Budget : le gouvernement s’est-il gardé « une poire pour la soif » ?

Budget : le gouvernement s’est-il gardé « une poire pour la soif » ?

Le budget rectificatif de fin d’année prévoit 4 milliards d’euros de recettes supplémentaires, venant de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés. Le président de la commission des finances, Claude Raynal, y voit des recettes volontairement « sous-estimées » pour créer une « poche de précaution ». Le ministre Gabriel Attal répond qu’il ne s’agit que de « prudence ».
François Vignal

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Ils ne se quittent plus. Après avoir examiné le projet de loi de programmation budgétaire 2023-2027 jusqu’au bout de la nuit, ou presque (00h45), les sénateurs ont eu le plaisir, certainement, de retrouver de nouveau ce matin le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, auditionné par la commission des finances. Il s’agissait cette fois du projet de loi de finances rectificative (PFLR) pour 2022, deuxième du nom, après « le paquet pouvoir d’achat » voté cet été.

Prolongation de la ristourne à la pompe et chèque énergie exceptionnel

Ce PLFR de fin de gestion est un « texte classique », a rappelé d’entrée le ministre de Bercy. A chaque fin d’année, les dépenses du budget de l’année en cours sont en effet ajustées. Mais ce collectif budgétaire – autre nom donné à un PLFR – n’est pas complètement anodin. Si on est loin des 44 milliards d’euros (dont 20 milliards pour le pouvoir d’achat) votés cet été, le texte comporte le chèque énergie exceptionnel annoncé par Elisabeth Borne, en septembre. Il concernera 12 millions de foyers, avec 200 euros pour les 20 % des foyers les plus modestes, et 100 euros pour les ménages au revenu fiscal de référence compris entre 10.800 euros et 17.400 euros.

Autres mesures : la prolongation de la remise carburant de 30 centimes jusqu’au 15 novembre, pour un coût de 440 millions d’euros, un fonds de 275 millions pour aider les universités, les centres de recherche et les Crous. 230 millions d’aide sont prévus pour les ménages se chauffant au fioul. Ce PLFR prévoit par ailleurs 200 millions d’euros supplémentaires pour les achats de carburant des armées, et pour les opérations extérieures. Au total, ce budget rectificatif prévoit 2,5 milliards d’euros d’aides exceptionnelles pour faire face à la hausse des prix de l’énergie.

CPF : Gabriel Attal s’étonne des « 8 millions d’euros pour des formations pour pratiquer des massages bien être »

D’autres dépenses, à hauteur de 5 milliards d’euros, sont aussi au programme. Celles-ci sont toutes compensées par des annulations de crédits, assure le ministre des Comptes publics. Le gouvernement prévoit notamment pas moins de 2 milliards d’euros pour France compétences, preuve du succès de l’apprentissage. Jean-François Husson, rapporteur LR du budget au Sénat, s’étonne néanmoins. Il pointe « un puits sans fond, un canard sans tête où on met régulièrement des sommes importantes. […] Là, c’est encore 2 milliards après les 2 milliards de cet été ». Gabriel Attal partage les questionnements du rapporteur et entend réaliser des « économies structurelles » sur France compétences.

Le ministre entend aussi passer au peigne fin les crédits liés au compte personnel de formation (CPF). « On a simplifié le droit à la formation, mais il faut éviter les abus et la fraude », prévient Gabriel Attal, qui affirme qu’« il y a des formations dont on se demande si elles doivent être financées sur le CPF ». Le ministre évoque, sans rire, les « 8 millions d’euros pour des formations pour pratiquer des massages bien être. C’est un détail, c’est 8 millions d’euros. Mais est-ce que ça a vocation à être financé par France compétence ? C’est important d’avoir des masseurs bien être dans notre pays, mais est-ce que ça doit être financé par le CPF ? » demande Gabriel Attal, qui pointe aussi les « 8 millions pour des formations en sophrologie ». Reste qu’après le marathon budgétaire et des heures au banc, un bon massage peut être utile.

L’exécutif prévoit aussi dans ce PLFR « 1,6 milliard d’euros pour la mission défense, pour financer le soutien militaire que nous apportons à l’Ukraine », précise le ministre. Enfin, 450 millions d’euros sont budgétés pour le versement d’aides aux agriculteurs, suite aux crises de 2022, comme le gel.

« Ce ne sont pas des accompagnateurs que vous avez, mais des emmerdeurs »

Côté annulation de crédit, on note une baisse de deux milliards d’euros des provisions pour les prêts garantis par l’Etat, ce qui signifie que le nombre d’entreprises en difficulté est moins important que le gouvernement ne l’imaginait. 500 millions sont économisés aussi sur les dépenses dites accidentelles.

Toujours au chapitre des crédits non consommés, Christian Bilhac, sénateur de l’Hérault, s’étonne de voir 298 millions d’euros en moins sur l’écologie. Le sénateur de l’Hérault a son explication : « Vous avez évoqué les accompagnateurs en matière de « Ma prime renov’ », et tous les travaux liés au climat. Si vous permettez Monsieur le ministre, je vais être un peu trivial. Ce ne sont pas des accompagnateurs que vous avez, mais des emmerdeurs. Je suis à mon troisième maçon qui abandonne la qualification RGE (reconnu garant de l’environnement) car ils n’en peuvent plus de la tatillonerie. […] Il y a beaucoup de professionnels et de particuliers qui abandonnent, face à la complexité du montage du dossier ». S’il ne reprend pas les mêmes termes, Gabriel Attal le « rejoint », « l’objectif est que ce soit plus simple ».

« Vos recettes sont peut-être un peu sous estimées, puis on les découvre au bon moment »

Encore mieux que l’équilibre des dépenses, hors les 2,5 milliards de mesures exceptionnelles liées à l’énergie, le gouvernement peut même se prévaloir d’un « solde budgétaire qui est en très légère amélioration, à 4,9 % pour 2022, soit 0,1 point de mieux » que prévu, souligne le ministre. Si le déficit s’améliore un peu, c’est « lié à la réévaluation des recettes, plus élevées que les dépenses nouvelles ». Ces « recettes supplémentaires viennent de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés. C’est un signe supplémentaire que notre économie résiste », s’enorgueillit Gabriel Attal. Les caisses de l’Etat profitent de 4 milliards d’euros de recettes supplémentaires (2 milliards de plus pour chaque impôt).

Une heureuse surprise qui étonne quelque peu Claude Raynal, président socialiste de la commission des finances. Il y voit un parallèle avec ce qui passe parfois dans les communes. « Ici, vous avez beaucoup de maires », à qui il arrive de voir que « le DGS (directeur général des services) a fait les poches », illustre le sénateur PS de la Haute-Garonne, qui développe sa théorie : « Sur les recettes (du budget), c’est la même impression avec vous. On sous-évalue au début. On vous le dit, et on n’est pas les seuls. Le Haut conseil des finances publiques dit que vos recettes sont peut-être un peu sous estimées. Puis on les découvre au bon moment. Ça ressemble fâcheusement à la théorie de la poche de précaution, non dite. Et en plus, c’est revendu avec un discours très positif, sur le thème « nos politiques réussissent ». C’est le top ! » ironise le président de la commission des finances, qui prie le ministre de lui dire « si c’est ça ou pas ». Autrement dit, le gouvernement prévoirait en conscience des recettes un peu moins bonnes que prévu, histoire de garder un peu de gras et se payer une bonne nouvelle, à peu de frais.

« On a quelques petits trésors cachés là »

Christian Bilhac, décidément en forme, en remet en couche… à sa manière. « Comme a souligné Claude Raynal, on se croirait un peu au conseil municipal quand on découvre les « poires pour la soif », comme appelait ça ma DGS. Effectivement, on a quelques petits trésors cachés là, qu’on découvre. […] Et à tout prendre, il vaut mieux avoir plus de recettes et moins de dépenses, que l’inverse », lance le sénateur du groupe RDSE. Regardez :

Dans sa réponse, Gabriel Attal se fait laconique, démentant toute erreur de calcul volontaire, même minime. « Non, on ne sous-évalue pas les recettes. On essaie de viser au plus juste », soutient le ministre des Comptes publics, qui ajoute qu’« objectivement, la prévision est difficile. Ça incite à une forme de prudence ». Le gouvernement, ce bon père de famille. Il reste néanmoins optimiste sur ses prévisions de croissance pour 2022, qu’il garde à 2,7 %, quand la Banque de France prévoit plutôt 2,6 % et le FMI 2,5 %. Finalement, on reprendrait bien une petite poire pour la route.

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