Autonomie des départements : les sénateurs en demandent plus au gouvernement

Autonomie des départements : les sénateurs en demandent plus au gouvernement

Lors de l’examen du projet de loi de décentralisation dit « 3DS », les sénateurs ont accordé une plus forte autonomie juridique et financière aux départements. Et pour une fois, cela s’est fait frontalement contre l’avis de Jacqueline Gourault, d’habitude beaucoup plus accommodante avec ses anciens collègues de la chambre haute.
Louis Mollier-Sabet

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« Madame Gourault est une ancienne sénatrice, elle est très ouverte aux propositions du Sénat » nous confiait hier Alain Milon à propos de la gouvernance des ARS. Au regard des débats de ce matin, la main tendue du sénateur du Vaucluse ne semble plus autant d’actualité. En effet, si le gouvernement n’a pas toujours suivi le Sénat lors de l’examen de ce projet de loi, Jacqueline Gourault a toujours semblé ouverte à la négociation pour trouver un point d’équilibre entre les positions initiales de la majorité sénatoriale et du gouvernement. Pourtant, au moment de revenir sur les mesures de « déconcentration » du projet de loi, la ministre de la Cohésion des territoires s’est frontalement opposée aux ajouts de la majorité sénatoriale.

Qu’est-ce que la déconcentration ?

La déconcentration, c’est un type d’administration qui renforce la présence et l’implantation territoriale de l’Etat. En clair, contrairement à la décentralisation qui est une délégation de compétences de l’Etat vers des collectivités territoriales, la déconcentration est un renforcement des administrations de l’Etat, mais à un niveau territorial plus fin. L’exemple typique reste la préfecture, administration centrale s’il en est (le préfet est nommé par le président de la République) mais qui fonctionne à l’échelle d’un département.

C’est d’ailleurs précisément à l’échelon départemental et aux préfets de départements que les sénateurs se sont intéressés. Ils ont rajouté au projet de loi la possibilité pour le préfet d’autoriser les collectivités à déroger aux règlements pris par l’Etat quand cela concerne leur domaine de compétence. Si l’Etat publie un décret sur la gestion des foyers d’enfants placés par exemple, le préfet pourrait autoriser un département à y déroger en justifiant cette dérogation par une situation locale particulière.

« La déconcentration est un peu la vache maigre de ce texte »

Cette disposition ne rencontre déjà pas l’adhésion de toutes et tous au sein de la chambre haute, en témoigne la réaction de la sénatrice communiste Céline Brulin : « Cette disposition altère le rapport à la légalité par une neutralisation de la volonté du législateur, sous couvert d’adaptation locale et de différenciation. » La sénatrice de Seine-Maritime y voit aussi un risque de « mise en concurrence » des pouvoirs nationaux et locaux et met en garde contre une « prépondérance » du pouvoir préfectoral au niveau local : « On a beaucoup parlé du couple maire-préfet, mais il y a parfois eu un membre du couple un peu plus prépondérant que l’autre. » Jacqueline Gourault y est elle aussi opposée, mais met en avant des raisons plus juridiques d’inconstitutionnalité.

Mathieu Darnaud, rapporteur LR du projet de loi, tente de convaincre la ministre de la nécessité des apports du Sénat sur ce volet : « La déconcentration est un peu la vache maigre de ce texte. […] Nous ne cherchons pas à imposer une forme de tutelle, ni même à mettre en cause l’autonomie d’administration des collectivités. […] S’il y a des imperfections et des risques d’inconstitutionnalité dans ce que nous proposons, faisons œuvre commune pour les corriger afin de parvenir à ce pouvoir utile de dérogation des préfets. »

René-Paul Savary tente, lui, de convaincre la ministre du bien-fondé de la mesure par l’exemple de la prise de décision pendant la crise sanitaire, qui aurait montré selon lui la nécessité de laisser de « l’initiative » aux services déconcentrés de l’Etat comme les préfets : « Prenons l’implantation des centres de vaccination : toutes les semaines, on est en contact avec le préfet, l’ARS et on attend les consignes d’en haut. Or, nous dans la Marne, on savait que les grands vaccinodromes ne marcheraient pas, donc on a fait des cars. C’est ça la dérogation, c’est ça l’initiative. C’est là qu’on voit le rôle essentiel de préfet. »

Subventions de l’Etat aux investissements locaux : « Il ne faut pas toucher à ça, c’est l’intérêt général »

Après les marges de manœuvre légales des services déconcentrés de l’Etat, ce sont leurs marges de manœuvre financières qui ont fait débat. Les sénateurs ont en effet « favorisé l’attribution de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) au niveau départemental ». En clair, l’Etat donne aujourd’hui une enveloppe aux préfets de région, qui sont chargés de la distribuer selon des objectifs politiques donnés par l’Etat. Pour Jacqueline Gourault, la DSIL « finance des opérations qui s’inscrivent dans le cadre des priorités nationales ». La ministre explique que cette « enveloppe » se différencie d’autres dotations (comme la DETR) qui sont-elles réparties au niveau départemental dans une concertation entre les préfets et les élus locaux. EXTRAIT GOURAULT

En fait, les sénateurs veulent calquer la procédure de distribution de la DSIL sur le mode d’une véritable attribution négociée au niveau local comme cela se fait pour d’autres dotations de l’Etat. Mais la ministre n’en démord pas : « La, DSIL, elle est une enveloppe qui permet au gouvernement de mettre en place des politiques publiques. Il ne faut pas toucher à ça, c’est l’intérêt général. » La discussion peut paraître très technique, mais l’enjeu est de taille : qui est le mieux à même de conduire des politiques d’investissements ? L’Etat, porteur d’objectifs d’intérêt général, comme la transition énergétique par exemple, ou les collectivités plus proches du terrain et donc plus à même d’en satisfaire les besoins ?

« Ce n’est pas un caprice de sénateur »

Derrière les acronymes et le jargon de finances publiques, c’est un véritable débat philosophique et politique qui se joue, et la majorité sénatoriale et le gouvernement semblent être en profond désaccord : « Dans l’esprit, on ne veut pas une départementalisation, on veut une efficience de l’action de l’Etat. Votre discours n’est plus audible par les élus des territoires » explique par exemple Mathieu Darnaud. Le rapporteur du texte l’affirme, la disposition introduite par le Sénat est une nécessité pratique pour faire arriver les subventions dans les territoires : « L’argumentaire me conforte dans le sentiment que ce volet du texte pourrait être intitulé ‘quand la théorie rencontre la pratique’. […] Les préfets nous font tous remonter le fait qu’il y a saturation et que les dossiers DSIL sont bloqués en préfecture de région. On vous a communiqué les mails. A l’heure des plans de relance, les communes attendent de savoir si elles vont recevoir des subventions. »

Face à l’argument de la ministre faisant de ces subventions des moyens pour l’Etat de financer des investissements « structurants », Françoise Gatel s’inscrit, elle aussi, totalement en faux : « Ce n’est pas une question de caprice de sénateur, c’est une question d’efficacité. Il y a des territoires où ce qui est structurant, vu de Paris, peut paraître anodin. » Cécile Cukierman, sénatrice communiste, soutient pour une fois la position de la majorité sénatoriale : « On a eu ce même débat au moment de la suppression de la réserve parlementaire : qu’est-ce qui est structurant ? Quand on pouvait financer une lame de déneigement pour une commune du haut-Forez, c’était structurant. Aujourd’hui ces dossiers ne sont plus instruits. »

« Au bout de 25 minutes de débat, Madame la ministre, 0 voix »

Jacqueline Gourault : "La DSIL et la DETR 2021 ont été entièrement engagés."
02:33

Du côté du gouvernement, Jacqueline Gourault non plus ne cède pas d’un pouce. Les mesures de la majorité sénatoriale seraient d’autant moins justifiées que les fonds accordés au titre de la DSIL en 2021 auraient été « entièrement engagés ». L’Etat aurait donc tenu son rôle en dirigeant « l’immense capacité de financement des territoires ». La ministre ne cautionne définitivement pas l’approche des sénateurs : « La suite, je la connais. La suite ça va être que la DSIL, comme la DETR, passe par une commission d’élus départementaux pour suivre les priorités des départements. Je ne suis pas contre la décision des élus, simplement il y a des dotations avec des priorités différentes. » Un peu plus loin dans l’examen du texte, Jacqueline Gourault, visiblement agacée, revient même à la charge : « Peut-être devrais-je poser un amendement pour avoir la présence du préfet dans les commissions départementales qui décident des financements ? »

Et si la ministre n’a pas cédé dans le débat, elle s’est retrouvée bien seule au moment du vote. Roger Karoutchi, qui présidait la séance avec son flegme habituel, s’est même permis de lui faire remarquer : « Au bout de 25 minutes de débat, Madame la ministre, 0 voix. C’est très bien, ce n’est pas moi qui préside lundi et mardi. » Il reste en effet au Sénat plus de 150 amendements à examiner en seulement deux jours.

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