Bruno Retailleau : « Tests, masques, le gouvernement a enchaîné les fiascos »

Bruno Retailleau : « Tests, masques, le gouvernement a enchaîné les fiascos »

Bruno Retailleau, le président du groupe Les Républicains au Sénat, explique les positions de la majorité sénatoriale sur la prolongation de l’état d’urgence sanitaire ou les nécessaires garanties sur le traçage numérique. Pour lui, le gouvernement a enchaîné les fiascos dans la gestion de cette crise et considère que l’État se défausse aujourd’hui sur d’autres acteurs avec les modalités de ce déconfinement annoncé. Il répond aux questions d’Oriane Mancini.
Public Sénat

Par Oriane Mancini

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La prolongation de l’état d’urgence sanitaire :

«Nous avons toujours eu la même ligne à savoir de l’exigence et de la bienveillance. En clair, on veut donner les moyens au gouvernement de lutter contre cette terrible pandémie mais avec une nécessaire exigence démocratique. Je pense que si le gouvernement respecte le travail du Sénat et que nous avons une écoute attentive des députés, un compromis est possible. Les Français attendent de nous, non pas une union nationale mais une forme de responsabilité commune pour lutter contre le virus.»

L’article 6 :

«L’article 6 va permettre de tracer les gens qui auraient pu être contaminés. Depuis le début, le gouvernement a eu une stratégie uniquement passive qui consiste à mettre la France sous cloche. Il aurait fallu que l’on puisse dans le même temps, généraliser le port du masque, dépister et surtout tracer et isoler les gens contaminés.

On ne lutte contre une épidémie qu’en cassant les chaînes de contamination et pour cela il faut être capable de repérer toute la chaîne de contamination. Cet article 6 va permettre au gouvernement avec les brigades de surveillance épidémiologiques de voir toute la chaîne de contact.»

Les garanties apportées par le Sénat :

« Nous avons essayé de garantir les libertés publiques. C’est le rôle du Sénat. On doit constituer une base de données qui va nous permettre de casser ces chaînes de contaminations. Donc il y a une question de liberté publique et évidemment un enjeu de santé publique. La garantie la plus importante est d’exclure que le gouvernement puisse régler ce problème par ordonnances. On veut également un organisme de contrôle indépendant du gouvernement. Cette question est trop grave. Nous avons posé un certain nombre de garanties et j’espère vraiment que l’Assemblée en tiendra compte. Sinon, il n’y aura pas d’accord en commission mixte paritaire et ce serait un mauvais signal. »

Le traçage numérique :

« On peut tout à fait concevoir une application numérique pour aider au traçage mais j’ai dit au président de la République qu’il faut des garanties. Il faut qu’elle soit temporaire, anonymisée, sur la base du volontariat et un code source ouvert. Il faut également une instance de contrôle. Si ces conditions sont remplies, nous aurions bien tort de nous priver de ces nouveaux moyens qui permettent un système d’alerte.

Il y aura sans doute plus de 30 000 morts en France. Peut-on se priver de ces nouvelles technologies ? Évidemment, il faut faire très attention aux libertés publiques. Google et les GAFA ont des données que l’État français ne possède même pas. C’est aussi un enjeu d’indépendance et de souveraineté numérique. Ce sera compliqué parce que l’on sait que ces GAFA aimeraient s’introduire dans ces données par le biais des applications de type sanitaire. C’est à nous de limiter la société de surveillance. Il y avait eu le même type de débat au moment de l’état d’urgence pour lutter contre le terrorisme. N’abdiquons pas sur nos libertés. Je pense que l’on peut concilier ces garanties démocratiques en termes de liberté et en même temps la lutte pour éradiquer ce virus.»

La protection pénale des maires :

« Je ne comprends pas. Édouard Philippe avait indiqué qu’il revenait au Parlement de traiter cette question et 2 heures après ils font l’inverse. Ce couac illustre une gestion de crise chaotique depuis le départ et les Français s’en sont rendus compte Les Français sont les plus sceptiques vis-à-vis de leur gouvernement. Il y a une perte de confiance qui vient du fait qu’il y a eu une mauvaise gestion de la crise depuis le départ. Avec cette mesure, nous avons laissé les choses telles qu’elles sont aujourd’hui.

Un maire, un chef d’entreprise ou un directeur d’école qui commet une faute intentionnelle, il sera responsable et sanctionné. De même que s’ils ignorent un certain nombre de conditions de sécurité, ils seront sanctionnés. Que cherche notre amendement ? Lorsque l’État donne des injonctions comme le protocole sanitaire pour la réouverture des écoles, les maires n’y sont pour rien. Si demain un enfant tombe malade alors que le maire n’a fait qu’appliquer ces directives à la lettre, ce serait terrible qu’il soit déféré devant la justice. La vie ne reprendra ses droits que si la confiance revient. La confiance a été altérée par cette gestion chaotique de la crise. La confiance que ce soit pour la réouverture des écoles ou le retour au travail, ce n’est pas une question de milliards d’euros mais de règles claires. Personne ne doit être condamné s’il a accompli les bons gestes et pris les bonnes décisions en matière sanitaire. Nous avons voulu rappeler que l’on doit recréer un climat de confiance.» 

La réouverture des écoles :

« Je pense que l’on peut les ouvrir et notamment dans les départements verts. Dans les autres, il faut faire les choses avec bon sens. Il y a cependant 2 singularités françaises. En France, nous commençons par les petits et je pense qu’il aurait mieux valu commencer par les plus grands avec des masques et parce que les mesures barrières sont plus faciles à faire adopter. L’autre singularité, c’est le volontariat. Là aussi on voit qu’il y a une contradiction. Le président de la République a indiqué qu’il voulait faciliter le retour à l’école pour les enfants de familles modestes mais au contraire ce volontariat risque de décourager ces familles-là.»

Le rôle des élus locaux :

« Ce que je conteste c’est que les protocoles sanitaires élaborés par l’administration centrale font des dizaines et des dizaines de pages. Ça, ce sont des prétextes à la mise en cause de la responsabilité des maires. L’administration centrale ouvre grand le parapluie et dit aux maires : débrouillez-vous !

Comment voulez-vous que dans de vieilles écoles faire respecter certaines prescriptions édictées par Paris sans considération pour le terrain. C’est impossible. C’est la même chose dans les entreprises. Beaucoup de branches avaient discuté des règles de bonne conduite avec les syndicats et rédigées des guides sanitaires. Et dimanche, elles ont reçu du ministère du travail un nouveau protocole sanitaire. Cette façon de procéder d’un État hypercentralisé, très jacobin et parisien qui veut que l’on décide, l’on impose et l’on discute après, c’est le temps d’avant. On ne peut pas agir de cette façon-là. C’est une forme de défausse qu’a l’État sur d’autres acteurs que lui qu’ils soient maires, chefs d’entreprise ou directeurs d’école. »

L’accès aux masques :

« Bien sûr qu’il y a eu un mensonge de l’État sur la question des masques. J’ai failli perdre mon calme en séance quand Olivier Véran a dit qu’il n’y avait pas eu de problèmes concernant les masques. De qui se moque-t-on ? C’est ce comportement qui a entraîné cette défiance des Français. Il aurait simplement fallu dire que nous étions en pénurie et qu’il fallait s’organiser différemment. Sur les masques, il y a eu trop d’ordres et de contre-ordres. Nous avons enchaîné les fiascos.

La France est 4ème en termes de mortalité au niveau mondial et 52ème pour ce qui est du dépistage. Peut-on s’en satisfaire ? Si on a confiné aussi strictement, c’est parce que nous n’avions pas les moyens de faire autrement. Le confinement va avoir des conséquences économiques énormes mais aussi sanitaires parce que beaucoup de malades ne sont plus allés consulter par exemple. Les dégâts collatéraux du confinement sont incommensurables.»

La commission d’enquête :

« Il faut le temps de la créer. Elle va être portée par l’ensemble de notre institution. C’est le président du Sénat qui va déposer une résolution qui sera votée par l’ensemble des groupes en séance et c’est un beau signal. Que ce soit début ou mi-juin, peu m’importe. Le Sénat a déjà montré pendant l’affaire Benalla son indépendance vis-à-vis de l’exécutif. Il y a ici une vraie séparation des pouvoirs et cet équilibre démocratique est très important. Nous allons travailler sans esprit de règlement de comptes mais pour tirer toutes les leçons et que la France soit mieux préparée à l’avenir. »

La reprise des cultes au 29 mai :

« J’avais trouvé incroyable que les transports publics ou certains commerces soient ouverts et pas les lieux de cultes. Cela signifie que la liberté de produire ou de consommer est supérieure à la liberté des cultes. Je dis non, ce n’est pas plus dangereux de rentrer dans un lieu de culte que de circuler dans un métro. Tout ça exprime aussi une méconnaissance de cette aspiration d’une partie des Français au spirituel. Moi ce qui m’a beaucoup taraudé ce sont ces personnes qui sont mortes seules, sans rite funéraire. J’ai beaucoup de compassion pour ces familles endeuillées. »

L’après crise :

« Cette crise est énorme avec près de 2 millions de chômeurs voire plus. On va perdre énormément en richesse nationale. La dernière crise, nous avions mis 5 ans pour retrouver notre niveau de richesse. Là il faudra peut-être 10 ans, surtout si on ne prend pas les bonnes décisions. Je proposerai dans les jours qui viennent un plan de rebond.

On ne peut pas attendre septembre comme le dit Bruno Le Maire. Nous avons déjà eu un temps de retard sur la gestion de la crise sanitaire, il ne faut pas en avoir un sur le rebond économique. En matière culturelle, j’ai fait passer au Sénat cette règle qui permet aux collectivités de donner des subventions même lorsque les festivals ne se déroulaient pas. Il va falloir aussi que le gouvernement annule purement et simplement les dettes fiscales et sociales. Il vaut mieux annuler les impôts d’aujourd’hui et éviter des faillites généralisées. »

 

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