Autorités administratives indépendantes : le Sénat s’interroge à nouveau sur leur « multiplication »

Autorités administratives indépendantes : le Sénat s’interroge à nouveau sur leur « multiplication »

Les « AAI », comme on les appelle, refont parler d’elles au Sénat. Gérard Larcher s’interroge sur leur « multiplication » et un sénateur de la majorité veut lutter contre le « recasage » d’anciens parlementaires ou ministres dans ces instances.
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Phrase remarquée dans un discours, proposition de loi : le débat sur les autorités administratives indépendantes (AAI) resurgit au Sénat. Mardi soir, lors de ses vœux aux sénateurs, Gérard Larcher a abordé dans son discours la situation de ces instances qui ne sont pas sous la responsabilité du gouvernement (revoir notre vidéo explicative). Pour le président du Sénat, c’est une manière de dire que le grand débat national – dont les contours ont été fixés par le président de la République – ne doit esquiver aucun acteur dans la réflexion institutionnelle. Sur ce chapitre, Emmanuel Macron avait abordé dans sa lettre des aspects limités aux parlementaires, aux élus locaux ou encore à l’association des citoyens dans la prise des décisions. La mention du Sénat, et de son éventuelle transformation, avait été accueillie avec hostilité au palais du Luxembourg.

C’est dans ce contexte que Gérard Larcher a eu un mot pour les AAI. « Puisque nous allons cette année débattre de la Constitution et des institutions, il faudra aussi nous poser la question de la multiplication des autorités indépendantes, qualifiées de tel parce que non issues de l’élection. À méditer. »

Vœux de Gérard Larcher: « Il faudra nous poser la question de la multiplication des autorités indépendantes »
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Vœux de Gérard Larcher: « Il faudra nous poser la question de la multiplication des autorités indépendantes »

En rappelant la légitimité des parlementaires issue des urnes, le président du Sénat apporte une nouvelle contribution au débat institutionnel (en pause depuis l’été) dont les principales dispositions concernent le Parlement.

Une commission d’enquête au Sénat qui a débouché sur l’adoption d’une loi

Depuis la création de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) en 1978, dans laquelle le Sénat a joué un rôle important, le nombre d’AAI n’avait cessé de progresser, avant d’être stabilisé au cours de la décennie actuelle. Tout était parti du Sénat, là aussi. En 2015, une commission d’enquête (présidée par le sénateur RDSE Jacques Mézard) avait été chargée de faire le bilan, et surtout, l’inventaire de ces multiples AAI, qui étaient à l’époque au nombre de 42.

Leurs travaux et les conclusions du rapport intitulé « un État dans l’État, canaliser la prolifération des autorités administratives indépendantes pour mieux les contrôler » (relire notre article), ne sont pas restés sans suite. Les recommandations de la commission d’enquête ont été traduites dans une proposition de loi, qui a été adoptée définitivement par le Parlement début 2017. Le nombre d’AAI a été réduit à 26, le « socle dur » de ce qui existait précédemment. L’écrémage a toutefois été moins ambitieux que ce que préconisait la commission, à savoir une liste de 20 autorités, qui se limiterait à l’essentiel (Cnil, Autorité de la concurrence, Autorité des marchés financiers, etc.)

Si les AAI sont revenues dans l’œil du cyclone, c’est avant tout la conséquence de la polémique sur la rémunération de Chantal Jouanno, la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP). Cette AAI devait à l’origine piloter le grand débat national – logique, étant donné ses prérogatives – mais elle est finalement sortie du jeu, en raison du retrait de sa présidente, affaiblie par les critiques.

L'arrivée de Chantal Jouanno à la tête de la CNDP, « une nomination abusive », dénonce un sénateur LR

Le cas de l’ancienne ministre des Sports UMP (auparavant secrétaire d'État chargée de l'Écologie) a inspiré Henri Leroy. Le sénateur LR des Alpes-Maritimes a déposé cette semaine au Sénat une proposition de loi pour lutter contre ce qu’il nomme le « recasage » des anciens ministres et parlementaires à la tête de ces autorités. Concrètement, son texte prévoit d’interdire à ces derniers d’être nommés au sein d’une AAI au cours des cinq années qui suivent la fin de leurs fonctions.

« C’est un délai nécessaire pour qu’il n’y ait pas de quiproquo », explique à Public Sénat l’auteur de la proposition, Henri Leroy, qui explique répondre à l’indignation d’une partie de la population. « Je ne fais que démontrer, par cette proposition, que les élus comprennent parfaitement que certains citoyens s’agacent que quelqu'un soit nommé parce qu’il a été ministre. »

L’ancien maire de Mandelieu-la-Napoule considère que l’arrivée de Chantal Jouanno à la tête de la CNDP en mai 2018 est une « nomination abusive ». « Elle n’a aucune expérience dans ce domaine […] Elle est uniquement là par reconnaissance et par remerciement. » Il l’accuse d’avoir soutenu Emmanuel Macron « dès la première minute ».

Le sénateur revendique le soutien de plusieurs de ses collègues. Il annonce que sa proposition de loi sera cosignée par une vingtaine de ses collègues.

Mais un autre membre de la Haute assemblée se montre très réservé sur la tonalité du texte. « C’est une proposition ridicule », réagit-il auprès de Public Sénat. Fin connaisseur des mécanismes parlementaires, il parie que cette proposition de loi ne sera pas inscrite à l’agenda. « Ça ne risque pas d’aboutir. »

« Au nom de quoi interdire un parlementaire de siéger ? On ne peut pas souhaiter que le Parlement soit écouté et puis les retirer [des collèges des AAI] », s’offusque-t-il.

Les AAI « ont sans doute contribué à l’affaiblissement du Parlement », s’interroge Gérard Larcher

Au cours de ses vœux, Gérard Larcher a d’ailleurs évoqué l’un des effets négatifs de la « multiplication » de ces autorités administratives indépendantes. « Elles ont sans doute contribué à l’affaiblissement du Parlement, et d’une manière générale, à l’affaiblissement de l’autorité politique », a signalé le sénateur des Yvelines.

Si les présidents des assemblées parlementaires jouent un rôle dans la composition des collèges des AAI, la proposition d’un nom pour des présidents de ces autorités relève, elle, de l’Élysée. Ce n’est pas la seule réserve. Ovni institutionnel et juridique, l’autorité administrative est par définition détachée du gouvernement et de l’administration, sur lesquelles s’exerce le contrôle du Parlement.

Pour autant, la loi de 2017 ne s’est pas contentée de raréfier le statut d’AAI. Elle a aussi étendu le contrôle démocratique sur ces instances. La publicité de leurs activités et décisions a été renforcée.

Les AAI doivent rendre compte chaque année de leur activité, à la demande des commissions permanentes du Sénat et de l’Assemblée nationale. Un rapport est aussi remis au Parlement et au gouvernement. Bercy doit aussi présenter tous les ans, en annexe des projets de loi de finance (PLF) un rapport sur le budget de ces différentes autorités (voir le lien pour l’année 2019). C’est ce qu’on appelle, dans le jargon, un « jaune » budgétaire.

Notons enfin que la nomination du président d’une AAI par le président de la République doit s’exercer après l’avis des commissions parlementaires compétences (les trois quarts des AAI sont concernées par cette procédure).

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