Autoroutes : la Cour des comptes pointe « la faiblesse » de l’Etat face aux sociétés concessionnaires

Autoroutes : la Cour des comptes pointe « la faiblesse » de l’Etat face aux sociétés concessionnaires

Les pouvoirs publics « en position de faiblesse » face aux sociétés concessionnaires d’autoroutes, c’est ce qu’a relevé la Cour des comptes dans un référé publié jeudi. Les magistrats de la rue Cambon dénoncent les accords de concession passés entre l’État et le privé en échange de la réalisation de certains travaux.
Public Sénat

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

C’est un référé qui pourrait donner du grain à moudre aux opposants à la privatisation groupe Aéroports de Paris. En effet, dans un référé long de cinq pages, Didier Migaud, président de la Cour des Comptes, dénonce les accords passés à trois reprises ces dix dernières années entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA).

L’État « faible » face au privé

« L’État a accepté à la demande des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA), qu’elles réalisent, moyennant compensation, des travaux qui n’étaient pas explicitement prévus dans la convention de concession. Que le financement soit assuré par l’usager actuel ou futur, ces plans d’investissement sont l’objet de négociations difficiles, dans lesquelles les pouvoirs publics sont souvent apparus en position de faiblesse » note-t-il.

Régulièrement brocardée pour ses conditions jugées pour le moins déséquilibrées, la cession par l’État en 2006 des exploitations des autoroutes aux groupes de BTP comme Eiffage (APRR, AREA), Albertis (Sanef, SAPN) et Vinci (ASF, Escota, Cofiroute) revient donc au cœur de l’actualité.

Car la Cour des comptes pose trois recommandations pour éviter les « surcompensations » comme la désignation d’un « organisme expert indépendant » chargé d’encadrer les « compensations accordées aux sociétés concessionnaires d’autoroutes pour l’exécution de travaux non prévus par leur convention de concession ».

Pour mémoire, en 2010, 2015 et 2016, l’État et les sociétés concessionnaires ont convenu un programme de travaux autoroutiers non prévus dans le cahier des charges des contrats de concessions. En septembre 2016, le ministre des Transports de l’époque, Alain Vidalies, annonçait le lancement d’un plan de travaux autoroutiers d’1 milliard d’euros. « 30 opérations routières » comprenant la création d’échangeurs, d’aires de covoiturage, d’écoponts, ou de murs antibruit financés à la fois par les collectivités mais aussi par les usagers, via une augmentation du prix des péages. Un an plus tôt, des accords approuvés par 2 décrets du 23 août 2015 signés de la main de Ségolène Royal entérinaient une hausse de 1,12% sur l’ensemble du réseau autoroutier français : le résultat de « la compensation de la hausse de la redevance domaniale », soit le loyer versé par les entreprises concessionnaires d’autoroutes à l’État pour l’occupation du domaine public. Le gouvernement socialiste entérinait ainsi un plan de relance autoroutier de 3,2 milliards d'euros, en échange d'un allongement moyen de deux ans de la durée des concessions actuelles (voir nos articles ici et ici)

15 milliards de bénéfices pour les sociétés concessionnaires

Pourtant, dès septembre 2014, un rapport de l’autorité de la concurrence pointait du doigt la « rentabilité nette exceptionnelle » des sociétés concessionnaires qui « n'apparaît justifiée ni par leurs coûts ni par les risques auxquels elles sont exposées ».

La Cour des comptes ne dit pas autre chose, cette semaine. Selon ses calculs, les sociétés concessionnaires devraient tirer quelque 15 milliards d’euros de prolongation de leur concession qui leur a été accordée en 2015. Un bénéfice plus que confortable compte tenu des 3,2 milliards de travaux à réaliser.

Le Sénat rejette une proposition de loi visant à renationaliser les autoroutes

Un mois avant les nouvelles hausses des tarifs des péages (entre 1,8% et 1,9%) du 1er février 2019, la ministre des Transports, Élisabeth Borne, avait exclu toute renationalisation des autoroutes. « C'est 50 milliards d'euros (…) Vous imaginez qu'on ne les a pas » avait-elle argué sur Europe 1. Le 7 mars dernier, le Sénat a rejeté une proposition de loi  du groupe Communiste Républicain Citoyen et Ecologiste au Sénat (CRCE), visant à renationaliser les autoroutes. Pour Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice membre du CRCE, le référé de la Cour des comptes « montre le bien-fondé de la revendication de la renationalisation. Ce qu’elle préconise vise à limiter la casse dans le cadre des contrats existants, de façon à indemniser le moins possible les sociétés si jamais l’État venait à reprendre la main » estime-t-elle.

Le sujet de la concession des autoroutes et son corollaire, l’augmentation des tarifs des péages, est plus sensible que jamais alors qu’est censé s’amorcer l’acte 2 du quinquennat. Ces derniers mois, les gilets jaunes ont régulièrement bloqué les péages autoroutiers pour protester contre cette hausse.

Dans la même thématique

Brussels Special European Council – Renew Europe
10min

Politique

Européennes 2024 : avec son discours de la Sorbonne 2, Emmanuel Macron « entre en campagne », à la rescousse de la liste Hayer

Emmanuel Macron tient jeudi à la Sorbonne un discours sur l’Europe. Si c’est le chef de l’Etat qui s’exprime officiellement pour « donner une vision », il s’agit aussi de pousser son camp, alors que la liste de la majorité patine dans les sondages. Mais il n’y a « pas un chevalier blanc qui va porter la campagne. Ce n’est pas Valérie Hayer toute seule et ce ne sera même pas Emmanuel Macron tout seul », prévient la porte-parole de la liste, Nathalie Loiseau, qui défend l’idée d’« un collectif ».

Le

Jordan Bardella visite Poste-Frontiere de Menton
5min

Politique

Elections européennes : la tentation des seniors pour le vote RN, symbole de « l’épanouissement du processus de normalisation » du parti, selon Pascal Perrineau

Alors que la liste menée par Jordan Bardella (31.5%) devance de plus de 14 points la liste Renaissance, menée par Valérie Hayer (17%), selon le dernier sondage IFOP-Fiducial pour LCI, le Figaro et Sud-Radio, le parti de Marine Le Pen, mise désormais sur l’électorat âgé, traditionnellement très mobilisé pour les élections intermédiaires. Désormais deuxième force politique chez les plus de 65 ans (le RN conquiert 24% de cet électorat, 7 points de moins que Renaissance), la stratégie semble porter ses fruits. Décryptage avec le politologue Pascal Perrineau, professeur émérite à Sciences Po Paris et récent auteur de l’ouvrage Le Goût de la politique : Un observateur passionné de la Ve République, aux éditions Odile Jacob.

Le

Mairie de Paris, Jeux Olympiques 2024
4min

Politique

JO 2024 : les agents de sécurité privée vont-ils faire défaut ?

A trois mois des Jeux Olympiques, des incertitudes planent sur le nombre d’agents de sécurité privée mobilisés. Le préfet de police de Paris, Laurent Nunez indique « ne pas être inquiet pour l’instant ». Du côté des professionnels du secteur, on évalue un manque de 8 000 agents sur 40 000 nécessaires.

Le