembre 2017, le cabinet du Président de la République était composé de 52 membres dont 12 étaient également membres du cabinet du premier ministre (8 de ces 12 conseillers étant rémunérés par Matignon).
  •  Pour aller plus loin dans la transparence, le Sénat propose d’enrichir le rapport sur les membres de cabinets ministériels, déposé chaque année en annexe du projet de loi de finances, « d’un volet supplémentaire permettant de dresser un tableau du nombre, des missions et des rémunérations des personnels affectés à la présidence de la République ».
  •  Renforcement de la « transparence des recrutements dans les différentes réserves de la gendarmerie nationale et la rigueur des règles de sélection » de la réserve opérationnelle. Vincent Crase, mis en cause dans l’affaire, est chef d'escadron dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie.
  •  « Rendre obligatoire l’établissement d’une liste des activités professionnelles exercées par les réservistes du commandement militaire du Palais de l’Elysée ».

Troisième point sur lequel le rapport de la commission d’enquête insiste : renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement. C’est l’une des fonctions de l’Assemblée et du Sénat, avec le vote et l’élaboration de la loi. Les sénateurs en profitent pour rappeler un principe auquel ils sont attachés, alors qu’ils voient dans la réforme des institutions en cours un affaiblissement du Parlement.

  •  Le rapport demande de « conforter le pouvoir de contrôle du Parlement sur les services de la présidence de la République ».
  •  Les sénateurs veulent « établir et confirmer la plénitude des pouvoirs d’investigations des commissions d’enquête parlementaires » dans le respect de la « séparation des pouvoirs et du secret de l’instruction, y compris quand la justice enquête ».

Dernier point : « Clarifier l’obligation de signalement d’un crime ou d’un délit » en application de l’article 40 du code de procédure pénale.

  •  Pour cela, les sénateurs préconisent de « mieux définir la portée juridique des obligations de signalement au parquet » et de d’« en informer largement l’ensemble des élus, responsables et agents publics ».

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