Budget des Sports : une hausse en trompe-l’oeil

Budget des Sports : une hausse en trompe-l’oeil

En proposant son budget pour le sport, la jeunesse et la vie associative, le gouvernement affichait fièrement une hausse de 12% par rapport à 2019. Ce budget a pourtant été froidement accueilli par les sénateurs, qui se sont largement abstenus lors du vote.
Louis Mollier-Sabet

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Ce matin le Sénat examinait, dans le cadre du projet de loi de finances 2020, les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » menée conjointement par le ministère des Sports et le ministère de l’Éducation nationale. Ce sont donc Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et Roxana Maracineanu qui défendaient ce budget d’environ 1,2 milliard d’euros, soit une hausse de 12% selon le rapporteur du budget de la mission. De quoi satisfaire des sénateurs qui attendaient des garanties à l’approche des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ? Au contraire.

Une « hausse en trompe-l’œil »

Les sénateurs ont d’emblée pointé les limites de la hausse budgétaire annoncée par le gouvernement : « Nous soutenons largement Paris 2024, mais ça ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt » fait remarquer Michel Savin, sénateur LR. Le sénateur de l’Isère n’est pas le seul à dénoncer l’ambiguïté d’une hausse budgétaire conjoncturelle, due aux crédits mobilisés pour la construction des infrastructures des Jeux Olympiques de Paris 2024. De l’autre côté de l’hémicycle, Céline Brulin, sénatrice communiste, dénonce « une augmentation en trompe-l’œil principalement destinée aux dépenses liées aux Jeux Olympiques. »

Force est de constater que si les crédits consacrés à l’organisation des Jeux de Paris 2024 doublent de 65 à 130 millions d’euros environ, le reste des dépenses consacrées au sport reste au niveau de 2019. Or cette stabilité est synonyme de « désengagement de l’État » pour Claude Kern, sénateur centriste, qui constate « une baisse de 11% des crédits consacrés au sport depuis 2015 ». Un constat partagé par Franck Ménonville, sénateur Les Indépendants, qui déplore « une baisse de plus de 10% en trois ans des crédits hors Jeux Olympiques ».

En rentrant dans le détail du budget on comprend ainsi un peu mieux comment, face à une hausse du budget consacré au sport de plus de 10%, Mireille Jouve (RDSE) peut déclarer que « le sport est le parent pauvre du budget de l’État ». Roxana Maracineanu a contesté ces chiffres et tenu à rassurer en évoquant une « courbe ascendante de l’effort de l’État pour le sport » ainsi qu’une « protection du budget en faveur du sport » avant de répondre aux sénateurs : « il n’y a pas du tout de baisse de 11% sur la période dont vous parlez. » Le problème de cette bataille de chiffres étant que, d’après les mots de Gabriel Attal , « la difficulté de cette discussion budgétaire est que l’effort est nécessairement interministériel ». Traduction : pour mesurer l’effort réel de l’État sur une question thématique, il faut additionner les budgets de chaque ministère consacrés à cette question. Cela avait déjà conduit à de profonds désaccords dans l’hémicycle hier à propos du budget consacré à l’écologie. Aujourd’hui c’est donc au sport d’être pris dans l’étau entre un effort budgétaire interministériel difficilement mesurable et les critiques des sénateurs.

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Les sénateurs appellent à un « rééquilibrage » entre sport professionnel et amateur

Au-delà de l’évolution globale de l’enveloppe consacrée au sport, les sénateurs ont attaqué la répartition des efforts budgétaires au sein du sport français. Didier Rambaud (LaREM) a affirmé, au nom de la majorité vouloir « soutenir les bénévoles du quotidien » et, selon la formule consacrée, « en même temps » organiser « la réussite du plus grand événement sportif planétaire [les Jeux Olympiques] ».

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Les sénateurs des autres groupes politiques ont été plus mesurés sur la réussite de ce numéro d’équilibriste si cher à la République en Marche. Céline Brulin, sénatrice communiste, y voit au contraire une opposition entre « un sport de masse à qui l’on demande de faire plus avec toujours moins » et « un sport professionnel où l’argent est de plus en plus abondant ».

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Si l’interprétation des sénateurs et sénatrices de la droite et du centre de l’hémicycle est (sans surprises) moins conflictuelle, on sent tout de même une réelle inquiétude poindre sur le financement du sport amateur et de la vie associative. « Le sport demeure le parent pauvre du budget de l’État, pourtant le financement du sport repose sur des ressources particulièrement dynamiques » constate Mireille Jouve. Les sénateurs déplorent que la taxe dite « Buffet » sur les droits de diffusion ou bien la taxe sur les paris sportifs alimentent actuellement le budget général de l’État et non la solidarité entre le sport professionnel et la vie associative.

Mireille Jouve : "Le sport demeure le parent pauvre du budget de l'Etat"
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Ils ont ainsi déposé un amendement ce week-end pour réorienter une partie des recettes produites par la taxe Buffet vers le sport amateur et associatif et ont enjoint les représentants du gouvernement présents de ne pas retoquer cette mesure dans la version finale du projet : « Nous voulons vous aider » a ainsi déclaré Pierre Ouzoulias, sénateur communiste à la ministre des Sports.

Une « remise en cause du modèle sportif français »

Malgré toutes ces critiques, le Sénat a adopté le budget de la jeunesse, des sports et de la vie associative, mais dans des circonstances un peu particulières, avec 24 voix pour et 16 contre. En effet seuls les sénateurs de la République en Marche ont voté pour l’adoption des crédits et seuls les sénateurs communistes ont voté contre, quand l’écrasante majorité de l’hémicycle s’est abstenue (les 300 sénateurs et sénatrices restantes).

Finalement, la majorité sénatoriale n’est pas en désaccord avec la majorité gouvernementale sur les dossiers importants de ce budget. Sur les Jeux Olympiques, les sénateurs qui se sont abstenus ne contestent aucunement l’organisation des Jeux, ils se demandent simplement d’où viendront les crédits dans les prochaines années. Ainsi, David Assouline (PS) « s’interroge sur la trajectoire budgétaire », rejoint dans ses doutes par Éric Jeansannetas (RDSE) : « Jusqu’à présent vous avez efficacement mobilisé des marges de manœuvre pour amortir l’effet de ces dépenses. Mais la commission des finances est formelle : cette stratégie ne pourra pas perdurer pour faire face aux 860 millions d’euros de financement attendus jusqu’en 2025. »

De même concernant les 30 millions d’euros consacrés à la généralisation du Service National Universel (SNU) à 20 000 volontaires dès l’année prochaine n’a été remis en cause que par un amendement communiste. Encore une fois les autres sénateurs émettent simplement des réserves sur son articulation avec le service civique et se demandent d’où viendront les financements qui rendront possible sa généralisation à une classe d’âge (entre 750 000 et 850 000 jeunes).

En fait, ce n’est pas tant l’équilibre budgétaire de l’exercice 2020 qui inquiète les sénateurs (d’où l’adoption des crédits), mais la politique sportive de la France à long terme : la création de l’Agence nationale du Sport, qui reprend des attributions du ministère avec un budget de 284 millions d’euros, ainsi que la « dilution du ministère des Sports au sein du ministère de l’Éducation nationale » (Mireille Jouve) font se demander à Céline Brulin : « Restera-t-il un ministère des Sports en 2024 ? » Au-delà des questions administratives, Jacques Grosperrin (LR) voit même dans les évolutions récentes « une remise en cause de notre modèle sportif français ». Voilà comment le Sénat peut à la fois adopter un budget des Sports en hausse et crier à la ruine du modèle sportif français.

 

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