Assurance chômage : un « zigzag » gouvernemental qui heurte au Sénat

Assurance chômage : un « zigzag » gouvernemental qui heurte au Sénat

L’introduction d’une mesure controversée dans un décret sur la réforme de l’assurance chômage, suivi d’une rapide volte-face du gouvernement, est accueillie avec beaucoup de critiques au Sénat.
Guillaume Jacquot

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À une semaine de la présentation de la réforme des retraites, le gouvernement s’est résolu à faire marche arrière sur l’une des dispositions de sa réforme de l’assurance chômage, une volte-face qui consterne au Sénat. Selon plusieurs sénateurs, l’épisode est révélateur de la manière dont le gouvernement gère ses relations avec les partenaires sociaux.

Comme le prévoit la loi sur le « fonctionnement du marché du travail en vue du plein-emploi », promulguée le 21 décembre, l’exécutif dispose pour un an du pouvoir dérogatoire de fixer les règles de l’assurance chômage, par décret. De quoi prolonger en urgence les règles instaurées en 2019, qui arrivaient à expiration, mais aussi d’introduire une modulation des conditions d’indemnisation en fonction de la conjoncture économique.

À la veille de Noël, un projet de ce texte réglementaire a mis le feu aux poudres chez les organisations syndicales : la réduction surprise de 40 % de la durée d’indemnisation, si le taux de chômage venait à tomber sous les 6 %. Or, jusqu’à cette date, le gouvernement avait présenté aux partenaires sociaux le scénario d’un recul de 25 % de la durée d’indemnisation, pour un taux de chômage sous les 9 %.

Le nouvel étage de la modulation, à 40 %, a entraîné une levée de boucliers des syndicats. Si bien que le 3 janvier, la Première ministre a annoncé le retrait de ce nouveau degré de modulation. « J’entends que ce point n’a peut-être pas suffisamment fait l’objet de discussions, donc nous allons le retirer, ce troisième niveau du décret qui entrera en vigueur au 1er février », a annoncé Élisabeth Borne au micro de France Info.

« On regarde ça avec une certaine stupéfaction », réagit le sénateur Olivier Henno

Au Sénat, avec lequel s’était noué un accord in extremis sur le projet de loi début novembre, la séquence est très mal accueillie. « Le gouvernement élabore une concertation, mais tente quand même », s’agace Frédérique Puissat (LR). Corapporteure du projet de loi, à l’origine de l’inscription dans le Code du travail d’une modulation de l’assurance chômage en fonction de la conjoncture, la sénatrice de l’Isère ne voit ni une manœuvre tactique, ni une erreur de la part de l’exécutif dans le durcissement surprise en pleines fêtes de fin d’année. « Ce que je crois, c’est que nous avons un gouvernement qui est un gouvernement pluriel, c’est le fameux en même temps qui ne marche pas. »

Lui aussi corapporteur, et membre de la majorité sénatoriale, le centriste Olivier Henno, fait part d’une incompréhension totale. « On regarde ça avec une certaine stupéfaction, c’est un truc incroyable », s’exclame le sénateur du Nord, qualifiant l’épisode de « zigzag ». « C’est ce qu’il y a de pire, en termes de crédibilité publique. Un excès d’ambition est finalement une reculade. » Opposante au principe de modulation, quel que soit son niveau, la socialiste Monique Lubin ne décolère pas non plus sur la surprise dans le projet de décret du 23 décembre, qu’elle qualifie de « provocation ». « On concerte beaucoup, on reçoit les partenaires sociaux. On envoie des messages rassurants, et dans le même temps, on fait des bras d’honneur. Le message passé est clair : il n’y a absolument aucune confiance », réagit avec colère la sénatrice des Landes.

« Une idée foutraque », selon un parlementaire de la majorité présidentielle

Y compris dans les rangs de la majorité présidentielle, l’alinéa controversé du décret rencontre des détracteurs. « C’est une idée foutraque. C’est absurde, on ne fait pas ça juste avant Noël avant le débat sur les retraites. C’est un sujet qui vient polluer le paysage », se lamente ce mercredi un membre bien connu du groupe Renaissance.

À l’issue du premier Conseil des ministres de l’année, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran tente de déminer le sujet, en soulignant que la décision d’Élisabeth Borne était « pragmatique ». « Il se trouve que le décret n’est valable qu’un an, et que, même si nous sommes déterminés à retrouver la France du plein-emploi, le chômage est encore aux alentours de 7 % et il ne va pas baisser à 6 % d’ici un an. En réalité, inscrire dans un décret quelque chose qui ne se produira pas n’étant pas complètement indispensable, nous avons préféré retirer cette partie du décret », explique-t-il devant la presse.

Inquiétude des sénateurs sur le respect du paritarisme

L’ambition du gouvernement n’est toutefois pas éteinte pour autant, une prochaine négociation devant s’ouvrir prochainement. « Nous remettrons ce sujet dans la concertation sur les futures règles de l’assurance chômage », a précisé Élisabeth Borne hier. Fin 2023, lorsque les partenaires sociaux reprendront la main sur la définition des modalités de l’assurance chômage, le sujet sera évoqué à nouveau. Le principe de la modulation en fonction de la conjoncture figure, rappelons-le, dans la loi.

Pour les sénateurs de la majorité sénatoriale, ayant eu à cœur d’insister sur l’importance du respect du paritarisme (autrement dit la gestion par les partenaires sociaux) sur l’assurance chômage, il convient de corriger rapidement le tir. « Il y a une urgence, c’est de rétablir la confiance entre le gouvernement et les corps intermédiaires. Sans ça, le gouvernement finira par avancer des projets et toujours les retirer », met en garde Olivier Henno.

Convaincue qu’une partie des députés Renaissance regarde avec défiance les partenaires sociaux, la sénatrice Frédérique Puissat estime que cet épisode augure mal le contexte dans lequel se dérouleront les discussions sur la réforme des retraites. « Nous considérons qu’une bonne réforme sociale, qui prend peut-être un peu plus de temps est bonne dès lors qu’elle a trouvé un terrain d’entente […] Ce décret est le premier rendez-vous d’un semblant de concertation avec les partenaires sociaux. Il est révélateur du fait qu’ils ont tenté. C’est exactement ce qu’on va rencontrer avec le régime des retraites. »

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