Bien-être animal : « L’élevage industriel se multiplie et asphyxie les filières locales », estime Esther Benbassa

Bien-être animal : « L’élevage industriel se multiplie et asphyxie les filières locales », estime Esther Benbassa

La sénatrice écologiste de Paris est à l’origine d’une proposition de loi transpartisane, visant à améliorer les conditions d’élevage. Le texte devrait être étudié par le Sénat le 26 mai prochain.
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Par Jules Fresard

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Une caméra s’enfonce lentement dans la pénombre d’un bâtiment, révélant sur son passage des étagères où s’entassent des poules. Des images de cadavres du volatile sont furtivement montrées à l’écran, comme si la musique de film d’horreur ne suffisait pas à souligner l’ambiance morbide de l’enclos. Cette vidéo a été postée mercredi 21 avril sur la chaîne YouTube déjà fournie de l’association de défense des animaux L214. Et cette fois-ci, c’est l’élevage dit « au sol », produisant des œufs de « catégorie 2 », qui est pointé du doigt. Car si sur les emballages les poules sont présentées disposées sur un lit de paille, la réalité semble ne pas correspondre à la communication, du moins pour l’enclos visité par L214.

Cette séquence constitue pour les défenseurs des animaux une nouvelle preuve s’il en fallait, des limites et questions éthiques que pose l’élevage intensif en France. Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris, juge que les avancées en la matière dans l’hexagone sont d’ailleurs trop lentes. « La condition animale n’avance pas énormément. En 2015, il y a eu la reconnaissance de la personnalité juridique de l’animal, auparavant considéré comme un bien mobile. Mais aujourd’hui, on voit encore dans le Morbihan des fermes usines avec 120 000 poulets ». En France, chaque année, sur un milliard d’animaux abattus, 80 % proviennent d’élevage industriel.

Une proposition de loi étudiée lors de la niche parlementaire écologiste

Face à ce constat, la sénatrice écologiste a déposé le 13 avril une proposition de loi, « pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal ». Elle sera étudiée le 26 mai prochain, lors de la niche parlementaire écologiste, même si elle a recueilli le soutien des différents groupes politiques présents au Palais du Luxembourg. Au total, 32 sénateurs soutiennent l’initiative.  « Ce texte a été signé par les 6 groupes du Sénat, ça n’arrive pas souvent, allant de LR jusqu’aux socialistes, avec des centristes, des RDSE… », se réjouit Esther Benbassa. « Cette proposition de loi nous semble être un objectif très intéressant, car il y a des attentes très fortes au sujet de l’élevage, notamment dans la société », estime Agathe Gignoux, chargée d’affaires publiques au sein de l’ONG CIWF, qui milite pour un « élevage durable ».

L’objectif premier de la proposition tend à améliorer les conditions d’élevage des animaux, en appelant à des améliorations de manière progressive. Si la proposition de loi est promulguée, dès 2025, des dispositifs d’accès au plein air pour les animaux ainsi qu’un seuil maximal de densité seront demandés aux éleveurs. Ceux ne respectant pas ces conditions pourront se voir obliger de fermer leurs portes, d’ici 2040. Le second article entend lui limiter le temps de transports des animaux sur le territoire national, à huit heures au maximum. « Tout en prenant en compte les embouteillages, les pannes », précise Esther Benbassa.

Agathe Gignoux regrette cependant que la question des animaux en cages n’ait pas été introduite dans la proposition de loi. « Ils nous semblent que la France est en retard sur ce sujet. Elle est dans le peloton de queue européen, avec 47 % des poules en cage, alors qu’il y a un consensus contre ce type d’élevage, de la part des consommateurs, des producteurs, des distributeurs… » estime-t-elle. La construction de nouveaux bâtiments destinés aux poules pondeuses en cage a bel et bien été interdite par la loi EGALIM de 2018, mais la question se pose toujours pour les bâtiments antérieurs au texte.

Enfin, le broyage des poussins mâles, une pratique très souvent pointée du doigt comme cruel par les associations de défense des animaux, est appelé à disparaître. Cette disposition se trouve à l’article trois, « qui vise à interdire le broyage des poussins mâles et des canetons femelles vivants, à partir de 2023, afin que soient déployées les techniques alternatives existantes, notamment le sexage des œufs ».

Un accompagnement des paysans

Face à ces changements majeurs auxquels les éleveurs pourraient, dans un futur proche, devoir se plier, le projet de loi entend accompagner ces derniers, en créant « un fonds de soutien à la transition, afin d’accompagner les acteurs économiques, au premier rang duquel les éleveurs, afin de transformer leurs activités », détaille Esther Benbassa.

Cet accompagnement est d’autant plus nécessaire que la sénatrice écologiste et son groupe entendent réformer en profondeur la manière dont sont élevés les animaux destinés à la consommation. « Notre programme n’est pas de faire augmenter le prix de la viande ou du poulet, mais il est d’accompagner progressivement les agriculteurs, pour qu’ils puissent passer à un élevage plus éthique, plus humain », se défend Esther Benbassa.

Un point soutenu par l’ONG CIWF. « C’est indispensable d’accompagner les filières. Aujourd’hui ce qui est irresponsable, c’est de dire c’est important le bien-être animal, mais de ne mettre aucun moyen, on laisse à l’abandon les filières d’élevage ».

En toile de fond, l’objectif annoncé est d’arriver à réformer le modèle existant, pour déboucher sur ce que les écologistes appellent de leurs mots une « agriculture paysanne, soucieuse du bien-être de l’animal et des paysans ».

Une réforme aux implications plus larges

Car pour Esther Benbassa, la survie du système agricole français passe par une prise en compte plus large des enjeux éthiques et environnementaux. « L’élevage industriel asphyxie les filières locales. En 30 ans, le nombre d’éleveurs de volailles a baissé de 37 %, et le nombre d’éleveurs de vaches laitières a lui diminué de 70 % ».

Et en favorisant des circuits courts et l’abattage de proximité, le souhait annoncé est de réduire les émissions de Co2. Une proposition de loi qui va donc bien au-delà des enjeux propres aux animaux.

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