Après la crise sanitaire, les départements rêvent de pouvoirs étendus

Après la crise sanitaire, les départements rêvent de pouvoirs étendus

Le président de l’Assemblée des départements de France, auditionné ce 9 juin au Sénat, a exprimé son souhait de voir ce niveau de collectivité territoriale doté de compétences économiques et surtout médico-sociales.
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L’échelon départemental va-t-il s’affirmer, plus que jamais, après les leçons de l’épidémie de Covid-19 ? C’est en tout cas le souhait de l’Assemblée des départements (ADF), l’association qui porte la voix des 101 départements français. Auditionné ce mardi 9 juin au Sénat par la mission d’information sur le rôle et les compétences des départements, son président Dominique Bussereau demande que des « politiques sociales et médico-sociales » soient portées par les départements. Lancée le 25 février, la mission sénatoriale voit ces questions rebattues par le contexte du Covid-19 et les enjeux de la relance économiques.

Resserrées en 2015, les compétences des départements, noyés dans des régions plus grandes, se concentrent sur l’action sociale : aide à l’enfance, hébergement et insertion des personnes en matière de handicap, création de maisons de retraite, versement des allocations de solidarité. S’y ajoutent la construction et l’entretien des collèges, mais aussi différentes missions d’aménagement et d’équipement du territoire, la protection contre les incendies ou encore des compétences culturelles, sportives ou touristiques, ces deux dernières étant partagées avec les régions et les communes.

Dominique Bussereau veut « limiter l’influence des ARS »

La pandémie de coronavirus a, de l’avis de bon nombre d’élus locaux, apporté de l’eau au moulin des partisans d’une plus grande décentralisation, avec la nécessité de gérer une crise au plus près du terrain. Dans le cadre d’une « nouvelle décentralisation » qu’il réclame depuis plusieurs mois, Dominique Bussereau espère notamment « limiter l’influence » des Agences régionales de santé (ARS), en participant à leur gouvernance. « Nous voyons bien que la gestion des Ehpad par les ARS a été mauvaise », constate Dominique Bussereau.

Dans le secteur du médico-social, le président de l’ADF souhaite étendre les moyens d’action des départements, en leur confiant la gestion « exclusive » des maisons d’autonomie, des établissements sociaux et médico-sociaux. Au niveau des ressources humaines, le statut de la fonction publique territoriale serait généralisé aux personnels de ces établissements et les départements auraient le pouvoir de nommer des directeurs d’Ehpad départementaux. Le président du Conseil départemental de Charente-Maritime a également ajouté dans sa liste, la compétence de médecine scolaire, « en grande déshérence » selon lui.

Dans le cadre des travaux du « Ségur de la Santé », les trois niveaux de collectivités (communes, départements, régions) préparent d’ailleurs « une position commune ». Le représentant des départements juge d’ailleurs que la coopération avec l’échelon régional a souvent porté ses fruits sur le terrain, comme en témoignent les commandes communes de masques.

Parmi les autres transferts de compétences de 2015 sur lesquels veut revenir l’ancien secrétaire d'Etat chargé des transports : la gestion des cars scolaires, justement, et plus largement de voyageurs, tous tombés dans l’escarcelle des régions. Selon lui, cette nouvelle responsabilité des grandes régions n’a « pas toujours donné de bons résultats ». Il déplore notamment la perte de « dessertes fines » de certains territoires. Selon Philippe Pichery, président du département de l’Aube (sans étiquette), la nouvelle répartition des compétences s’est même traduite par un « surcoût » sur le ramassage scolaire.

Quand les départements s’immiscent dans l’économie, prérogative des régions

Cette dépossession des départements s’est encore plus vérifiée sur l’économie, où l’essentiel des interventions relève des régions. A l’heure où des secteurs entiers ont été placés sous perfusion par les plans de soutien, « il y a des trous dans la raquette » dans les programmes de l’Etat ou des régions, relève Dominique Bussereau. Plusieurs départements ont alors pris des libertés avec la loi NOTRe de 2015, qui fixe la répartition des compétences. Ou l’ont même « contournée », malgré une « circulaire assez déplacée » du gouvernement sur le sujet, selon ses mots. Plusieurs exemples en attestent, de nombreux départements ont mis en place des aides d’urgence afin de compléter les versements du Fonds de solidarité nationale et les Fonds « résilience » des régions. Ces initiatives ne sont pas dénuées de logique puisque les départements partagent la compétence touristique, un secteur pourvoyeur d’emploi.

Philippe Pichery estime que la « disparition de la compétence générale et économique des départements » a représenté pour sa collectivité « un vrai traumatisme ». Le département se retrouve aujourd’hui « bloqué » dans l’élargissement d’une technopole et une pépinière d’entreprises, qu’il avait lancées avant la réforme territoriale. « Des centaines d’emplois devaient être créés », a-t-il regretté. Pour Laurent Somon, président (LR) du Conseil départemental de la Somme, il y a « nécessité que la loi s’adapte aux territoires ». Une question qui s’impose chaque jour avec un peu plus de force, au moment de la nécessité de sauvegarder et de relancer l’économie.

RSA : « Les chiffres du mois de mai ne sont pas bons »

Alors que les départements constatent une « montée en puissance » des besoins de financement pour subvenir au versement du RSA – « les chiffres du mois de mai ne sont pas bons », martèle l’ADF – Philippe Pichery rappelle que le « principe de base de l’action sociale » doit être la « prévention ». « Avant de payer des allocations, qu’est-ce que l’on peut faire pour que nos concitoyens ne se retrouvent pas dans ces situations ? Les départements devraient avoir des souplesses qui leur permettent d’agir en amont, sur l’économie de proximité », argumente-t-il.

Le versement du RSA, le sujet est vieux à l’ADF, et divise. Certains présidents de départements sont favorables à une recentralisation du versement par l’Etat, d’autres s’y opposent. « On a dit au gouvernement qu’il fallait ouvrir le débat », indique simplement Dominique Bussereau.

Rapporteure de la mission d’information, la communiste Cécile Cukierman prévient que les sénateurs ne seront « pas les organisateurs du grand soir de la loi NOTRe », mais pousse, à l’instar de beaucoup de ses collègues, pour une accélération de l’arrivée au Parlement de la loi 3D. Ce projet de loi, qui permet d’aborder les questions de déconcentration des moyens de l’Etat, de différenciation territoriale et de décentralisation, se fait attendre. Et Dominique Bussereau continue de regretter les orientations timides voulues par le gouvernement. « Ce serait une folie, après cette période où on a vu l’importance du niveau local dans la crise nationale et mondiale, qu’il y ait simplement des mesurettes et pas d’effort girondin ».

Ce projet de loi de loi devra s’accompagner, espère-t-il, d’un « grand texte fiscal ». « Les départements sont en difficulté, le manque d’autonomie peut nous gêner à terme », alerte-t-il.

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