Budget : le Sénat vote la hausse des salaires des enseignants afin de revaloriser leur métier

Budget : le Sénat vote la hausse des salaires des enseignants afin de revaloriser leur métier

Les sénateurs ont adopté d’une courte majorité les crédits de l’Education nationale, qui visent une hausse moyenne de 10 % de la rémunération des enseignants dans le but de créer un « choc d’attractivité ». Une part de la hausse se fera en contrepartie de nouvelles missions, un engagement d’Emmanuel Macron. Les sénateurs LR se sont abstenus, dénonçant un « pilotage à vue » et un manque de réflexion.
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C’est l’une des promesses de campagne d’Emmanuel Macron. La revalorisation du métier d’enseignant, avec à la clef des professeurs payés en début de carrière 2.000 net par mois, ainsi qu’une part d’augmentation en contrepartie de tâches supplémentaires. Ce jeudi soir, les sénateurs ont adopté, non sans critique, les crédits de la mission enseignement scolaire pour l’année 2023, par 110 voix contre 91 et 142 abstentions, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances. Un débat d’autant plus utile que les députés, eux, ont été privés de l’examen de cette mission, du fait du recours au 49.3 par le gouvernement.

Avec 142 abstentions, la quasi-totalité du groupe LR s’est abstenue, quand le groupe centriste a voté pour (voir le détail). Encore une fois, les deux groupes formant la majorité sénatoriale ont suivi un chemin différent au moment du vote, comme lors du texte sur les énergies renouvelables ou sur la CVAE.

Budget en hausse de 6,5 %

Pour son premier projet de loi de finances en tant que ministre de l’Education nationale, charge à Pap Ndiaye de porter l’ambition d’un budget qu’il qualifie « de rupture ». Avec 59,7 milliards d’euros, l’Education nationale est toujours le premier budget de l’Etat, en hausse de 6,5 % l’année prochaine. « L’amélioration de l’attractivité du métier d’enseignant est un défi majeur », fait valoir Pap Ndiaye.

Avec 1,1 milliard d’euros pour 2023, pour une entrée en vigueur en septembre prochain, la hausse de la rémunération représentera 1,9 milliard d’euros en année pleine. « Une part socle » vise une augmentation en moyenne de 10 %, « avec une priorité donnée à la première moitié de carrière ». De plus, un « pacte » permettra donc des augmentations supplémentaires grâce à l’exercice « de nouvelles missions » et d’autres qui seront « mieux reconnues ».

Ces missions ne sont pas encore définies. Elles font l’objet de concertations avec les syndicats. Lors de son audition en commission, Pap Ndiaye avait cependant évoqué le suivi individualisé des élèves, l’aide à l’orientation, les remplacements de courte durée, la réalisation de projets pédagogiques ou encore la formation continue hors temps d’enseignement. Pour la liste précise, il faudra attendre. Globalement, le ministre de l’Education nationale s’enorgueillit des avancées salariales portées par ce budget :

C’est un effort considérable qui concernera l’ensemble des enseignants.

Lire aussi » Face à « la pénurie d’enseignants », un rapport sénatorial montre que les revalorisations salariales ne suffiront pas

Alors que les critiques se portent, on va le voir, sur l’insuffisance des hausses de salaires pour répondre aux enjeux, Pap Ndiaye souligne que « l’attractivité du métier d’enseignant ne se résume pas à un niveau de rémunération. C’est aussi de sens, de reconnaissance, de soutien, que les professeurs ont besoin ». Le ministre pense au développement « du travail collaboratif » ou à « un meilleur accompagnement des professeurs débutants », sans oublier la « gestion de carrières » ou la question des « ressources humaines ».

« Financer les projets pédagogiques innovants »

Au moment où l’Education nationale comptera près de 100.000 élèves de moins pour la rentrée 2023 – « c’est considérable et ça va continuer » du fait de l’évolution démographique – Pap Ndiaye défend une baisse contenue du nombre d’enseignants, qui permettra de « continuer à améliorer le taux d’encadrement en primaire ».

Autre nouveauté : le « fonds d’innovation pédagogique », doté de 150 millions d’euros. « Il permettra de financer tous les projets pédagogiques innovants », rappelle le ministre, qui évoque « l’expérimentation conduite à Marseille ». Enfin, le gouvernement entend renforcer « l’école inclusive », avec la création de « 4.000 nouveaux postes d’AESH (accompagnants d’élève en situation de handicap) en 2023, après une hausse identique en 2022 », souligne Pap Ndiaye. Au cours des débats, les sénateurs ont adopté des amendements similaires, issus de la droite et de la gauche, visant à augmenter de 10 millions d’euros les moyens pour permettre à chaque enfant en situation de handicap d’avoir accès à un matériel pédagogique adapté.

Lire aussi » Le coût de l’école inclusive et la revalorisation des salaires des enseignants remis en cause par un rapport sénatorial

« Vous avez fait un effort dans ce budget »

Face à ce budget en hausse, le rapporteur spécial de la commission des finances, le sénateur LR Gérard Longuet, voit le verre à moitié plein (voir la première vidéo). « A tout prendre, il vaut mieux voter ces crédits, car nous avons un diagnostic partagé », à savoir « que notre enseignement n’est pas terrible », notamment en « mathématique », et le problème « du statut d’enseignant », qui se « dévalue dans la société », avance le sénateur de la Meuse.

« Vous avez fait un effort dans ce budget », même s’il « dépend très largement » de l’augmentation du point d’indice de la fonction publique, note Gérard Longuet, qui regrette que « les mesures catégorielles que vous proposez ne soient pas suffisamment hiérarchisées en fonction des besoins ».

« Faiblesse d’action »

L’avis globalement positif de l’ancien ministre de la Défense est loin d’être partagé par l’ensemble de ses collègues du groupe LR. Jacques Grosperrin, qui a appelé à s’abstenir en tant que rapporteur pour avis de la commission de la culture, se demande si la hausse des salaires, bien qu’« essentielle », suffira à « créer le choc d’attractivité nécessaire ».

S’il reconnaît pour sa part « un acte fort » avec la revalorisation, le sénateur LR Max Brisson « s’étonne que face à un milliard d’euros affiché, pas grand-chose ne soit proposé en termes de réforme de structure ». « Vous augmentez le budget puis vous dites que vous allez réfléchir à l’organisation. Est-ce qu’il n’aurait pas été souhaitable que la réflexion se fasse en même temps ? » interroge le sénateur des Pyrénées-Atlantiques. Sur le plan « école du futur, vous voulez donner plus de liberté et d’autonomie aux établissements et aux enseignants. Vous avez raison », salue Max Brisson. Mais au fond, les conditions ne le permettent pas selon le sénateur LR, qui voit davantage un « pilotage à vue, masqué par la rhétorique », qui mène à « une faiblesse d’action ».

« En 1990, un professeur des écoles gagnait 1,8 smic, contre 1,5 fois le smic aujourd’hui »

Le manque d’attractivité du métier, on le constate clairement dans les chiffres. « En 2018, 135.000 candidats étaient présents encore aux concours de la fonction publique de l’Education nationale. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 90.000. Plus grave encore, les postes n’ont été couverts qu’à 83 % en 2022 par les candidats ayant été admis », souligne pour le groupe RDSE le sénateur Eric Gold, qui donne d’autres chiffres, pour le moins éclairants : « En 1990, un professeur des écoles gagnait 1,8 smic, contre 1,5 fois le smic aujourd’hui. En fin de carrière, un agrégé de classe exceptionnelle touchait 4,6 smic contre 3,3 actuellement ».

De son côté, pour le groupe Union centriste, qui a voté pour les crédits, la sénatrice Annick Billon a appelé le ministre à « mettre en œuvre sur l’ensemble des territoires et tous les établissements » l’obligation d’éducation à la sexualité, via « trois séances par an, du CP à la terminale ». La veille, la présidente de la délégation au droit des femmes a remis à Pap Ndiaye son rapport sur la pornographie, qui n’est pas sans impact sur la jeunesse.

« Le raisonnement qui sous-entend que les professeurs disposeraient d’un surplus de temps est au mieux une illusion, au pire un mensonge »

Pour le groupe PS, Marie-Pierre Monier a salué aussi un « effort budgétaire significatif ». Mais la sénatrice de la Drôme a pointé du doigt le « pacte enseignant » qui permettra une hausse supplémentaire, en échange de nouvelles missions (voir vidéo ci-dessus). « C’est l’ancienne professeur de mathématiques qui vous parle. Le raisonnement niché dans ce pacte qui sous-entend que les professeurs disposeraient d’un surplus de temps libre à mettre à profit est au mieux une illusion, au pire un mensonge », lance Marie-Pierre Monier, qui continue : « Les chiffres du ministère sont clairs : la moitié des enseignants ont un temps de travail supérieur à 43 heures par semaine. Durant les 16 semaines de vacances scolaires, la moitié des professeurs déclarent travailler au moins 34 jours ». Et de conclure :

La logique du "travailler plus pour gagner plus" que traduit ce pacte se heurte à la réalité du terrain. Et on ne peut que constater le flou qui persiste sur la nature de ces nouvelles missions.

Au nom du groupe écologiste, Monique de Marco, s’est « réjouie de cette hausse des crédits, mais elle n’arrive pas à masquer la situation extrêmement difficile dans laquelle est l’Education nationale », alors qu’elle n’arrive plus à recruter : « On compte 1656 postes non pourvus en premier degré, 2070 postes dans le second degré ».

Coupures d’électricité dans les écoles : « Nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour que les familles soient prévenues en temps et en heure » assure le ministre

Du côté du groupe communiste, la sénatrice Céline Brulin voit dans la mise en place de l’école du futur surtout « un exercice de communication ». « Même si les crédits sont sur la table, ils apparaissent bien loin de répondre aux enjeux », selon la sénatrice de Seine-Maritime, qui a profité du débat pour interroger le ministre sur les risques de coupure d’électricité, qui pourraient toucher aussi les écoles, cet hiver. « Est-ce que vous pouvez nous éclairer, sans mauvais jeu de mots », a lancé Céline Brulin.

Pap Ndiaye a rappelé les précisions apportées un peu plus tôt dans la journée. « Il pourrait en effet arriver que des délestages soient programmés, qu’ils puissent survenir en peau de léopard sur l’ensemble du pays », c’est-à-dire pas en même temps dans tout un département, mais par secteur, et selon les tranches horaires 8h/10h ou 10h/12h. « Nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour que les familles soient prévenues en temps et en heure », assure le ministre de l’Education. En cas de coupure, il sera nécessaire « d’organiser la rentrée des élèves en début d’après-midi, en incluant ou pas la pause méridienne et le repas à la cantine ».

Au moment du scrutin public sur l’ensemble des crédits de la mission, le rapporteur Gérard Longuet, voyant nombre de ses collègues LR tentés par l’abstention, a rappelé à sa manière que « si on rejette le budget, tous les amendements que nous avons adoptés disparaissent. Donc nous aurons en quelque sorte, en termes vulgaires, pissé dans un violon pendant trois heures… » Les sénateurs ont finalement voté les crédits, mais d’une majorité assez courte, par 19 voix d’avance, à 00h45, avant de plier bagage. Les derniers ont pu éteindre la lumière, pour économiser l’énergie, évidemment.

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