Bruno Le Maire : « Relancer l’économie sera long, difficile et coûteux »

Bruno Le Maire : « Relancer l’économie sera long, difficile et coûteux »

Les sénateurs examinent le second budget rectificatif en un mois. Il renforce les mesures d’aides à une économie en pleine crise, que la chute des cours du baril affaiblit davantage. « L’effondrement des prix du pétrole est un danger pour l’économie mondiale » prévient le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire.
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Récession de - 8 %, déficit de 9,1 %, dette de 115 %... Les chiffres de l’économie française donnent le tournis. « Vertigineux » même, selon le rapporteur du budget au Sénat, Albéric de Montgolfier. C’est pour tenir compte de cette crise économique sans précédent depuis 1945, que le gouvernement a présenté un nouveau projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020. Adopté par les députés le week-end dernier, les sénateurs l’examinent à leur tour ce mardi 21 avril. Il s’agit du deuxième collectif budgétaire depuis la crise du Covid-19, mais sûrement pas le dernier. Un troisième PLFR est déjà dans les cartons du gouvernement, tant la situation est inédite et évolutive.

L’Etat va monter au capital d’Air France « dans les prochains jours »

Ce second PLFR prolonge et amplifie toutes les mesures d’urgence déjà prise pour les entreprises. Au total, on passe de 45 à 110 milliards d’euros. De l’argent Canadair pour tenter de stopper l’incendie et permettre à la machine de repartir, après le choc. « Nous avons voulu apporter une réponse rapide, forte, immédiate, avec un choix très simple : de la dette plutôt que des faillites. De la dette plutôt que la disparition de décennies d’efforts » a lancé le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, devant un hémicycle encore en bonne partie vide, pour cause de respect des règles sanitaires. Le locataire de Bercy a reconnu que le fonds de solidarité, maintenant doté de 7 milliards d’euros, excluait jusqu’ici « trop de populations », « comme les professions libérales ». Il est donc élargi.

20 milliards d’euros de plus sont aussi mis sur la table pour permettre à l’Etat de monter au capital des grandes entreprises en difficulté. « Beaucoup pensent à Air France », dit Bruno Le Maire, « l’Etat lui apportera son soutien. (…) Nous le ferons dans les prochains jours ».

Dans ce contexte de crise, le recul historique du baril de pétrole complique encore la donne. « Il n’y a que des risques » dans cette baisse des cours, « un risque d’effet domino sur les marchés ». Bruno Le Maire insiste : « L’effondrement des prix du pétrole est un danger pour l’économie mondiale ». Regardez :

« L’effondrement des prix du pétrole est un danger pour l’économie mondiale » prévient le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire.
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Bruno Le Maire : « Il faut que les Français retrouvent le goût de la consommation »

Après l’urgence, le ministre de l’Economie pense évident à la suite : « Relancer l’activité économique ». Bruno Le Maire décline cette relance à venir en quatre axes : « L’investissement », « soutenir la demande » pour « que les Français retrouvent le goût de la consommation », selon des « moyens » et « instruments » à définir, coordination européenne et soutien « aux secteurs les plus touchés : tourisme, restauration, industrie automobile, Airbus, le transport aérien. (…) Ces secteurs auront besoin d’un accompagnement spécifique, ciblé, plus important et plus efficace ». Mais le ministre ne précise pas si cet accompagnement sera écologique, au grand dam de certains, comme le député Matthieu Orphelin, proche de Nicolas Hulot, qui souhaite des mesures contraignantes et propose un plan pour l’après, à l’aune de l’urgence écologique (voir notre article).

Mais toute relance, ou plutôt son efficacité, est suspendue à la situation pandémique et la recherche d’un vaccin. Autant de sources d’incertitude. Et « consommateurs » comme « investisseurs n’aiment pas l’incertitude » rappelle ministre. De quoi ralentir le retour de la croissance. Et contrairement à ce que certains semblent avoir compris, Bruno Le Maire assure que l’exécutif ne table pas « sur une reprise rapide ». Tout au contraire. « Relancer l’économie sera long, difficile et coûteux. C’est mon langage depuis le premier jour et c’est un langage de vérité » prévient Bruno Le Maire.

Les sénateurs veulent annuler les impôts et cotisations pour la culture et la restauration

C’est dans ces perspectives peu réjouissantes que la majorité sénatoriale aborde ce texte. Le Sénat ne le votera « pas conforme », comme l’a annoncé à publicsenat.fr Albéric de Montgolfier, rapporteur général (voir notre article). Il entend « améliorer » le projet de loi pour combler « les trous dans la raquette ». Il prévoit ainsi un crédit d’impôt pour les secteurs de la culture, de la restauration et du tourisme, qui revient à une annulation d’impôts et de charge, le temps de la crise. Annulation évoquée par Emmanuel Macron.

Mais Gerald Darmanin, le ministre des Comptes publics, qui planche sur le sujet, a quelque peu freiné l’empressement sénatorial. « Depuis que la protection sociale a été créée, personne n’a jamais annulé des charges par secteur », explique-t-il, « il faudra une mesure législative » pour le faire. Soit un nouveau texte, ou une mesure du prochain PLFR… « Nous avons un chemin de crête à trouver » pour que « cet édifice soit validé par le Conseil constitutionnel » précise Gérald Darmanin. Quid par exemple des « 40% de restaurateurs » qui ont déjà payé leurs cotisations, malgré la fermeture ?

Bruno Retailleau veut faire payer davantage les assurances

La majorité sénatoriale va défendre une série d’amendements, notamment pour faire contribuer davantage les compagnies d’assurance au fonds de solidarité. Le président du groupe LR, Bruno Retailleau, propose ainsi « une hausse progressive en 2020 et 2021 de la taxe sur les excédents de provisions des entreprises d’assurances ». « Selon les chiffres de la fédération française de l'assurance », la baisse des sinistres (accident de la route, cambriolage) permet d'économiser « entre 600 et 800 millions d'euros pour les seuls mois de mars et d'avril », « ce qui justifie d'affecter les recettes ainsi dégagées pour soutenir davantage les TPE et PME en grande difficulté » dit l’amendement. Propositions aussi en ce sens des socialistes et des communistes.

Le rapporteur général prévoit également de baisser la TVA sur les surblouses et les gants à 5,5 % et de porter le fonds de solidarité pour les entreprises de 7 milliards à 9 milliards d’euros, soit 2 milliards de plus.

Le PS et le PCF veulent le retour de l’ISF

L’ensemble des groupes n’y est pas allé de main morte sur les amendements pour un PLFR. On en compte 340 (lire ici pour plus de détails). Les socialistes défendent à nouveau le retour d’une forme d’ISF, tout comme les communistes, qui veulent faire contribuer davantage les hauts revenus.

Le socialiste Claude Raynal aimerait au moins voir un « mécanisme de taxation exceptionnel du capital ». Mais il reconnaît que le texte « gagne en crédit » après le premier PLFR. « Le groupe PS le votera. (…) Mais ce n’est en aucune façon un blanc-seing. Nous demandons au gouvernement d’améliorer sa copie » précise le sénateur PS.

Les « repères libéraux » ébranlés

Le sénateur PCF Eric Bocquet voit dans la situation une forme d’ironie de l’histoire. Les « repères libéraux » se trouvent ébranlés. Le Pacte de stabilité sur le déficit et la dette vole en éclat. Et « la doxa libérale » de l’indépendance des banques centrales pourrait venir à « s’effondrer », en les autorisant à financer les Etats et l’économie, comme l’a fait « la Banque centrale britannique ».

Pour le groupe RDSE, le sénateur Radical Jean-Marc Gabouty craint un « redémarrage un peu chaotique » de l’activité. Emmanuel Capus, du groupe Les Indépendants, insiste sur l’importance de « préserver le tissu de nos entreprises » et lance :

Sans entreprise, pas de reprise.

« La saison des PLFR ne fait que commencer »

Et déjà, on pense au remboursement du déficit. Mais le sénateur LREM Julien Bargeton met en garde sur ce point : « L’histoire récente nous a montré aussi que lorsqu’on veut rétablir rapidement les comptes, ça pénalise le retour de la croissance ».

Pour le groupe Union centriste, la sénatrice Sylvie Vermeillet souligne la nécessité de subordonner le soutien aux entreprises « au respect d’objectifs environnementaux », tout en plaidant pour une annulation des cotisations pour toutes les entreprises en difficulté. Mais il faudra encore d’autres mesures. « La saison des PLFR ne fait que commencer avec cet épisode 2 » lance la sénatrice centriste. L’épisode 3 sera vite produit.

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