Budget : le Sénat soutient la baisse des impôts de production sans contrepartie

Budget : le Sénat soutient la baisse des impôts de production sans contrepartie

Les sénateurs ont adopté l’une des mesures de baisse des impôts de production, défendue par le gouvernement dans le budget. Ils comptent renforcer les compensations pour les collectivités. Les écologistes et la gauche ont défendu la conditionnalité de ces baisses d’impôts, qui s’élèvent au total à 20 milliards d’euros.
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C’est l’un des points phares du projet de loi de finances 2021 : la baisse de 20 milliards d’euros en deux ans des impôts de production pour les entreprises. Une mesure un peu technique qui passe notamment par la réduction de 50 % du taux de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sur la part affectée aux régions. Problème aux yeux des sénateurs, cette baisse d’impôt entraîne une perte de recette pour les collectivités, que le gouvernement compense par une part de TVA.

« Il est vraiment nécessaire d’aider nos entreprises à être plus compétitives »

Pas suffisant aux yeux des sénateurs, qui comptent renforcer ces compensations. Cela viendra un peu plus tard dans l’examen du texte. Mais ce vendredi soir, la majorité sénatoriale a apporté son soutien à l’article 3 qui porte la mesure. Car sur le fond, la droite est parfaitement d’accord avec cette baisse des impôts des entreprises. Et pour cause. Elle la défend depuis des années. « J’ai fait le choix de conserver la baisse des impôts de production choisit par le gouvernement mais nous voulons tout faire pour que des mécanismes de compensation interviennent pour les collectivités » explique le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Une baisse d’impôt qui représente sur cette mesure « plus de 5 milliards d’euros ». « Oui, il est vraiment nécessaire d’aider nos entreprises à être plus compétitives », ajoute la sénatrice LR Christine Lavarde, « mais attention à ce que ces compensations prévues ne deviennent pas des variables d’ajustement ».

« Les premières victimes de l’absence de compétitivité des entreprises, ce ne sont pas nécessairement les actionnaires, ce sont les salariés qui font l’objet des plans de sauvegarde de compétitivité, en perdant leur emploi, quand les entreprises font face à la concurrence étrangère » fait valoir pour sa part Emmanuel Capus, sénateur du groupe Les Indépendants. Albéric de Montgolfier, ancien rapporteur LR du budget, se dit cependant « gêné par l’absence de lien entre l’impôt et l’entreprise. Avant, il y avait un lien territorial » dit-il, ajoutant que « la TVA est un impôt qui dépend de la conjoncture », ce qui « devient assez dangereux ». Plusieurs sénateurs ont aussi remarqué que cette baisse d’impôt n’a rien d’une mesure de relance, comme le présente le gouvernement. C’est une réforme structurelle.

Le gouvernement cible les PME

Si l’article a été adopté, le débat n’en a pas moins été important sur le fonds. Pour une partie de la droite sénatoriale, supprimer un autre impôt, la C3S, aurait été plus judicieux car n’impactant pas les recettes des collectivités. Solution qui « aurait eu le mérite technique de ne pas créer un mécanisme de compensation pour les collectivités », reconnaît le ministre des Comptes publics, Olivier Dussopt, « mais le bénéfice aurait été très favorable au secteur financier, et non aux PME et entreprises de taille intermédiaire », soit la cible du gouvernement avec la solution choisie. « Un gros tiers bénéficiera au PME, notamment le secteur industriel. C’est un des enjeux » ajoute de son côté le rapporteur.

Reste que les effets sur les collectivités inquiètent. Didier Marie, sénateur PS :

Remplacer la fiscalité locale par une dotation n’est ni plus ni moins qu’une forme de tutelle. Les dotations pouvant évoluer dans la durée. […] C’est un outil supplémentaire de la volonté recentralisatrice.

« C’est un début de changement de Constitution sans l’annoncer » va jusqu’à dire le communiste Pascal Savoldelli, en revenant « sur la libre administration des collectivités et leur autonomie financière ».

Les écologistes et la gauche veulent des conditionnalités écologiques et sociales

Pour la gauche, cette baisse d’impôt revient aussi à faire « un chèque en blanc aux actionnaires du CAC 40 » craint la sénatrice PS Isabelle Briquet. Surtout, c’est l’absence de conditions écologiques et sociales qui pose problème au sein de l’opposition sénatoriale. Guillaume Gontard, président du groupe écologiste du Sénat, défend une série de conditions imposées aux entreprises en échange de la baisse d’impôt : publier leur bilan carbone renforcée, « sous peine de sanction », élaborer une stratégie interne de diminution des gaz à effet de serre, avoir des plans d’investissement avec des stratégies bas carbone, « éviter de délocaliser les emplois » ou encore le respect d’un indice d’égalité entre femmes et hommes.

Avis défavorable du rapporteur, qui avait pourtant exprimé son ambition écologique lors de la discussion générale. S’il « partage un certain nombre d’objectifs », « pour avancer, il faut que l’état d’esprit des chefs d’entreprise ne soit pas pollué par des dispositifs complémentaires, de la réglementation » soutient Jean-François Husson, afin de préserver pendant la crise les « emplois ». « Conditionnaliser la baisse d’impôt à des engagements pris individuellement par les entreprises, […] ce serait contraire au principe d’égalité devant les impôts » ajoute Olivier Dussopt.

Respecter « les engagements de la France avec les accords de Paris »

Refus qui énervent Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice de la Gauche républicaine et socialiste (membre du groupe communiste). « Depuis une vingtaine d’années, à tous les débats budgétaires, on nous dit que la France va être vachement performante car on baisse sans arrêt les impôts sur les entreprises. Le pacte de Sarkozy, le CICE, etc. Tout cela allait créer des millions d’emplois et améliorer notre balance commerciale. C’est de moins en moins le cas » lance la sénatrice de Paris.

« On ne peut pas sans arrêt nous rétorquer les emplois » insiste la sénatrice Génération. s, Sophie Taillé-Polian (groupe écologiste), « car la crise d’aujourd’hui […] d’où vient-elle ? D’une situation où le monde animal n’est plus déconnecté du monde humain. C’est une crise profondément écologique. A un moment donné, il faudra se poser ces questions fondamentales ». Guillaume Gontard ajoute qu’il s’agit aussi de respecter « les engagements de la France avec les accords de Paris ». Leurs amendements ont été rejetés.

Compensation pour le fonds d’aide à l’implantation des bureaux de poste en zone rurale

Un sujet a fait un peu plus consensus lors des débats. Il concerne les bureaux de postes. La baisse de la CVAE a en effet pour conséquence de réduire fortement un fonds d’aides pour l’implantation des bureaux de postes dans les zones rurales, en montages, dans les quartiers dit « politique de la ville » et en Outre-Mer. Avec la sénatrice PS des Hautes-Pyrénées, Viviane Artigalas, le sénateur PCF Eric Bocquet a mis en garde sur « les effets de bords de la baisse de la CVAE qui ne sont pas anticipés » sur « le fonds postal national de péréquation ». Abondé aujourd’hui à hauteur de 174 millions d’euros par an, il baissera de 65 millions en 2021 et 2022.

Le ministre assure que le gouvernement est parfaitement conscient du problème. « Le gouvernement travaille aux modalités de compensation. Nous sommes en discussion avec le groupe La poste » pour « garantir les ressources » du fonds, assure Olivier Dussopt. Les sénateurs n’ont pas voulu attendre la solution du gouvernement. L’amendement du groupe communiste, qui vise à compenser la perte, a été adopté par le Sénat.

« Qui veut faire un cadeau de départ à Monsieur Yung ? »

Plus tôt dans la soirée, les sénateurs ont fait preuve d’une belle unanimité pour adopter un amendement du sénateur LREM Richard Yung. « Un amendement que je présente chaque année », a rappelé le sénateur des Français établis hors de France. Il a pour objet d’exonérer les conjoints étrangers de Français de toute taxe liée à la délivrance ou au renouvellement de leur titre de séjour. « Une recommandation que le Défenseur des droits a formulée en 2014 et réitérée en 2016 » souligne Richard Yung, qui dénonce « une discrimination liée à la nationalité ».

Refus du rapporteur, qui l’invite à représenter son amendement l’an prochain. « C’est la dernière fois que je peux intervenir. Je ne serai plus parmi vous l’an prochain » répond le sénateur LREM. Six sénateurs des Français de l’étranger seront en effet renouvelés en septembre 2021. Le président de séance, le sénateur LR Roger Karoutchi met au vote et demande avec le sourire : « Qui veut faire un cadeau de départ à Monsieur Yung ? » Les mains se lèvent sur tous les bancs dans l’hémicycle. « Et bien Monsieur Yung, vous pouvez partir heureux. L’amendement est adopté ». Olivier Dussopt demande à prendre la parole : « Je veux seulement préciser au sénateur Yung que c’est un cadeau à 21 millions d’euros, que le Sénat vient de lui faire. Vous conviendrez avec moi que ce n’est pas négligeable ».

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